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L'examen de conscience des professionnels

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Aujourd'hui, quelques enquêtes permettent de mieux mesurer le phénomène de maltraitance envers les personnes âgées. Mais les professionnels ne savent pas toujours comment faire pour prévenir ou arrêter la violence.

« La maltraitance des personnes âgées représente le tabou des tabous », soulignait Huguette Vigneron Meleder, médecin à la DRASS des Pays de la Loire, à l'occasion d'un congrès de gérontologie organisé par le Coderpa de Loire-Atlantique (1). « 5 à 15 % des plus de 65 ans et 20 % des plus de 80 ans seraient concernés. Il s'agirait plutôt de femmes, parce qu'elles sont plus nombreuses dans cette tranche d'âge, et elles souffriraient de troubles intellectuels. Toutes ces données sont au conditionnel car,  jusqu'à présent, peu d'études ont été consacrées à ce phénomène. » Et pour cause : le sujet reste effectivement enveloppé de silence, comme le fut en son temps la pédophilie. Peut-être, ainsi que le suggère André Trillard, conseiller général de Loire-Atlantique, parce que notre société n'est pas capable de « considérer les personnes âgées comme des êtres humains ayant des droits, des devoirs et même des aspirations malgré leur grand âge ». En outre, les violences -  psychologiques ou physiques - à l'encontre de ces hommes et de ces femmes restent difficiles à appréhender. Elles se produisent dans les familles ou au sein des institutions, deux milieux très fermés. Enfin, les victimes ne se plaignent pas : il leur est très difficile de dénoncer leurs propres enfants lorsque la maltraitance se déroule au domicile, à moins qu'elles ne craignent de se retrouver à la rue ou en maison de retraite.

Des violences morales

Pourtant, depuis peu, des professionnels lèvent le voile en réalisant des études qui tentent de mesurer le phénomène, ses causes et ses responsables. Les permanences téléphoniques d'Alma (allô-maltraitance des personnes âgées), à l'écoute des victimes ou de leur entourage depuis 1995, ont permis de dégager quelques chiffres (2).

Une enquête, réalisée en février 1997 par Monique Mallier, directrice de soins infirmiers au centre hospitalier du Nord-Mayenne (3), a le mérite de s'intéresser plus particulièrement aux violences institutionnelles. 128 professionnels ont été interrogés au sein de quatre maisons de retraite et trois centres hospitaliers, ainsi que 22 étudiants en soins infirmiers et 31 libéraux. Les professions représentées concernent des directeurs, des aides-soignants, des agents des services hospitaliers, des infirmiers et des kinésithérapeutes. Au total :489 questionnaires envoyés, 181 retournés soit un taux de réponse de 37 %. Les résultats permettent de mieux cerner ce que l'on entend précisément par maltraitance. « Nous observons en premier lieu une violence morale qui peut être verbale, psychologique ou sociologique », souligne Monique Mallier, en précisant : « De l'avis de l'ensemble des professionnels, parmi les violences verbales, ce sont les ordres (46 %), les interdictions (41 %) et les reproches (40 %) qui sont rencontrés les plus fréquemment. Pour les violences psychologiques, le manque d'écoute (63 %) et le non-respect du rythme de la personne âgée (63 %) arrivent en tête. Mais le non-respect des désirs, de l'intimité, l'infantilisation et le tutoiement sont également fréquents. Enfin, la privation de liberté et le placement arbitraire sont les deux violences de type sociologique les plus observées par le personnel. » Les professionnels évoquent une deuxième forme de maltraitance, par excès ou négligence :non-prise en compte des capacités (45 %), de la douleur (37 %), absence de communication (38 %), ou bien manque d'aide à la marche (44 %). Ce dernier constat étant « évident dans toutes les institutions gériatriques, note Monique Mallier, et effectué par toutes les catégories professionnelles ». L'acharnement thérapeutique est également dénoncé par un tiers des personnes interrogées. Concernant les violences physiques, 30 % des sondés considèrent que les toilettes sont pratiquées de façon intempestive, tandis que les excès de calmants sont cités par 22 % d'entre eux. Enfin, l'enquête aborde « la violence matérielle » (vols d'argent, détournement de biens, matériel inadapté, etc.) et « architecturale », c'est-à-dire, plus simplement, des locaux inadaptés.

Malgré ces témoignages, Monique Mallier fait remarquer que « la violence au quotidien n'est pas aisée à reconnaître car elle est masquée par l'habitude. Elle se présente plutôt comme la violence passive du laisser-faire. » Elle est aussi, selon ses observations, une réponse de la part des soignants à des comportements dérangeants émanant du pensionnaire âgé : agressivité, non-communication ou cris. Même si la majorité des professionnels du soin estime que ces façons d'agir cachent le plus souvent des appels à l'aide, beaucoup réagissent par de l'énervement (51 %), du stress, de la colère ou du désarroi (33 %), mais aussi par des formes de violence (23 %).

A qui la faute, serait-on tenté de demander ? Les données chiffrées recueillies par Monique Mallier constituent un début de réponse : « 25 % des professionnels n'ont pas choisi de travailler auprès des personnes âgées.26 % souhaiteraient exercer leur activité dans un autre secteur. Quand le travail auprès des aînés n'est pas véritablement un choix, les agents sont-ils en mesure de les comprendre, de les écouter et de les accompagner ? » Question de recrutement donc, mais aussi de formation : 35 % des agents ne connaissent pas la charte des droits et libertés des personnes âgées hébergées en institution et 11 % n'ont jamais été formés. « De ce fait, le personnel se sent en danger et soumis à une pression psychologique insupportable. » Dans l'enquête de Monique Mallier, les trois principales causes de violence évoquées sont la fatigue (69 %), la charge de travail (62 %) et le manque de personnel (61 %). Le professeur Robert Hugonot, à l'origine des centres d'appel Alma, rappelle, quant à lui, que « n'importe qui peut aujourd'hui devenir directeur d'une maison de retraite ». Et quelques professionnels présents au congrès nantais s'insurgent contre ce sempiternel « manque de formation, de temps et de moyens, comme si n'importe qui pouvait s'occuper d'une personne âgée au même titre que sa grand-mère, alors qu'il faut apprendre à aborder la maladie, le vieillissement... ».

Former les familles ?

D'autres évoquent également cette nécessité de formation, mais pour les familles cette fois-ci : « On pourrait les aider car elles sont quelquefois maltraitantes par ignorance. Ainsi, on attache un vieillard parce qu'on ne sait pas comment faire autrement. » D'où le rôle important, mais en même temps délicat, des intervenants au domicile de la personne âgée :pénétrant dans l'intimité des familles, ils se doivent d'être discrets tout en étant vigilants (4). Marie-Ange Presson, infirmière coordinatrice à l'association Soins Santé, un service de soins à domicile situé à Angers, témoigne : « La vigilance commence par l'observation journalière du comportement de la personne et de son entourage. L'apparition de coups sur le corps, de pleurs, de cris, de mutisme, de recroquevillement, de confusion chez quelqu'un communiquant normalement doit nous faire rechercher la cause du changement : chute, fièvre, maladie, deuil peuvent entraîner des bouleversements chez la personne. Lorsque aucun fait ne vient corroborer cette attitude, il faut signaler au responsable du service les changements, les faits observés. »

Comment venir en aide à la victime, en étant sûr et certain qu'il s'agit bien d'un cas de maltraitance et non d'un mode de vie très négligent (saleté, vétusté) accepté depuis toujours ?Comment ne pas compromettre la relation de confiance entre la personne âgée et le soignant à domicile ?Ne pas la transformer en otage de cette famille, contre laquelle il faudra intervenir pour remédier à une situation intolérable ? « Il faut agir en concertation avec les autres intervenants à domicile, et le médecin traitant a un rôle déterminant à jouer, souligne Marie-Ange Presson. L'issue de la situation dépend souvent de son attitude. Comme nous, il est très mal à l'aise et minimise parfois la gravité des faits et nous laisse la responsabilité d'agir. »

Selon cette infirmière, les professionnels doivent ensuite prévenir la personne maltraitée qu'une action va être intentée à sa place, et obtenir, si possible, son accord. Contacter également le maltraitant, puis entamer une procédure de demande de sauvegarde auprès du juge des tutelles aux majeurs protégés. Mais Marie-Ange Presson l'avoue elle-même : une telle mesure, si elle est accordée - au bout de plusieurs mois d'attente la plupart du temps - ne règle pas forcément tout. Et nombreux sont les professionnels qui évoquent leur solitude et leur désarroi. Telle cette infirmière libérale qui raconte : « Ma remplaçante a exercé des violences physiques sur la personne âgée dont je m'occupais. La famille n'a pas voulu porter plainte, le généraliste m'a dit'oh les vieux !" et la sécurité sociale m'a répondu que si la famille n'entamait aucune action, elle ne pouvait rien faire. » Une autre cite ce médecin qui, face à une personne âgée se plaignant de sa solitude et de sa détresse, bien qu'elle vive chez ses enfants, lui a répondu : « Vous n'êtes pas la seule dans ce cas... » D'autres encore expliquent que des réunions sont organisées sans qu'aucune suite ne soit donnée. Dernier cas de figure raconté par une assistante sociale : « Une personne âgée se faisait dépouiller par une vieille dame, mais c'était sa seule amie. Est-ce que je pouvais entamer une action, quitte à détruire tout son monde affectif ? » Enfin, Nathalie Desmoulins, juriste, évoque les limites d'une mesure de tutelle :n'y a-t-il pas une forme d'injustice à placer les biens d'une personne sous la supervision d'un délégué, sous prétexte qu'elle vient de se faire escroquer ? Aussi propose-t-elle une autre solution : la procédure de conciliation qui relève du tribunal de grande instance. Les conciliateurs peuvent être saisis par la famille, une assistante sociale ou une association de retraités, le but étant que tout le monde se rencontre pour un règlement à l'amiable.

Difficiles à mettre en œuvre lorsque la maltraitance se déroule au sein du foyer familial, les solutions ne sont guère plus simples en institution. Monique Mallier plaide, entre autres, pour une meilleure politique de recrutement du personnel, l'adoption par les établissements d'une charte des droits et libertés des personnes âgées, d'un règlement intérieur qui ne soit pas qu'une liste d'interdits, et surtout une formation des professionnels à une meilleure connaissance des personnes âgées, de soi, du travail en équipe... Mais l'infirmière nuance aussitôt ses propos : « Le manque de personnel qualifié est fortement revendiqué et sans doute justifié, mais attention aux revendications matérielles qui permettent d'admettre comme inévitables les dysfonctionnements de l'institution. »

Entre secret et non-assistance

Face aux cas de conscience auxquels peuvent être soumis certains soignants ou travailleurs sociaux, et de façon parfois très douloureuse, le professeur Olivier Rodat, chef de service de gériatrie au CHU de Nantes, oppose la loi, tout simplement : « La règle du secret professionnel est formelle. Celui qui s'en affranchit est puni de un an de prison et 100 000 F d'amende. D'un autre côté, il existe la notion de non-assistance à personne en danger, punie de cinq ans de prison et 500 000 F d'amende. Entre les deux, il y a la nécessité d'informer les autorités compétentes, de prendre des initiatives, de ne pas rester inerte. On ne doit pas pouvoir se reprocher d'avoir eu connaissance de ces mauvais traitements sur une personne âgée et de n'avoir rien fait. »

Anne Ulpat

Notes

(1)   « Détresses cachées - Vieux en danger », 3 juin 1998 à Nantes - Comité départemental des retraités et des personnes âgées : M. A. N. - Rue René-Viviani - BP 96219 - 44262 Nantes - Tél. 02 40 12 82 42.

(2)  Voir ASH n° 2010 du 14-02-97 et n° 2047 du 28-11-97.

(3)   « Les violences institutionnelles envers les personnes âgées : identifier les responsabilités pour mieux prévenir les risques. »  - DU en gérontologie sociale à l'université de Nantes - Monique Mallier : Centre hospitalier du Nord-Mayenne - 53103 Mayenne.

(4)  Voir notamment, sur les difficultés de l'intervention à domicile, ASH n° 2079 du 10-07-98.

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