Recevoir la newsletter

La parole aux parents

Article réservé aux abonnés

Depuis quatre ans, tous les 15 jours, des parents de jeunes confiés à la PJJ se retrouvent au CAE de Voisins-le-Bretonneux, pour parler de leurs difficultés éducatives. Objectif : les aider à assumer leur rôle plutôt que les stigmatiser.

Madame Martin est visiblement émue. Ce soir, pour la dernière fois, elle participe au groupe-parents créé par l'équipe du centre d'action éducative  (CAE) de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ), à Voisins-le-Bretonneux (Yvelines)   (1). Depuis deux ans, cette petite femme, d'apparence réservée, vient tous les 15 jours au centre, échanger avec d'autres parents d'enfants relevant d'une mesure éducative. Au fil des rencontres, elle a ainsi pu parler de ses peurs, de ses colères, de son sentiment d'impuissance, parfois, face à son fils. Et si, aujourd'hui, tous ses problèmes ne sont pas réglés, au moins s'est-elle senti écoutée et reconnue en tant que parent.

Briser le lien de dépendance

A l'heure où certains parlent de « responsabiliser » les parents des jeunes délinquants en les sanctionnant, des professionnels de la protection de l'enfance cherchent des solutions plus douces et, surtout, plus efficaces, pour aider les parents en difficulté à réinvestir leur rôle éducatif. C'est ainsi qu'est né, en 1994, le groupe-parents de Voisins-le-Bretonneux, à l'initiative de Michèle Lacroix, une éducatrice venue de la région lyonnaise. « A Villeurbane, où je travaillais auparavant, nous avions mis sur pied un groupe de parole ouvert aux parents. J'ai donc naturellement proposé de faire la même chose dans les Yvelines », se souvient-elle. A l'époque, il lui faut cependant convaincre des collègues qui ne sont pas tous persuadés de l'utilité d'un tel système. Car si les groupes de parole sont loin d'être une nouveauté, ils n'ont jamais eu beaucoup de succès à la PJJ. « Je me suis heurtée à des résistances, raconte l'éducatrice, car ce projet bousculait une certaine conception du travail éducatif. En effet, lorsqu'on laisse la parole aux parents, on sort de la relation duelle qui se noue trop souvent avec eux. Ce détour par le collectif affine pourtant notre pratique professionnelle quotidienne, car un partenariat s'instaure avec les parents et les enfants et non plus un lien d'assistance. »

Il faudra attendre l'installation du CAE à Voisins, en tant qu'antenne décentralisée de celui de Versailles, pour que l'idée prenne corps et soit intégrée au projet de la nouvelle équipe. Pour celle-ci, il s'agit d'aider les parents, grâce à un « travail de restauration » de leur rôle éducatif. « Le fait d'avoir en face de soi des gens qui rencontrent également des problèmes avec leurs enfants et avec lesquels on peut parler est souvent une découverte. D'autant que la parole d'un autre parent n'est pas reçue de la même façon que celle d'un professionnel », explique Michèle Lacroix. Ce processus, qu'elle nomme le « jeu du miroir », permet à chacun de se voir avec les yeux des autres, sans crainte d'être jugé. « En effet, analyse Martine Gandrey, psychologue au CAE, quand les parents arrivent à la PJJ, ils sont convaincus qu'ils n'ont pas su éduquer leur enfant et se sentent disqualifiés aux yeux du corps social. C'est une situation très pénible à vivre. Or, quand ils se retrouvent entre eux, ils se rendent compte qu'ils ne sont pas les seuls et, surtout, qu'on les écoute. Ce genre de groupe peut promouvoir les potentialités de chacun en dépit de situations parfois très dégradées. » D'où, d'ailleurs, la colère de l'équipe lorsque certains responsables politiques réclament des sanctions contre les parents « démissionnaires ». « Il n'y a pas de démission parentale, s'enflamme la psychologue, ces parents sont conscients de leur rôle, même s'ils rencontrent d'importantes difficultés à maintenir des exigences éducatives ou à apprécier les bonnes réponses par rapport aux besoins de leurs enfants. » Au début, le groupe-parents s'adressait uniquement aux mères isolées. Mais, rapidement, il est apparu nécessaire de l'ouvrir à tous, en particulier aux hommes. « On parlait déjà beaucoup de la désertion des pères et nous espérions démontrer qu'eux aussi étaient mobilisables. Nous avons donc décidé de solliciter tous les parents », justifie Michèle Lacroix. Résultat : plusieurs pères participent aujourd'hui régulièrement aux réunions.

