« L'idée, en créant les missions locales au début des années 80, ça n'était pas forcément de mettre en place des structures spécifiques, des institutions en tant que telles », explique Jean-Marie Terrien, directeur de la mission locale de Nantes et président de l'Association nationale des directeurs de missions locales (ANDML) (2). L'objectif était alors plutôt de regrouper des services rendus aux jeunes et surtout de faire en sorte « qu'il existe quelque chose pour guider ceux visiblement exclus des circuits de l'Education nationale et de l'ANPE », précise Maryse Delaunay qui dirige la mission locale de Poitiers (3).
On comprend, dès lors, pourquoi le législateur a désigné le réseau des missions locales et PAIO comme principal maître d'œuvre de la mesure centrale, destinée aux jeunes, de la loi contre les exclusions :le programme TRACE. Ce dispositif prévoit un parcours de 18 mois vers l'emploi - avec accompagnement personnalisé et renforcé - pour les jeunes de 16 à 25 ans sans rupture de protection sociale ni de ressources. Qu'en pensent les missions locales ? Comment sa mise en application est-elle envisagée ? Comment va-t-il prendre sa place dans, ou à côté, des mesures déjà existantes ? Enfin, le réseau est-il prêt et a-t-il les moyens de piloter ce programme alors que, l'année dernière encore, l'ANDML dénonçait « les moyens très insuffisants des missions locales de certaines régions pour faire face aux problèmes rencontrés » (4) ?Les directeurs réclamaient d'ailleurs à cette occasion « un plan national coordonné » pour l'insertion des jeunes. TRACE correspond-il à ce qu'ils attendaient ? Si à l'ANDML on estime que le dispositif « semble porteur d'espoir et d'intérêt », notamment en ce qu'il apporte les moyens d'une continuité dans le suivi et « é vite les ruptures de statut social », sur le terrain, à Poitiers et à Orléans, les avis sont partagés. Pour André Casa Miquela, directeur de la mission locale d'Orléans (5), qui a suivi plus de 5 000 jeunes en 1997 (dans une cinquantaine de points d'accueil communaux), la mesure va en effet permettre « d'assumer ce qu'on ne peut pas faire aujourd'hui, c'est-à-dire une continuité complète de l'accompagnement jusqu'à l'emploi, en gérant les ruptures, notamment de revenus ». Or cet aspect s'avère, selon lui, d'autant plus essentiel que la structure reçoit de plus en plus de jeunes en situation de très forte précarité et qui relèvent, plus que jamais, d'un suivi global. Et si Maryse Delaunay reconnaît la nécessité d'une telle approche, elle juge le programme porteur « d'injonctions contradictoires ». « Comment peut-on, dans la durée maximale de 18 mois, avoir à la fois pour objectifs l'accès à l'emploi durable et le traitement de la globalité des difficultés -psychologiques, de santé ? », s'interroge-t-elle.
Une chose est sûre cependant pour eux : « Le parcours personnalisé, c'est en fait ce qu'on fait déjà ». A Orléans, en effet, outre les dispositifs d'accès à l'emploi déjà mis en place à travers des aides à la recherche ou des plans de formation, 84 jeunes ont été intégrés, en 1997, au module de préorientation professionnelle (MPOP). « Une mesure dont a pu s'inspirer TRACE et qui lui ressemble beaucoup », note André Casa Miquela. Chaque jeune, dès la première phase du dispositif (175 heures de formation et définition d'un projet), peut compter sur l'accompagnement continu d'un référent qu'il s'est choisi parmi les différents partenaires (conseiller d'insertion, éducateur de rue, animateur de quartier, responsable de sa formation) réunis dans un groupe d'appui. « Donc, techniquement, on est prêt pour mettre en place TRACE, le MPOP y sera intégré et tout le partenariat déjà construit sera mobilisé sur une plus longue période », explique le directeur qui, comme Jean-Marie Terrien, voit l'occasion d'une reconnaissance des missions locales et « de clarifier leur rôle ».
