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Les correspondants de nuit à l'écoute des cités

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Ni animateurs, ni travailleurs sociaux, ni policiers, les correspondants de nuit agissent en prévention, entre sécurité et médiation, dans certains quartiers d'habitat social. Et illustrent bien la problématique de ces nouveaux intervenants-relais.

Le quartier Laurent-Bonnevay à Cholet ressemble à beaucoup d'autres en France : 3 500 personnes vivent ici dans des immeubles d'habitat social dont les rénovations des années 80 ne parviennent plus à faire illusion. Tubulures de couleur et tuiles de façades cachent mal les vitres cassées et les boîtes aux lettres détruites. A l'extérieur cependant, et malgré la sécheresse qui a brûlé les pelouses, les arbres et les massifs réalisés par le service espaces verts de la régie de quartier donnent à penser qu'il y a pire environnement. Et puis surtout, « c'est plus calme », constate Maurice Manceau, directeur de la régie ACTIF (1). Il faut dire que la cité a connu ses heures chaudes : « Les pompiers sont intervenus jusqu'à 20 fois dans le même mois pour arrêter des départs de feux dans les poubelles ou les boîtes aux lettres. » L'idée, début 1997, de mettre en place des correspondants de nuit germe d'abord chez le bailleur, Cholet-Habitat. Il s'agit de régler les problèmes de dégradation du bâti et de squat dans les entrées afin de retenir les locataires qui sont de plus en plus nombreux à vouloir partir. Cholet-Habitat sollicite donc la régie ACTIF, implantée dans le quartier depuis 1985. Logique, dans la mesure où, depuis 1991, ce sont essentiellement les régies de quartiers qui développent ces nouveaux services nocturnes à mi-chemin entre sécurité et médiation. A partir des expériences de Rouen et de Dreux notamment, mais aussi épaulée par le Comité national de liaison des régies de quartier  (CNLRQ)   (2) qui organise alors un groupe de travail sur les correspondants, l'équipe de Maurice Manceau monte son projet en partenariat avec le bailleur et la ville de Cholet, à travers le conseil communal de prévention de la délinquance (CCPD) et le développement social urbain (DSU). La commissaire de police a également été consultée et sera présente, d'ailleurs, dans le comité de pilotage aux côtés notamment des élus, du substitut du procureur, de la police municipale et du chef de projet DSU.

Recrutés en emploi-jeunes ou CDD sur les critères de « maîtrise de soi » et de maturité ainsi que sur leur « capacité au dialogue » et leur « bonne connaissance de la vie des cités et des jeunes y résidant », cinq correspondants de nuit âgés de 23 à 32 ans (dont une jeune femme), tous issus du quartier, sillonnent donc les allées et les couloirs de la cité depuis février dernier. Toujours en binôme et à pied, ils  « tournent » de 17 h à 19 h puis de 20 h 30 à 2 h du matin en semaine et de 14 h à 19 h le week-end. Joignables à tout moment sur leur portable, ils interviennent sur demande pour un problème de conflit de voisinage, une minuterie cassée, ou bien encore pour garder la voiture d'un médecin qui vient consulter sur le quartier. Mais surtout, au fil de leur tournée, ils s'arrêtent, serrent des mains, discutent, notent les nouvelles détériorations matérielles afin qu'elles soient réparées, suggèrent à un groupe trop bruyant de s'éloigner des bâtiments. L'éventail de leurs actions est large : présence et écoute (plus du tiers des interventions), médiation des petits conflits et troubles de voisinage, assistance, veille technique, sensibilisation au respect des biens et des personnes  mais aussi continuité du service public en informant, selon le principe de la main courante, sur ce qui s'est passé la nuit. Leurs interventions se situent autant que possible en prévention. Mais quand ils sont malgré tout confrontés à la violence, les correspondants de nuit ont pour principe d'user de la négociation et du dialogue et de ne jamais s'inscrire, en théorie, dans une intervention d'autorité, quitte d'ailleurs à passer le relais. Ces règles, ainsi que la définition de leurs missions, ont fait l'objet d'un cadrage méthodologique au sein du CNLRQ. Et elles ont été clairement transmises aux jeunes embauchés lors de la formation préalable de 15 jours, mise en place par la régie.