Une dizaine de parents

Concrètement, les parents sont informés de l'existence du groupe au début de chaque mesure. Ensuite, chacun est libre d'y participer, ou non. « Ce qui est intéressant, c'est qu'il n'y a pas de profil type. On trouve des gens de différentes origines sociales, culturelles et professionnelles », constate Martine Gandrey. De même, aucune distinction n'est faite selon la nature de la mesure, qu'elle soit civile ou pénale. « On sait bien que les problèmes de tous ces jeunes ont des origines communes. Et le fait d'en parler peut intéresser l'ensemble des parents », souligne l'un des membres de l'équipe éducative. Seule limite imposée : la participation au groupe s'achève avec la fin de la mesure. Evidemment, tous les parents ne viennent pas. Actuellement, sur près de 70 familles, seuls une dizaine d'entre eux sont régulièrement présents. « Il est vrai que ce système ne peut fonctionner qu'avec des gens déjà prêts à entrer dans une logique d'échange. Mais il faut parfois insister. Nous avons eu le cas d'une mère qui affirmait n'avoir rien à dire. Elle est tout de même venue et, en fin de compte, elle est restée trois ans », raconte Michèle Lacroix.

Les réunions, qui ont lieu un lundi sur deux, en début de soirée, durent environ une heure et demie. « Il ne s'agit pas d'un groupe thérapeutique fermé mais bien d'un lieu d'échange ouvert », rappelle Martine Gandrey. La discussion s'organise donc de façon plutôt libre et informelle. « Au début, un peu pour nous rassurer, nous proposions des thèmes précis, se souvient l'éducatrice, mais, avec le temps, nous nous sommes rendu compte que les parents étaient tout à fait capables de s'approprier leur propre parole. Nous sommes donc devenus plus discrets et, surtout, nous évitons de tenir des propos professionnels. D'ail leurs, les parents ne nous sollicitent pas en tant que travailleurs sociaux. Nous avons surtout un rôle de témoins et de régulateurs pour que tout le monde puisse s'exprimer. » Trois membres de l'équipe assistent systématiquement aux réunions. Parmi eux, Marianne Dussurgey, attachée à la direction départementale de la PJJ, occupe une fonction à part. Elle est en effet chargée de consigner, par écrit, les propos des participants et, à la fin de chaque séance, d'en résumer l'essentiel dans un court texte dont elle donne lecture au groupe. Un moment toujours très attendu car, pour les participants, c'est le signe que leur parole est réellement prise en compte. En outre, défend Marianne Dussurgey, c'est une façon de « lutter contre la dilution et l'oubli de moments forts, essentiels, exceptionnels » et « d'arracher des fragments à une mémoire pour qu'il y ait constitution de mémoire et, par là, renoncer à transformer la souffrance en violence ». Ces textes, d'une tournure assez littéraire, restent la propriété collective du groupe et ne sont jamais diffusés sans son autorisation. De même, tout ce qui est dit demeure confidentiel. Ainsi, pas question d'utiliser, dans un rapport au juge des enfants, des propos tenus dans le cadre du groupe-parents.

De quoi parle-t-on lors des réunions ? « De tout, répondent les travailleurs sociaux, il n'y a pas de sujet tabou. D'ailleurs, les parents savent bien que s'ils sont là, c'est qu'il y a des problèmes. Mais si quelqu'un ne veut rien dire, ce choix est également respecté. » Le plus souvent, l'échange s'organise à partir d'une situation précise, évoquée par l'un des participants. Certains thèmes reviennent cependant de façon récurrente, constate Véronique Coquille, éducatrice stagiaire, dans le mémoire qu'elle a consacré au groupe-parents. Parmi ces sujets clés : le placement des enfants, les relations quotidiennes parents-enfants, les enfants et l'environnement (la cité, les voisins, l'école... ). « Et au travers de ces thèmes, note l'étudiante, les parents parlent de leur enfant mais aussi de l'enfant qu'ils étaient. [...] »