A Poitiers, la convention passée entre le réseau des PAIO, la mission et la région Poitou-Charentes - et qui a pris le nom d'accompagnement des jeunes pour une insertion réussie (ACJIR) - regroupe également accompagnement social individuel et accès à l'emploi. Ce dernier est finalement assez proche du dispositif prévu par la loi. Mais ici, TRACE dérange. « Il décrit ce que l'on fait déjà en venant poser des limites de temps là où, justement, on pensait qu'il n'y avait pas de durée moyenne pertinente d'accompagnement », estime Maryse Delaunay. « Et en présentant ce type de parcours comme nouveau, il nie notre travail et notre professionnalité ». Pour elle, c'est clair, l'original local vaut mieux que la copie rigide que la loi veut imposer. Cette directrice n'étant pas non plus vraiment convaincue par la mise en avant, dans le texte de loi, du partenariat comme outil central de la continuité du parcours. « Il est évident que ce qui doit changer, c'est la manière de travailler ensemble afin de coordonner les interventions autour du jeune. Mais TRACE reste très vague et finalement incantatoire sur l'interministérialité et le partenariat alors qu'on aurait besoin de méthodes de travail communes », s'inquiète-t-elle. De même celle-ci s'interroge sur la capacité de l'Education nationale et de l'ANPE à assumer, au même titre que les missions locales, le rôle de pilote du projet dans certaines zones. Des réticences que l'on ne partage pas à Orléans, où l'on souligne, au contraire, que le dispositif contient une mesure essentielle quand il prévoit « le repérage des jeunes en commun, c'est-à-dire pas seulement par les missions locales, qui, en fait, ont du mal à toucher les jeunes très loin de l'emploi ». La question du rôle du réseau des missions locales-PAIO reste d'ailleurs posée : pilote ou opérateur ? Les textes évoquent les deux, mais Jean-Marie Terrien, fidèle sans doute à la conception d'origine des missions locales, préférerait qu'elles restent des coordinatrices. « Attention à ne pas devenir des'super centres" d'insertion », met-il en garde. Un souci partagé d'ailleurs par Maryse Delaunay qui redoute « une institutionnalisation accrue qui éloignerait encore les jeunes les plus en difficulté des missions locales ».
Mais c'est finalement la question de la philosophie du travail mené au sein des missions locales et permanences d'accueil que semble soulever le dispositif gouvernemental. Selon André Casa Miquela, il s'agit d' « un programme ciblé, quantitativement bien évalué, qui laisse la possibilité de combiner et d'adapter les parcours des jeunes, avec, en outre, une bonne durée et qui véhicule l'idée pour le jeune que pendant 18 mois, on va tout faire pour le mener à l'emploi ». Aussi, à Orléans, on estime à 150 les jeunes « qui pourront être traités », dès que possible, soit 15 à 20 jeunes par conseiller. Maryse Delaunay, elle, voit plutôt rouge : « On fait comme si l'accompagnement des jeunes allait résoudre, par miracle, les problèmes. Or, le contexte de pénurie d'emplois reste le même. Ça veut dire qu'on raisonne de manière très mécaniste. Il s'agit de rendre les jeunes rapidement économiquement corrects. » Et de dénoncer tout dispositif qui, comme TRACE, demande des résultats chiffrés en ce domaine. « Dans ces cas-là, pour faire du résultat, on est amené à faire de la discrimination, de l'écrémage et choisir les jeunes qui auront le plus de'chance de..." C'est ce que font les plans locaux d'insertion, tout le monde le sait », s'insurge-t-elle. Mi-juin, les structures d'accueil du Poitou-Charentes ont ainsi fait savoir à la direction régionale du travail, de la formation professionnelle et de l'emploi et à la préfecture qui les avaient conviées à une réunion sur le sujet, qu'elles refusaient de choisir les pilotes et ont demandé, au vu du bon fonctionnement de leur dispositif local, « que