Recevoir la newsletter

Un logement « sur mesure »

Article réservé aux abonnés

L'insertion, c'est d'abord le logement. Forte de cette conviction, l'Apahm, association dunkerquoise, reloge des personnes lourdement handicapées dans des appartements « domotisés ».

La visite de l'appartement de Sébastien Guyomard, à Dunkerque  (Nord), constitue un raccourci saisissant de ce que la technologie moderne peut apporter aux personnes lourdement handicapées. Agé de 27 ans, le jeune homme, qui vient d'achever une maîtrise en langues étrangères appliquées, souffre en effet d'une infirmité motrice cérébrale qui l'empêche de se déplacer sans l'aide de son fauteuil électrique. Il est, en outre, considérablement gêné par une mauvaise coordination des membres supérieurs. A tel point que le moindre geste de la vie quotidienne lui est un véritable casse-tête : ouvrir une porte, baisser les volets, allumer une lampe, monter le son de la télévision. Autant de difficultés qui l'ont d'ailleurs obligé à passer l'essentiel de son adolescence en institution.

Un mot pour ouvrir une porte

Depuis six mois, pourtant, sa vie a changé. Il dispose de son propre logement, au cœur de Dunkerque, dans un petit immeuble comportant cinq appartements, entièrement réhabilités et aménagés pour accueillir des personnes gravement handicapées. Au pied de la résidence, on est « reçu » par un portier vidéo qui permet de vérifier l'identité des visiteurs. Une fois passé le cerbère électronique, la porte de l'immeuble s'ouvre automatiquement sur un couloir assez vaste pour un fauteuil roulant puis, après une autre porte automatisée, sur une petite cour ensoleillée. C'est là, au rez-de-chaussée, que vit le jeune homme, dans un appartement d'environ 80 m2 pour lequel il paie 700 F par mois (déduction faite des aides au logement). Ici, tout est de plain-pied et conçu « sur mesure »  : larges passages de porte, salle de bains et cuisine adaptées... Mais l'originalité du lieu tient surtout à la possibilité de piloter informatiquement les différentes fonctions de l'appartement. Grâce à un micro et à un miniclavier fixés sur son fauteuil, Sébastien Guyomard peut ainsi, d'un simple mot ou à l'aide d'une touche, régler le chauffage, allumer la lumière, faire descendre les volets roulants, ouvrir la porte d'entrée, mettre en route son téléviseur, répondre au téléphone ou encore écouter de la musique sur sa chaîne stéréo. La sécurité n'a pas non plus été oubliée puisque l'appartement dispose d'une alarme incendie, reliée à un transmetteur téléphonique, et d'un système de détection de fuite d'eau. Le dispositif fonctionne grâce à un ensemble de récepteurs (radio ou infrarouge) insérés dans les murs et les plafonds et reliés à un ordinateur central -un  « bus »  - qui achemine les commandes vers les « effecteurs » activant les différentes fonctions. Cet ordinateur gère tous les appartements de l'immeuble, selon les besoins spécifiques de chacun des occupants. « Il est évident que sans toutes ces fonctions assistées, je ne pourrais pas vivre seul ici », souligne Sébastien Guyomard, apparemment à l'aise dans son nouvel environnement. Et, même s'il ne peut se passer de la présence d'une tierce personne qui vient, chaque jour, faire son ménage et ses repas, et l'aider à se lever et s'habiller, au moins peut-il organiser sa vie comme il l'entend, sortir, recevoir des amis, travailler...