Une soupape de sécurité

De fait, pour certains parents, ce lieu de parole peut être l'occasion d'évoquer des épisodes tus du passé. Comme cette mère qui avait avoué que le véritable père de son enfant n'était pas celui dont il portait le nom. « Elle voulait voir comment cette nouvelle était accueillie. Et ce n'est qu'après qu'elle a pu en parler à son enfant », raconte l'éducatrice, soulignant l'importance de ce travail de « transmission générationnel ». Pour d'autres, le groupe peut servir de soupape de sécurité. Ainsi, un père maltraitant - lui-même maltraité lorsqu'il était enfant - arrivait régulièrement en colère. Un comportement analysé par l'équipe comme une façon, pour lui, d'éviter de passer à l'acte. « Dans ces cas-là, le groupe sent que la personne va mal et qu'il faut l'écouter. Le respect de la parole de l'autre est d'ailleurs remarquable. De même, il n'y a jamais d'écarts de langage. En revanche, il y a beaucoup d'humour, ce qui permet de faire passer pas mal de choses », souligne Michèle Lacroix. Evidemment, s'agissant de sujets aussi sensibles, il peut arriver que la discussion dérape. Un soir, une mère évoquait les tentatives de suicide de son fils lorsqu'une jeune femme africaine se mit à rire sans pouvoir s'arrêter. La maman s'est alors effondrée en larmes. « En fait, nous nous sommes rendu compte que, pour cette jeune Africaine, le suicide n'avait pas le même sens que pour nous. Elle l'assimilait à une forme de chantage affectif. Après coup, ça a permis à tout le monde de réfléchir. » Chaque rencontre se termine invariablement autour d'un verre offert par le centre. Un moment convivial qui aide à faire retomber la pression. « C'est un rituel très important car, pour certains parents, le fait de venir aux réunions représente un effort important. Ainsi, symboliquement, après avoir donné, ils reçoivent et partagent quelque chose ensemble. Cet échange participe aussi à renouer une forme de lien social », observe Martine Gandrey.

Comment les jeunes suivis au CAE réagissent-ils à cette expérience ? « Ils sont attentifs et curieux. Avec tout ce que l'on peut imaginer de leurs fantasmes sur le contenu des échanges », note la psychologue. « De façon intuitive, poursuit-elle, les enfants sentent que le groupe occupe une place importante dans le déroulement de la mesure. Ça n'est pas rien de voir leurs parents venir au CAE, le soir, en prenant sur leur temps personnel. » C'est d'ailleurs à la demande de certains jeunes que les parents ont accepté de leur ouvrir leur réunion à Noël et avant les vacances d'été. Pourquoi ne pas avoir créé, aussi, un groupe pour eux ? Par manque de temps et de moyens, regrettent les professionnels, mais aussi par choix de donner d'abord la parole aux parents.

Quatre ans après son démarrage, quel bilan tirer de cette expérience ? « Il ne faut pas en attendre des miracles mais tous les participants en ont tiré profit, d'une façon ou d'une autre. Même si les résultats restent fragiles », affirment les trois animatrices. Pour elles, cela modifie les images négatives que les parents ont d'eux-mêmes, et induit, au quotidien, des comportements éducatifs mieux adaptés que la violence ou l'impuissance qui sont, trop souvent, leurs seules réponses. « On voit certaines personnes se réapproprier des conduites éducatives que l'on pensait perdues. » L'initiative a ainsi progressivement fait tache d'huile au sein de la PJJ. D'abord dans les Yvelines, où plusieurs équipes ont montré de l'intérêt pour cet outil. Ensuite au niveau national, grâce au prix des initiatives en milieu ouvert, décerné au groupe-parents, en 1997, par le ministère de la Justice (2). Depuis, le CAE est régulièrement sollicité par d'autres équipes éducatives, en Ile-de-France et en province. Des expériences similaires ont été lancées, notamment à Houilles (Yvelines) et Créteil (Val-de-Marne), et ailleurs d'autres projets sont en chantier. « Ce système est séduisant, mais il ne faut pas y voir une panacée ou un nouveau modèle d'intervention. En outre, cela implique une certaine mobilisation de la part des travailleurs sociaux », prévient cependant Martine Gandrey. En réalité , expliquait Michèle Lacroix, en mars dernier, aux « transéducatives » de Saint-Brieuc, « c'est une nouvelle place à prendre, sans pour autant abandonner nos missions traditionnelles. C'est un espace de création, pour plus de plaisir, plus d'envie et peut-être plus d'espoir. »

Jérôme Vachon

Notes

(1)  CAE : 6, rue des Tilleuls - 78960 Voisins-le-Bretonneux - Tél. 01 30 96 65 99.

(2)  Voir ASH n° 2012 du 28-02-97.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur