ASH : La Fédération de l'Entraide protestante a toujours été très critique vis-à-vis de la loi de lutte contre l'exclusion. Pour quelles raisons ? B.R. : Pour nous, l'exclusion est la résultante de mécanismes qui sont surtout économiques, sociaux et éthiques. Et nous ne pensions pas qu'une loi répondrait à ces causes profondes. Notre revendication portait surtout sur l'accès de tous les citoyens au droit commun avec l'organisation d'un grand débat national. Malheureusement, ce n'est pas ce qui s'est passé et, du coup, cette loi est retombée dans la banalité. On est donc loin de l'objectif ambitieux du départ. En outre, nous avons été agacés par la manière dont ce projet a été mis en avant par ATD quart monde qui réclamait depuis longtemps une loi contre l'exclusion. Toutes les discussions avec ses responsables sont restées des dialogues de sourds et ils ont profité de la campagne présidentielle de 1995 pour obtenir des principaux candidats qu'ils s'engagent à faire voter ce texte. Or, je pense qu'il s'agissait d'un piège pour les associations. Les candidats ont sauté sur l'aubaine d'un effet d'annonce et, pour les pouvoirs publics, c'était une façon commode d'apporter une réponse sans rien résoudre sur le fond. Sans parler de l'effet stigmatisant d'une loi visant essentiellement les plus pauvres. ASH : Vous avez pourtant été membre du collectif « Alerte » qui, en 1995, soutenait l'idée d'une loi-cadre. N'est-ce pas un peu contradictoire ? B.R. : En réalité, nous sommes restés au sein du collectif pour tenter de le faire évoluer vers une analyse plus sérieuse de la situation et d'agir sur les causes de l'exclusion. Malheureusement, nous n'avons pas été entendu, ou très peu. La majorité s'est ralliée à l'idée d'une loi-cadre, il me semble, souvent pour des raisons tactiques. Car si cette option obtenait effectivement gain de cause, il valait mieux être dans le sens du courant que de faire figure de marginaux. A l'Entraide protestante, nous n'avons pas voulu rompre avec Alerte afin de peser lors des discussions avec les ministères. Je pense, d'ailleurs, que nous avons été écouté mais il était trop tard. Tout le monde était ligoté par l'engagement d'aboutir à une loi. ASH : Comment jugez-vous le texte qui vient d'être adopté ? Certains points rencontrent-ils, tout de même, votre approbation ? B.R. : Bien sûr. Certaines mesures peuvent avoir des effets mécaniques intéressants, comme le cumul d'un minimum social avec le revenu d'une activité. C'est une façon d'explorer une troisième voie entre l'assistance pure et l'emploi de type classique. De même, en matière de logement, la loi propose des avancées qui découlent assez logiquement de la loi Besson. Mais fallait-il une loi de lutte contre l'exclusion pour autant ? Je ne vois pas très bien comment on peut regrouper sous un même chapeau des éléments touchant à la fois à l'emploi, au logement, au surendettement... A mes yeux, ça n'est pas une démarche très cohérente. En fait, dans cette histoire, le principal bénéfice est l'important travail interministériel réalisé. Mais est-ce que cela permettra d'aborder les problèmes de l'exclusion de façon plus globale ? On le verra dans les années qui viennent. En revanche, la loi votée comporte plusieurs lacunes. Ainsi, il fallait sans doute commencer par l'assurance maladie universelle qui risque maintenant de prendre du retard. Par ailleurs, Martine Aubry avait promis d'apporter une réponse au problème du statut des centres d'adaptation à la vie active et des personnes qui y sont accueillies. Or même si ces centres sont intégrés dans la loi de 1975, il n'y a toujours pas de réponse satisfaisante. Pour nous, c'est une grande déception. Propos recueillis par J.V.
(1) Fédération de l'Entraide protestante : 47, rue de Clichy - 75311 Paris cedex 09 - Tél. 01 48 74 50 11.
(2) Voir ce numéro.