TRACE ne soit appliqué que de manière expérimentale ». De son côté, si à l'ANDML on est plus nuancé et l'on juge que TRACE peut être un bon outil, ce n'est qu'à certaines conditions. Et Jean-Marie Terrien de s'interroger sur le contenu des 18 mois. « S'il s'agit seulement de faire plus d'entretiens et d'assurer un revenu, cela ressemble fort à un RMI-jeunes dont nous ne voulons pas. Cela veut dire qu'il va falloir assouplir tous les outils, notamment les conditions d'accès et les durées des CES, des stages, des contrats de qualification afin que nous en soyons un peu plus maîtres. » Or, à ce sujet, il s'avoue « peu rassuré ». Quant aux moyens financiers, le président de l'ANDML rappelle que le réseau a fait l'objet, depuis deux ans, d'un plan de rattrapage, et que « de gros efforts » ont été accomplis. La loi prévoit en outre un engagement de l'Etat et des collectivités locales. Mais Jean-Marie Terrien ne cache pas son inquiétude dans l'attente du renouvellement des priorités, fin 1999, du Fonds social européen qui participe à hauteur de 40 % à la subvention étatique. « Que va-t-il se passer si le Fonds décide que nous ne sommes plus une priorité ? », s'interroge-t-il, évoquant également ses craintes face aux financements des régions en raison de la situation politique de certaines d'entre elles. Enfin, il faut aussi, pour le président, réfléchir à la cohésion du réseau et pourquoi pas à l'élaboration d'une convention collective des structures d'accueil. TRACE pouvant être l'occasion de mieux encadrer la nébuleuse récente des métiers de l'insertion.
Valérie Larmignat
Le réseau, qui comptait une cinquantaine de structures en 1982, en regroupe aujourd'hui environ 700, avec 300 missions locales et 400 permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO). Associations loi 1901 dans l'écrasante majorité des cas, elles sont subventionnées par l'Etat et les collectivités locales, avec, très souvent, des financements régionaux au titre des crédits de formation. Les 6 000 salariés - des conseillers d'insertion essentiellement - ont rencontré environ 1,2 million de jeunes en 1997. Des jeunes sans qualification ou ayant un très faible niveau de formation et avec lesquels les missions locales tentent d'élaborer une stratégie de mise ou de remise sur les rails de la formation et/ou de l'emploi en utilisant notamment les outils disponibles (contrats de qualification, stages, TUC, CES, etc.). Mais la philosophie des missions locales est, depuis l'origine, celle du traitement global et de l'accompagnement. Ainsi, au-delà de la seule insertion professionnelle, elles proposent une aide en matière de logement et de santé et peuvent aussi utiliser le Fonds d'aide aux jeunes (FAJ). Ces fonctions sont d'ailleurs devenues d'autant plus importantes que le public reçu a évolué. Il est aujourd'hui davantage constitué de jeunes ayant le bac ou le niveau bac et d'une forte proportion de jeunes cumulant des problèmes de précarité économique, familiale et d'entrée sur le marché du travail. Dans un contexte de forte montée du chômage, les missions locales ont donc été en quelque sorte victimes de leur succès et sont aujourd'hui, bel et bien, un peu malgré elles, « de véritables institutions et des lieux centraux pour les jeunes en difficulté ». Certaines, encouragées par la loi quinquennale pour l'emploi de 1995, sont même devenues des espaces-jeunes c'est-à-dire des guichets uniques qui, ayant passé une convention avec l'ANPE, reçoivent « en direct » ses offres d'emploi.
(1) Voir ASH n° 2080 du 17-07-98.
(2) ANDML : 35, rue d'Angleterre - 44000 Nantes - Tél. 02 40 12 17 77.
(3) Mission locale d'insertion : 30, rue des Feuillants - 86000 Poitiers - Tél. 05 49 30 08 50.
(4) Voir ASH n° 2009 du 7-02-97.
(5) Mission locale Jeune emploi formation : 9, boulevard de Verdun - 45000 Orléans - Tél. 02 38 78 91 92.