Les clichés ne manquent pas pour évoquer le département du Var, réduit le plus souvent, entre huile d'olive et yachts tropéziens, à un territoire de villégiature secoué par de louches histoires d'assassinats politiques. Sans oublier, bien sûr, le boulet que constitue aujourd'hui la présence du Front national à la tête de plusieurs communes. A tel point qu'on ignore que le Var possède une structure sociale unique en France. L'Union patronale du Var (UPV), qui regroupe 5 000 entreprises, est en effet la seule du pays à s'être dotée d'un véritable service social (1). A côté des services traditionnels inhérents à toute union patronale (aide juridique, service économique, communication...), elle met à la disposition de ses adhérents 14 assistantes sociales afin de « répondre aux questions sociales et humaines qui peuvent se poser au personnel [...]et à sa famille », indique la plaquette de présentation d'UPV Social. On peut reconnaître ici les missions de tout service social du travail. Mais le cadre d'exercice du métier est bel et bien original dans un paysage où le service social est généralement assuré en interne par les entreprises elles-mêmes ou bien par un service interentreprise privé. Cette structure est d'autant plus particulière qu'elle est devenue, localement, une véritable institution (2). En outre, elle travaille en partenariat étroit avec les organismes sociaux, alors même qu'ailleurs, le service social d'entreprise reste souvent isolé, mal connu.
Mais à quoi le Var doit-il la présence de cette formule un peu incongrue ? Ce « signe particulier » est en fait le fruit, semble-t-il, d'une interprétation locale singulière de l'histoire du service social du travail. En 1937, 20 ans après l'apparition des premières surintendantes d'usines, Jacques Boyer, grand patron de chantiers navals à Toulon, crée la Fédération patronale du Var (devenue l'UPV) qui, dès l'origine, comprend un service de médecine du travail, une section de loisirs « Les heures libres de la jeunesse » et un service social complété alors par un comité des œuvres sociales. Outre l'expression d'une fibre philanthropique sans aucun doute développée, « il faut certainement y voir le souci, en plein Front populaire, de constituer un front patronal uni face aux syndicats de salariés », raconte Thierry Balazuc, responsable actuel du service. L'UPV Social connaît ses heures de gloire en même temps que celles de la métallurgie et des chantiers navals. Les entreprises, prospères, adhèrent alors massivement et paient leurs cotisations sans se faire prier. Dans les années 60, le service compte jusqu'à 32 assistantes sociales alors que les problèmes sociaux ne sont pas criants. « Il faut dire également que ce type d'organisation correspondait bien - et cela reste vrai -au tissu économique local composé essentiellement (à côté de la grosse métallurgie) de très petites entreprises qui, seules, ne peuvent se payer une assistante sociale. Cela permet, par exemple, à un commerçant qui emploie une personne de bénéficier d'un service social », défend Thierry Balazuc. Mais bien qu'original dans sa structure, ce service social ne s'est pourtant pas totalement défait, durant ces années, d'un certain paternalisme et d'un esprit « bonnes œuvres ». Autant de traits qui, outrés, ont construit jusque récemment la caricature de « l'assistante sociale du patron ».
Certes, reconnaissent certaines professionnelles de l'équipe, « il y a 10 ou 15 ans, cette image nous collait encore à la peau ». De fait, il s'agit d'abord, lors des permanences dans les antennes ou dans les entreprises ou lors des visites ponctuelles, « de répondre à la demande du chef d'entreprise même si elle est paternaliste. Et cette demande peut parfois être très précise », admet Christine Ducourneau, en charge de la zone de Brignolles. Et si les modalités d'intervention changent selon les besoins des entreprises, les assistantes sociales retrouvent en général un éventail de tâches assez « classiques » : aide à la constitution du dossier de retraite, gestion du surendettement, permanences, dossiers Cotorep, dossiers pour la médaille du travail, difficultés conjugales, divorce, maternité. Cependant, « les missions ont évolué, on va moins dans les familles et on fait moins d'aide administrative », nuance Colette Gibelin intervenant depuis l'antenne de La Seyne. Cohabitent donc, dans le Var comme ailleurs, note Corinne Pichard au fil de ses recherches dans ce domaine (3), un service social du travail « plus traditionnel », fondé sur « une approche individuelle et familiale, peu centrée sur les problèmes liés au travail » et un service social du travail « plus innovant », plus empreint « d'accompagnement et de'veille sociale " ». Mais ici, plus particulièrement peut-être, avec la crise des chantiers navals, le métier a dû évoluer pour faire face aux plans sociaux, aux contrats précaires et aux situations de pauvreté. Délicat, reconnaissent les intervenantes, de gérer les licenciements. D'autant plus qu'elles refusent de laisser réduire leur rôle à celui de « tampon » entre patron et salarié dans les situations de conflit. « Accompagner un licenciement, raconte Andrée Gagey qui travaille sur Toulon, c'est aussi, par exemple, réussir à obtenir pour une personne licenciée pour faute, un certificat de bonne conduite de la part de l'employeur, afin qu'elle retrouve plus facilement du travail. »
Et puis le positionnement même de la structure de l'union patronale, prestataire extérieur de service, aide les professionnelles à mieux gérer l'ambivalence inhérente à la profession et à poser clairement le cadre de leur intervention. Certes, rappelle Thierry Balazuc, « avec la crise, l'exigence accrue des patrons pour le service rendu nous place presque dans une relation client/fournisseur. Nous sommes de fait inscrits dans une démarche commerciale de service. » Certaines assistantes sociales - celles qui le souhaitent uniquement - consacrent d'ailleurs une partie de leur temps de travail à « démarcher » les employeurs. Mais au-delà d'une certaine pression, être prestataire extérieur comporte d'indéniables atouts selon l'équipe : une liberté d'abord, difficile à obtenir quand on intervient en interne et qui permet un respect des règles déontologiques de base que sont la confidentialité et le respect de la personne. « Nous n'avons pas de comptes à rendre autres que statistiques au chef d'entreprise », soulignent-elles. « Le personnel aura plus confiance en quelqu'un d'extérieur, moins impliqué dans la vie de l'entreprise », reconnaît de son côté Gérald Février, chef d'une entreprise de 95 salariés. D'ail leurs, poursuit-il, « je ne sais volontairement pas grand-chose de ce que fait l'assistante sociale ». Un son de cloche différent, néanmoins, chez Guy Rouillé, dirigeant d'une entreprise de 1 000 salariés qui assure lui-même « la sélection des demandes susceptibles d'être transmises au service social ». Quoi qu'il en soit, précise Christine Ducourneau, « nous avons plusieurs façons de nous faire connaître des salariés : affiches, papillons et ils peuvent bien sûr prendre directement contact avec nous ».
Avantages également de la structure : le fait de pouvoir trouver un soutien logistique au sein de l'UPV, notamment en matière juridique. Mais surtout le fait de pouvoir s'appuyer sur la coordinatrice départementale et les sept autres « secrétaires sociales », dont les compétences techniques et administratives « en font des membres à part entière de l'équipe sociale », selon Thierry Balazuc. Enfin, l'équipe juge important de ne pas avoir à intervenir « à la vacation facturée », comme c'est le cas pour les autres services sociaux interentreprises privés. Le type de financement par cotisations permet en effet de mutualiser le fonctionnement et de travailler de façon suivie, continue et globale et ce, quelle que soit la taille de l'établissement. Revers de la médaille : entrer dans l'entreprise, s'y faire accepter et réussir à y jouer un rôle sont des tâches difficiles. « Avec les directions des ressources humaines, ça se passe bien, car on les décharge de problèmes. En revanche, les relations peuvent parfois être plus délicates au début avec une secrétaire ou un délégué du personnel qui jouaient les confidents ou les justiciers », convient la coordinatrice, Josiane Moutte. Et puis, « tant qu'il s'agit de suivi individuel, les chefs d'entreprise en comprennent bien l'intérêt. C'est plus difficile quand il s'agit de promouvoir une action collective » qui concerne, par exemple, les conditions de travail ou la mise en place d'une crèche, note le responsable de l'équipe.
