Le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions a fait l'objet de discussions passionnées, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, 500 amendements ayant été adoptés. De 82 articles prévus à l'origine (1), le texte définitif en compte 159. Et, alors que les associations avaient appelé, jusqu'au dernier moment, à un vote unanime, seuls les députés PS, PC et RCV l'ont approuvé, l'UDF et DL s'étant abstenus tandis que le RPR votait contre. Les groupes de l'opposition ont d'ailleurs déposé, dès le 10 juillet, un recours devant le Conseil constitutionnel, entendant faire barrage à cinq articles : la taxation et la réquisition des logements vacants, le droit accordé aux préfets de faire obstacle à une décision d'expulsion, l'adjudication de biens mobiliers saisis et la création d'un conseil de l'emploi, des revenus et de cohésion sociale (appelé à rétablir l'ancien CERC remplacé par le gouvernement d'Edouard Balladur par l'actuel Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts).
Nous présentons brièvement les principales mesures que comporte la loi, étant précisé qu'à la rentrée nous reviendrons de façon plus détaillée sur ce texte. Pour un « historique » de la loi, ainsi que la réaction des associations, lire ce numéro pages 5 et 31.
Concrètement, la loi s'articule autour de trois priorités au premier rang desquelles la nécessité de garantir l'accès aux droits fondamentaux. En effet, observait Martine Aubry, lors des débats parlementaires, « il est inutile de songer à mener une véritable politique de cohésion sociale si l'accès à l'emploi, l'obtention d'un logement ou encore la prévention et les soins demeurent des principes théoriques sans efficacité pratique ».
Premier volet d'importance, l'emploi, sur lequel d'ailleurs un relatif consensus s'est dégagé entre députés et sénateurs. Avec une mesure phare dans ce domaine, le programme TRACE (trajectoire d'accès à l'emploi), qui doit permettre, d'ici à l'an 2000, à 60 000 jeunes de 16 à 25 ans confrontés à des difficultés d'insertion graves de bénéficier d'un accompagnement personnalisé vers l'emploi. Sans attendre la publication de la loi, une première circulaire fait le point sur ce dispositif (voir ce numéro).
De plus, les contrats de qualification sont ouverts à titre expérimental (jusqu'au 31 décembre 2000) aux demandeurs d'emploi de plus de 26 ans rencontrant des difficultés sociales et professionnelles.
Par ailleurs, la loi donne une définition unifiée du secteur de l'insertion par l'activité économique et entend clarifier les conditions d'intervention de l'aide de l'Etat en faveur des différentes structures. Elle encadre l'activité des associations intermédiaires qui, désormais, doivent notamment avoir signé une convention de coopération avec l'ANPE. Mais elle supprime la clause de non-concurrence qui limitait le champ d'activité de ces associations aux activités « qui ne sont pas déjà assurées [...] par l'initiative privée ».
Les contrats emploi-solidarité (CES) sontrecentrés sur les personnes connaissant les plus grandes difficultés d'accès à l'emploi (chômeurs de longue durée ou âgés de plus de 50 ans, bénéficiaires de minima sociaux, jeunes de 18 à 25 ans rencontrant des difficultés d'insertion...) et peuvent être cumulés, pendant un an, avec une activité professionnelle complémentaire dans la limite d'un mi-temps. Les contrats emploi consolidé sont réorientés vers ces mêmes publics, sans passage préalable par un CES. En outre, est aussi inscrite dans la loi, la possibilité decumuler des minima sociaux (RMI, ASS, AI, API) ou l'allocation veuvage avec des revenus d'activité professionnelle.
Répondant à une attente forte, la loi autorise également la représentation des demandeurs d'emploi dans les échelons locaux des organismes chargés de leur placement et de leur formation (ANPE, AFPA).
La discussion sur le volet logement a révélé, quant à elle, des désaccords de fond importants entre les deux assemblées. Le principal point d'achoppement concerne la création d'une taxe sur les logements vacants, applicable le 1er janvier 1999 dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants. Cette mesure, pourtant réclamée de longue date par le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, a été condamnée par le Sénat, qui y voit « une atteinte au droit de propriété » et fait, d'ailleurs, partie des articles déférés devant le Conseil constitutionnel.
Autres dispositions d'importance, la réforme des attributions de logements sociaux, qui vise à renforcer la transparence et l'égalité des chances, et la modernisation de la procédure de réquisition.
Pour le reste, la loi procède à une mise à jour de la loi Besson du 31 mai 1990 afin de rendre plus efficaces les plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées et d'harmoniser les règles d'intervention du Fonds de solidarité pour le logement (FSL), qui sont ouverts aux sous-locataires.
Enfin, la loi instaure un délai de 2 mois, au minimum, avant l'engagement d'une procédure d'expulsion, permettant de saisir le FSL et les services sociaux pour assister le locataire. En cas d'expulsion, le préfet doit s'assurer de la réalité d'une offre d'hébergement avant d'accorder le concours de la force publique.
Au chapitre de la santé, des programmes régionaux pour l'accès à la prévention et aux soins des plus démunis, inspirés des plans départementaux d'accès aux soins qui n'avaient rencontré que peu de succès, sont mis en place et les cellules précarité dans les hôpitaux généralisées, réaffirmant ainsi la mission de lutte contre l'exclusion sociale de ces établissements.
Mais, le volet essentiel, le projet de loi instituant une couverture maladie universelle (CMU), dès l'âge de 16 ans, n'est pas encore déposé. Les conclusions de la mission de concertation confiée à Jean-Claude Boulard, député (PS) de la Sarthe, devraient être remises cet été. En tout état de cause, l'entrée en vigueur de la CMU ne devrait pas être effective avant l'an 2000.
Deuxième idée forte : « prévenir les exclusions », c'est-à-dire, a expliqué la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, « agir en amont avant que l'urgence n'apparaisse ».
Les dispositions relatives au surendettement occupent, dans ce chapitre, une place importante et ont également fait l'objet d'un large consensus.
La loi porte la durée de rééchelonnement des dettes de 5 à 8 ans. Mais le point central du nouveau mécanisme, qui réforme la loi Néiertz du 31 décembre 1989, est la mise en place, en cas d'insolvabilité notoire constatée par la commission de surendettement, d'un moratoire des dettesd'une durée maximale de 3 ans suivi, le cas échéant, si la situation du débiteur ne s'est pas améliorée, d'un effacement des dettes. Un dispositif destiné à répondre à l'apparition d'un surendettement passif, de plus en plus fréquent, caractérisé par l'impossibilité de faire face aux dépenses les plus courantes. Quant au champ du moratoire et des remises de dettes, il est étendu aux créances fiscales, l'administration fiscale gardant toutefois le pouvoir de décision. Précision importante : le « reste à vivre » ne pourra être inférieur au RMI. Et, renforçant ce volet de la loi , le gouvernement a également fait adopter en dernière lecture un amendement tendant à éviter que la multiplication des présentations de chèques sur un compte non approvisionné n'entraîne des frais bancaires excessifs.
La délivrance d'une carte nationale d'identité pour les personnes sans domicile fixe dont les ressources ne dépassent pas le montant du RMI sera exonérée du droit de timbre, à compter du 1er septembre prochain. L'exercice du droit de vote et l'accès à l'aide juridictionnelle sont facilités, grâce à la domiciliation de ces personnes auprès d'organismes d'accueil agréés.
L'ASS et l'allocation d'insertion sont désormais indexées sur la hausse des prix et deviennent incessibles et insaisissables. Dans le même esprit, il a été décidé l'incessibilité et l'insaisissabilité des prestations maladie et la fixation d'un seuil minimal insaisissable pour les prestations familiales.
Mais surtout, on retiendra la création du « chèque d'accompagnement personnalisé », titre de paiement pour les plus démunis, leur permettant non seulement de répondre aux besoins de première nécessité mais également d'accéder à des activités culturelles, éducatives ou sportives, ou encore aux transports.
Enfin, toute personne ou famille en situation de précarité a désormais droit à l'aide de la collectivité pour accéder ou préserver son accès à une fourniture minimum d'eau, d'énergie et de téléphone.
La lutte contre l'illettrisme est élevée au rang de priorité nationale et fait désormais partie de l'éducation permanente.
Les bourses nationales de collèges sont rétablies et l'aide à la scolarité corrélativement supprimée.
Au-delà de la reconnaissance du secteur de l'urgence et de l'insertion, la loi conforte le dispositif de formation des travailleurs sociaux. Et améliore la coordination au niveau institutionnel.
La loi étend le champ d'application de la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales à l'ensemble du secteur de l'urgence et de l'insertion sociale. L'objectif étant de donner unebase légale aux nouveaux dispositifs mis en place ces dernières années, tels que les boutiques solidarité ou les SAMU sociaux. Et, surtout, elle élargit les missions des CHRS rebaptisés centres d'hébergement et de réinsertion (et non plus réadaptation) sociale.
Par ailleurs, la loi consolide les règles de fonctionnement juridiques et financières des centres de formation des travailleurs sociaux. Elle renforce les procédures d'agrément et prévoit l'élaboration d'un schéma national des formations sociales. Et, surtout, les modalités de la subvention versée par l'Etat sont désormais fixées par voie contractuelle avec les établissements et dans un cadre pluriannuel. Une mesure qui répond ainsi à l'une des revendications des centres de formation qui souhaitaient, depuis longtemps, sortir d'un système de financement aléatoire. En outre, la loi donne une base légale aux aides financières accordées aux étudiants.
Au niveau institutionnel, la loi prévoit la création d'un observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion. Son rôle : coordonner et collecter les données, actuellement disparates, sur l'exclusion. Tous les 2 ans, à compter de la promulgation de la loi, le gouvernement sera chargé de présenter au Parlement un rapport d'évaluationde son application. Et à cette fin, il devra s'appuyer sur les travaux de l'observatoire national et associer les personnes en situation de précarité et les acteurs de terrain.
Enfin, au niveau départemental, un comité de coordination des politiques de prévention et de lutte contre les exclusions est créé et une commission de l'action sociale d'urgence est instituée pour coordonner les dispositifs allouant des aides financières aux personnes en difficulté.•
Valérie Balland
(1) Voir ASH n° 2064 du 27-03-98.