Assurer « une présence »

Il n'empêche que les débuts ont été difficiles, et cela malgré la plaquette de présentation distribuée : « Les gens se demandaient si on n'était pas des balances », explique Aslam Yildiz, l'un des correspondants. Mais « ils ont vu vite qu'on était utile, que les vols baissaient », poursuit-il. C'est « la période de grâce pendant laquelle les jeunes les suivaient dans la tournée et voulaient faire pareil », explique Maurice Manceau. Une chose est claire : ils ont acquis une légitimité au vu des résultats. Et puis, précise-t-il, « on n'a pas de discours sur les gens. On assure une présence'avec ", sans proposer d'autres schémas. » En outre, l'action des correspondants de nuit vient compléter l'action sociale traditionnelle débordée par la montée des problèmes sociaux. Non pas seulement par leur présence nocturne, après fermeture des autres services, mais aussi parce que leurs méthodes sont loin de celles de l'action sociale traditionnelle : réponses en temps réel, non sectorielles et peu « techniques ». « Et s'ils soulèvent un abandon du terrain notamment par les services de prévention, les manques (animation, local) auxquels ils renvoient doivent servir d'aiguillon aux services sociaux », défend Eric Gutnekch, adjoint au chef de projet DSU. Le directeur de la régie tient beaucoup à cette fonction « d'interpellation » des correspondants : « L'idéal serait qu'ils puissent transmettre plus systématiquement leurs expériences aux travailleurs sociaux. » Mais jusqu'à présent, les rencontres avec ceux (assistants sociaux, éducateurs de prévention) de la cité qu'il a tenté d'organiser n'ont pas vraiment donné « d'échanges constructifs ». En fait, la communication est difficile et seule fonctionne réellement la collaboration avec l'éducateur de prévention-toxicomanie qui a son bureau en face du local des correspondants. Pourtant, les correspondants sont allés se présenter partout et passent régulièrement au centre social, chez les gardiens, au DSU ainsi que dans les écoles. Des passerelles et un mode de communication restent donc à trouver, à Cholet, entre les travailleurs sociaux et les correspondants. D'autant que leur présence peut provoquer parfois des interrogations et des réticences.

Car les questions soulevées par ces « nouveaux » intervenants-relais sont nombreuses. Comment ne pas tomber ni dans le sécuritaire ni dans la complicité ? Et si le fait qu'ils résident dans le quartier est présenté comme un atout, en termes de légitimité notamment, comment gérer l'ambivalence de certaines relations et l'exposition aux menaces et représailles hors des heures de travail ? « C'est difficile de dire à des jeunes d'aller ailleurs quand ils squattent une cave ou une entrée. Ils nous répondent qu'on a galéré comme eux et qu'on sait comme eux qu'il n'y a rien pour les jeunes dans le quartier, pas de foyer », avoue Driss Mansour, un des correspondants. C'est un véritable travail d'équilibriste qu'ils doivent chaque fois réaliser entre l'aide et l'écoute des habitants et la coopération avec les institutions sans jamais apparaître « à la solde » des uns ou des autres. Néanmoins Maurice Manceau dresse un bilan plutôt satisfaisant des six mois de fonctionnement même si les réunions qui devaient permettre d'associer les habitants ont été jusqu'ici un échec. Il faut dire qu'il s'agit d'un pari difficile à relever. Ainsi, à Grenoble, la régie de la ville neuve Arlequin a mis trois ans à monter un projet qui associe réellement les habitants.

Il n'en reste pas moins que l'enjeu pour l'avenir de ces services se situe dans leur consolidation ou leur évolution vers d'autres modalités d'action. Le plus important peut-être, souligne Eric Gutnekch, « étant qu'ils s'inscrivent dans une dynamique de projet concernant ces quartiers ». Le réseau des régies, les formations, les rencontres avec les correspondants des autres villes (ils sont actuellement 33 en France) sont à cet égard essentiels dans la mesure où ils permettent d'échanger sur les pratiques.