La résidence domotisée de la rue Caumartin a ouvert ses portes en 1997, à l'initiative de l'Association d'aide aux personnes à handicap moteur (Apahm)   (1). Créée en 1989, avec le soutien de la chambre de commerce et du port autonome de Dunkerque, celle-ci emploie actuellement une trentaine de personnes (travailleurs sociaux, techniciens, formateurs, ergothérapeutes...) pour un budget de 7 millions de francs financé à 60 % par le conseil général du Nord, le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais et le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, et à 25 % par le Fonds social européen (2), le solde provenant d'entreprises privées. L'action de l'Apahm repose sur l'idée que l'insertion des handicapés moteurs passe par l'accès au logement, donc par l'utilisation des nouvelles technologies qui, seules, peuvent leur apporter l'autonomie nécessaire. « On n'est pas handicapé en permanence mais seulement devant des situations précises. Or, si l'on est en mesure de concevoir des appartements complètement adaptés, la personne ne se trouve plus handicapée par rapport à son environnement immédiat », plaide Alain Popieul, fondateur et directeur de l'association, qui fut longtemps éducateur à l'hôpital maritime de Zuydcoote. Pour lui, la domotique doit offrir une aide maximale. « Nous essayons de travailler au niveau des nouvelles technologies tout ce qu'il est possible de faire sans apport extérieur », poursuit-il, précisant aussitôt que celles-ci « ne se substituent pas aux relations humaines mais tendent à les faciliter et certainement à les enrichir ».

2 000 personnes par an

L'Apahm, qui intervient sur l'ensemble du département du Nord, reçoit, chaque année, environ 2 000 personnes de tous âges, gravement handicapées. 40 % sont adressées par les services sociaux et hospitaliers, les autres par le bouche-à-oreille. Son activité principale concerne l'accès au logement des personnes vivant en institution ou en famille et qui aspirent à une certaine indépendance. « Les candidats sont nombreux. Nous avons déjà réalisé 70 relogements et une quarantaine de personnes se trouvent actuellement sur liste d'attente », explique Alain Popieul. Principaux critères de sélection : le fait d'habiter dans la région (les demandes proviennent de toute la France, en particulier de la région parisienne) et le caractère d'urgence des situations. Les personnes retenues passent d'abord quelques mois dans l'un des cinq appartements domotisés, dits d'évaluation, dont dispose l'association. Elles reçoivent l'aide quotidienne d'une maîtresse de maison et sont suivies régulièrement par le service social de l'association. Objectif : évaluer la viabilité du projet, monter le dossier de financement et, surtout, mesurer précisément les besoins de chacun. Vient enfin l'intégration définitive dans le nouveau logement, aménagé « sur mesure ». Sachant que l'équipe reste présente auprès du nouveau locataire, jusqu'à ce qu'il ait pris ses marques.

15 logements

Pour l'Apahm, la principale difficulté consiste, évidemment, à obtenir des logements adaptés. « Actuellement, en France, on ne trouve pas d'appartements domotisés à des loyers normaux, s'agace son directeur, car si les bailleurs, publics ou privés, veulent bien loger des personnes handicapées, il ne faut pas que ça leur coûte un centime. Or, ce n'est pas parce que l'on est handicapé que l'on doit payer un surloyer. On ne me fera pas croire qu'un bailleur qui gère des milliers de logements n'est pas capable, tous les ans, de réaliser une dizaine de logements domotisés ! C'est d'ailleurs pour cette raison que nous nous sommes mis à acheter des maisons que nous rénovons et adaptons en totalité avant de les louer à des loyers plafonnés. » C'est ainsi que l'association se retrouve, aujourd'hui, à la tête d'un parc immobilier comprenant 15 logements situés à Dunkerque et conduit actuellement, avec le centre communal d'action sociale  (CCAS) de Roubaix, un projet pour l'achat et la rénovation de cinq autres appartements. Une politique qui nécessite, toutefois, des moyens importants. Rue Caumartin, par exemple, l'achat de l'immeuble a coûté 500 000 F auxquels s'ajoutent 2,5 millions pour l'ensemble des travaux. Où trouver l'argent ? « Notre démarche, explique Alain Popieul, consiste à dire aux pouvoirs publics : ne construisez plus de foyers à 1 000 F le prix de journée mais aidez-nous plutôt à investir dans la domotique qui sera très vite amortie. Et au lieu d'être assistées par la collectivité, les personnes qui en bénéficieront pourront se former et s'insérer économiquement. Malheureusement, il n'y a pas, aujourd'hui, de volonté politique pour ça. » Aussi l'Apahm est-elle obligée de frapper à toutes les portes, notamment celles des entreprises du secteur concurrentiel. Rue Caumartin, une grande entreprise spécialisée dans la fabrication de matériel électrique, et souhaitant se lancer sur le marché de la domotique, a versé 250 000 F. Ailleurs, c'est EDF qui a participé.

Parallèlement, l'Apahm travaille, chaque année, sur une centaine de projets d'adaptation à domicile pour des victimes d'accident ou des personnes souffrant de maladie évolutive, dont le logement doit être réaménagé. « Parfois il s'agit simplement d'installer un bac de douche spécial mais cela peut être également des opérations lourdes, comme l'intégration d'un ascenseur dans une maison », souligne Alain Popieul. Originalité du système : les projets sont menés de A à Z, depuis la phase de conception jusqu'à la fin du chantier. « Et sans qu'il en coûte rien aux personnes, y compris pour l'achat des équipements », se félicite le directeur de l'association. En effet, assure-t-il, « il y a toujours de l'argent disponible mais il faut aller le chercher là où il est. S'il s'agit d'un salarié mis en invalidité, le comité d'entreprise peut financer, la mutuelle également.» De fait, l'Apahm travaille avec les communes, les équipes sociales de l'assurance maladie, les circonscriptions d'action sociale ou encore les mutuelles. Une collaboration à propos de laquelle le CCAS de Dunkerque, qui lui prête plusieurs appartements, se dit satisfait. « C'est une association très dynamique qui apporte beaucoup aux personnes handicapées », juge son directeur.

L'activité de l'Apahm ne se limite cependant pas seulement à l'accès au logement. « C'est la clé pour s'engager dans un processus d'insertion sociale mais au-delà, nous avons développé des secteurs complémentaires », explique Alain Popieul. Ainsi, une équipe de préparation et de suivi du reclassement  (EPSR), chargée d'aider à la réinsertion professionnelle des personnes handicapées, a vu le jour en 1992. Couvrant les Flandres intérieures et maritimes, elle permet, chaque année, la signature d'environ 200 contrats de travail (hors contrats aidés) et traite une cinquantaine de dossiers de maintien en entreprise. Parallèlement, un centre de formation a été créé, il y a quatre ans, dans le cadre du programme communautaire européen Horizon. Un système original, basé sur le télé-enseignement. C'est-à-dire que les stagiaires suivent les cours chez eux, sur ordinateur. La formation est axée sur l'apprentissage des outils bureautiques et de la publication assistée par ordinateur avec des spécialisations dans les domaines de la mise en page et de l'infographie. « Compte tenu des déficiences de nos stagiaires, il s'agit forcément d'activités dans lesquelles la créativité l'emporte largement sur la productivité », souligne le responsable du centre.

Une démarche globale

L'association a également monté sa propre auto-école pour personnes handicapées. « Le fait de pouvoir conduire et se déplacer constitue un facteur d'intégration. Or, sur la région, les auto-écoles ne peuvent pas prendre en charge ce type de clientèle », explique-t-on à l'Apahm. Enfin, dernière initiative en date, la création d'un atelier protégé, à Lille, qui emploie six personnes handicapées. Celles-ci effectuent, chez elles, des vacations de télétravail pour des entreprises de vente par correspondance de la région. En contrepartie, il est prévu qu'elles soient embauchées définitivement au bout de deux ans. « Quel rapport avec le logement ? Pour être télétravailleur à domicile, il faut avoir un logement adapté et pouvoir contrôler son environnement. C'est un tout », s'enflamme Alain Popieul. « En réalité, nous essayons d'avoir une démarche globale alors que, trop souvent en France, on tend à découper les problématiques en tranches. Notre ambition est d'être en mesure d'offrir à une personne tous les moyens dont elle a besoin pour bâtir son avenir. »

Jérôme Vachon

Notes

(1)  Apahm : 147 bis, rue des Chantiers de France - BP 4227 - 59378 Dunkerque cedex 01 - Tél. 03 28 63 75 20.

(2)  L'Apahm a été lauréate logement du programme Hélios 1988-1991 des Communautés européennes.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur