Que peuvent faire des travailleurs sociaux ayant connaissance, dans le cadre de leurs fonctions, de faits justifiant, selon eux, un signalement à la justice sans que leur hiérarchie ne réagisse ? C'est la question soulevée par une psychologue, une éducatrice spécialisée et une monitrice-éducatrice qui considèrent que c'est pour cette raison qu'elles ont été licenciées, le 17 octobre 1997, par leur employeur, la communauté Guy-Debeyre, à Perrancey (Haute-Marne). Un établissement géré par l'Association laïque pour l'éducation et la formation professionnelle des adolescents (ALEFPA) (1), qui reçoit des jeunes confiés par le juge des enfants ou l'aide sociale à l'enfance. Les responsables de l'ALEFPA, qui ne souhaitent pas faire de commentaires, réfutent cette version, indiquant que ces salariées ont été licenciées pour abandon de poste. Les faits : le 29 septembre 1997, suite à des événements survenus dans l'établissement, les trois professionnelles avaient adressé un courrier à leur direction, ainsi qu'aux autorités de tutelle, à l'inspection du travail et au procureur, dans lequel, invoquant les dispositions du code du travail sur le droit de retrait, elles indiquaient devoir cesser le travail afin de ne pas cautionner « de graves dysfonctionnements mettant en danger la prise en charge des jeunes ». Elles s'inquiétaient de « certaines dérives éducatives » dont elles avaient informé, en vain, début septembre, leur hiérarchie. En janvier 1996, déjà, deux d'entre elles avaient, « contre l'avis de leur direction », signalé à la justice une affaire de viol survenue, entre mineurs, au sein de l'établissement. Le directeur de l'époque, mis en examen pour non-assistance à personne en danger, avait bénéficié d'un non-lieu en septembre 1997.
Soutenues par l'union départementale CGT et par un comité de soutien qui a lancé une pétition en leur faveur (2), les professionnelles ont porté l'affaire devant le conseil des prud'hommes de Chaumont qui devrait rendre son jugement le 17 novembre. En attendant, l'affaire provoque un certain nombre de réactions. Ainsi, Jean-Claude Daniel, député (PS) de la Haute-Marne, a l'intention de poser une question écrite au gouvernement, dès la reprise de la session parlementaire, sur la situation des travailleurs sociaux pris entre l'obligation de signaler les cas de maltraitance et leurs liens de subordination. Pour sa part, Elisabeth Allaire, préfet de la Haute-Marne, qui a rencontré les personnes licenciées, aurait décidé de réunir les chefs d'établissements sociaux et médico-sociaux du département afin de leur rappeler leurs obligations en matière de maltraitance à enfants (3). Enfin, saisis du dossier, la commission nationale consultative de déontologie des psychologues et le comité des avis déontologiques de l'Association nationale des communautés éducatives (ANCE), ont estimé que les trois salariées se sont « acquittées de leurs devoirs » en procédant à un signalement. En revanche, ils ne se sont pas prononcés sur la question de l'abandon de poste.
(1) ALEFPA : 33/35, boulevard Vauban - BP 1403 - 59015 Lille cedex - Tél. 03 28 38 09 40.
(2) Contact : Bourse du travail - 8, rue Decrès - BP 95 - 52003 Chaumont cedex - Tél. 03 25 32 56 40.
(3) Voir ASH n° 2070 du 8-05-98.