Valérie Larmignat 

FRANÇOIS MÉNARD : DES EXPÉRIENCES DÉLICATES « SUR LE PAPIER » MAIS QUI FONCTIONNENT

ASH : On est frappé par le décalage entre l'ampleur de la réflexion théorique du CNLRQ sur les correspondants de nuit et la lenteur relative avec laquelle ils se mettent en place : à Grenoble le projet tarde à se concrétiser, à Meaux et à Melun il capote. A quoi cela est-il dû ? F. M.  : Je vois plusieurs raisons à cela. D'abord, la première expérience, celle de Rouen, n'a pas fait l'objet d'une reprise par un opérateur. Le CNLRQ attendait de voir pour la diffuser. Or, aujourd'hui, elle est un peu en perte de vitesse pour des raisons extérieures au réseau. Deuxième raison : l'idée des correspondants de nuit est très difficile à saisir pour les partenaires potentiels : ce n'est pas du travail social, pas non plus de l'animation, il s'agit un peu de sécurité mais pas vraiment, on n'est pas non plus dans le champ de l'insertion par l'économique. Il faut donc du temps pour expliquer. Troisièmement, le modèle élaboré par le CNLRQ insiste beaucoup sur la participation des habitants et cette notion est vraiment centrale. Et ça, c'est très difficile à mettre en place. Enfin, il y a une raison plus conjoncturelle qui peut expliquer que certains projets soient à l'arrêt : la mise en place des contrats locaux de sécurité qui reposent le problème d'une gestion globale des questions de sécurité et de délinquance. Les correspondants de nuit doivent-ils s'intégrer dans ces contrats ?Doivent-ils agir parallèlement ? En fait, des conceptions différentes s'affrontent et certains opérateurs et décideurs attendent de voir. ASH : En ce qui concerne les services qui sont en place, peuvent-ils se pérenniser tels qu'ils fonctionnent ?Comment peuvent-ils dépasser la phase expérimentale ? F. M.  : Il est clair qu'on peut se poser la question du statut et de l'avenir professionnel des correspondants de nuit et qu'il faudrait approfondir la réflexion sur une formation commune au niveau du réseau. En fait, ces projets ont l'air délicats sur le papier et soulèvent beaucoup de problèmes a priori. Mais dans la pratique, sur le terrain, ça ne fonctionne pas mal du tout. Je crois aussi que la solidité de l'expérience et sa réussite tiennent certes à l'adhésion et la participation des habitants mais aussi à leur degré d'attachement au quartier. Il y a également à apprendre des expériences similaires. Je pense à l'une d'entre elles qui a débuté en juin dernier à Montreuil où des éducateurs spécialisés d'un club de prévention ont monté quelque chose d'assez proche des correspondants. Ils tournent la nuit mais dans un esprit d'observation. Ce qui est intéressant, c'est ce que cette observation apporte dans la compréhension de la vie nocturne dans les quartiers. En fait, pour eux, la nuit ne dévoile rien, il n'y a pas d'inédit, ni d'ailleurs beaucoup de jeunes mineurs dehors. Elle permet, en revanche, un temps d'échange que ne permet pas le jour. Du coup, s'ils devaient continuer, ça ne serait pas dans un esprit de sécurisation mais dans l'idée d'enrichir le travail de la journée. Propos recueillis par V. L. François Ménard, sociologue (FORS - Recherche sociale), a participé, en 1997, au groupe de travail sur les correspondants de nuit sous l'égide du CNLRQ et est l'auteur, avec Catherine Gorgeon (Acadie), du Guide des correspondants de nuit  - Disponible au CNLRQ - 60 F.

Notes

(1)  Régie de quartier - Association choletaise travail, insertion, formation : 20, av. Robert-Schuman - 49300 Cholet - Tél. 02 41 62 26 26.

(2)  CNLRQ : 47/49, rue Sedaine - 75011 Paris - Tél. 01 48 05 67 58.

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