Ainsi, quand le service, il y a environ cinq ans, a été sollicité par le conseil général pour participer à des missions collectives d'insertion, le plus difficile a, semble-t-il, été de trouver et de convaincre les entreprises susceptibles de s'y investir. En conséquence, « nos actions d'insertion sont modestes et on ne les fait pas avec toutes les entreprises », précise Thierry Balazuc. La première de ces actions, en partenariat avec l'Agefiph, fait du service social de l'UPV le coordinateur du plan départemental d'insertion des travailleurs handicapés. Il assure l'information des entreprises sur le sujet et l'accompagnement du travailleur pendant six mois, afin de gérer les difficultés et de pérenniser le contrat. L'équipe s'est également engagée à accompagner l'insertion de bénéficiaires du RMI dans le monde du travail. « Jusqu'alors, le volet insertion allait jusqu'à la porte de l'entreprise », explique-t-on. Il s'agit donc de profiter de la connaissance du monde de l'entreprise que possède le service social de l'UPV et surtout du fait qu'il soit le seul à y pénétrer vraiment. Sonia Louis, sur le secteur de Fréjus, a ainsi accompagné un groupe de 26 femmes dans des contrats de travail en entreprise horticole. « Car ces femmes, souvent seules avec leurs enfants, mal logées, avaient de nouveaux problèmes, notamment celui de la garde des enfants. Sans compter les conditions de travail, 40 à 45° accroupies sous les serres, vraiment difficiles. » L'action de Sonia Louis a été menée en partenariat constant avec la caisse d'allocations familiales, la mutualité sociale agricole et les assistantes sociales de secteur et a permis à certaines femmes de passer le cap des débuts difficiles et d'intégrer durablement l'entreprise.
Dernière en date de ces démarches, la participation du service au projet d'insertion des jeunes en difficulté mis en place par la commission paritaire interprofessionnelle régionale de l'emploi (Copire) de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur dans le cadre d'une opération nationale (2). Le projet a consisté, dès 1996, à trouver 100 employeurs qui acceptent de prendre 100 jeunes en contrat de qualification. Objectif : éviter l'échec trop fréquent de ce type de contrat en proposant un suivi social et professionnel personnalisé assuré par les assistantes sociales du service au cours des trois premiers mois passés dans l'établissement. « Davantage dans un travail de correspondantes socio-professionnelles en interface entre le jeune et une entreprise qu'elles connaissaient bien », les assistantes de l'UPV ont été confrontées à quelques difficultés, explique Thierry Balazuc : « Entreprises impatientes, suivi trop court, manque d'information et de connaissances sur le contenu des contrats et des formations des jeunes. » Ayant affaire à des populations différentes, « ce sont aussi des techniques de travail nouvelles qu'il faut mettre en place, et puis aussi des postes supplémentaires pour faire face à la surcharge de travail » qu'impliquent ces nouvelles missions, estiment les assistantes sociales de concert. Des missions qui enrichissent aussi le travail, le rendent plus valorisant, reconnaît Christine Ducourneau : « On a l'impression d'être partie prenante du développement économique et pas seulement d'agir après coup, en pansement. »
Valérie Larmignat
(1) Voir ASH n° 2078 du 3-07-98.
(2) Les unions patronales sont des syndicats interprofessionnels auxquels adhèrent volontairement les entreprises. Elles représentent localement le CNPF et/ou la CGPME. UPV Social : 9, place de la Liberté - BP 461 - 83055 Toulon cedex - Tél. 04 94 09 78 86.