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Inquiétudes sur le maintien à domicile

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Développement du secteur mandataire, émergence de services marchands, dysfonctionnements dus à la prestation spécifique dépendance... les associations de maintien à domicile s'inquiètent de voir remises en cause les valeurs fondatrices de la relation d'aide.

Les associations de maintien à domicile ont beau fêter leurs 40 ans d'existence en 1998, l'humeur n'est guère aux réjouissances. Marie-Jo Guisset, responsable du programme personnes âgées à la Fondation de France, parlait même d'un « anniversaire au goût amer », lors de la journée régionale organisée par l'Union des fédérations des associations de soins et services à domicile d'Ile-de-France  (Ufassad)   (1). La mise en place de la prestation spécifique dépendance, la transformation de la personne âgée en employeur avec le développement des associations mandataires, l'émergence du secteur marchand... autant de transformations, apparues récemment dans le champ de l'aide à domicile, qui inquiètent les associations :celles-ci craignent non seulement pour leur avenir et pour l'emploi des aides-ménagères, mais aussi pour la notion d'aide elle-même.

L'aide ne s'improvise pas

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Bernard Calafère, président de l'Ufassad, a souhaité revenir sur les fondements historiques du maintien à domicile afin de préciser les valeurs qui le sous-tendent. Dans les années 50, raconte-t-il, les premiers services naissent de l'initiative associative : « Lorsqu'une personne âgée se trouve victime d'un accident de santé, fût-il banal, elle prend conscience de sa fragilité, ne disposant plus des réserves qu'elle avait auparavant. Elle recherche une sorte de sécurité, tout en souhaitant vivre chez elle. L'attachement au domicile - territoire affectif -où l'on se retrouve avec ses usages et ses souvenirs, est exprimé avec force. » Comme ces cas particuliers devenaient légion, l'idée est alors venue d'organiser une aide à domicile qui permette aux personnes âgées de rester dans leur cadre de vie et de continuer à gérer leur propre existence. Le concept balbutiant de maintien à domicile était né, distinct fondamentalement des autres formes d'aide à domicile plutôt ponctuelles. Car « là, les usagers veulent rester chez eux le plus longtemps et, si possible, jusqu'au terme de leur vie », précise Bernard Calafère.

Dans les années 70, les services à domicile se développent et surtout se professionnalisent. Car l'aide apportée à la personne âgée ne s'improvise pas. « Il s'agit d'une aide sociale, morale et matérielle », insiste Thérèse Marquier, directrice de la fondation Maison des champs, un appartement relais situé à Paris. Selon elle, « c'est avant tout une présence proposée à la suite de la formulation et de l'évaluation d'une demande. Le travail qu'effectuent les professionnels se situe dans un cadre relationnel. Cette aide donne lieu à un suivi et à des réévaluations successives. » En outre, l'usager reste avant tout sujet, ajoute-t-elle. En effet, « l'aide ne doit déposséder ni la personne âgée ni le réseau naturel de ses possibilités antérieures. Elle ne doit être ni intrusive, ni infantilisante. Il s'agit de redonner des moyens en termes d'autonomie aux personnes en s'inscrivant dans la durée. » C'est dire l'importance d'articuler cette aide avec le travail des autres partenaires et de faire preuve d'une extrême prudence. « Notamment en ce qui concerne les changements nécessaires, pour ne pas entraîner un sentiment d'insécurité et de confusion qui risque de rendre caduques les possibilités des intéressés à vivre chez eux », poursuit Thérèse Marquier.

Bref, les aides-ménagères interviennent dans le quotidien des personnes, dans un registre intime et nécessairement complexe. Elles doivent faire face, tient encore à rappeler Denis Mennessier, directeur de l'association Ages et vie, dans le Val-de-Marne, à des problématiques humaines, liées à la maladie, au handicap, à l'âge, à l'isolement... D'où la volonté des associations de se référer à un certain nombre de valeurs, telles que la proximité, l'écoute et l'évaluation des besoins. « L'écoute requiert du temps -ah, l'urgence ! - des personnels formés, des moyens. Elle permet à nos interlocuteurs, souvent embarqués dans de véritables parcours du combattant, de se reposer. Elle ouvre la voie à l'expression de projets de maintien à domicile élaborés ensemble avec nos partenaires, notamment avec les personnes âgées, dont la parole est si souvent niée. Grâce à l'accueil et à l'écoute, nous construisons et nous préservons un fonctionnement qui reste au service des personnes. » Néanmoins, Denis Mennessier craint, aujourd'hui, que les dernières évolutions de l'aide à domicile amputent les associations de ces fonctions d'accueil et d'écoute, « à partir desquelles peut se penser et se mettre en pratique une action de terrain qui garde un sens, en sollicitant, en mobilisant les forces vives de chacun des interlocuteurs - usager, entourage et professionnels. »

Parmi les changements récents : la prestation spécifique dépendance  (PSD). De multiples associations en ont dénoncé les effets pervers dans un « livre noir » particulièrement virulent (2)  : attribuée sous condition de ressources et selon des critères extrêmement restrictifs, la PSD ne concerne que peu de personnes âgées - 15 000 pour l'instant - alors qu'elles sont 700 000 à être très dépendantes. Ainsi, certains usagers qui touchaient l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP)  - remplacée aujourd'hui par la PSD - se retrouvent sans aucune aide faute de pouvoir entrer dans le champ d'application de la nouvelle prestation. En outre, le montant de cette dernière varie d'un département à l'autre, ne dépassant pas, par exemple, 40 F de l'heure dans l'Orne. « Mais ce qui est surtout dommageable, ajoute Bernard Calafère, c'est moins la PSD en elle-même que ses conséquences sur les comportements des régimes de retraite de base. Car ceux-ci sont en train de se désengager d'une action sociale qu'ils garantissaient depuis 1970 sous la forme d'une prestation d'aide ménagère. »

La PSD et la relation d'aide

L'instauration de la PSD a une autre conséquence, plus insidieuse : elle modifie la relation d'aide et la place occupée par les familles, déplore Isabelle Segura, directrice d'une association de Seine-et-Marne. La prestation, en effet, peut être directement versée à la personne âgée dépendante qui a la possibilité, dans ce cas, de salarier un membre de sa famille comme « aidant ». « Dans notre département, une majorité des demandes de PSD visent le financement d'une aide apportée par l'entourage. C'est logique : d'une part le droit le permet, et d'autre part, quelle famille ne connaît pas le chômage pour au moins un de ses membres ? » Mais Isabelle Segura prévient des dérives possibles, même si le choix de la personne âgée se doit d'être respecté. Elle cite l'exemple d'une nièce salariée par sa vieille tante : au bout de deux mois, les deux femmes se disputent et la première ne dispense plus aucune aide. L'association est alors obligée d'intervenir en urgence. « Imaginons comment aurait pu évoluer cette situation si la nièce avait été d'emblée reconnue, valorisée et soulagée dans son rôle d'aidant naturel et indispensable, mais sans pouvoir revendiquer le rôle d'aidant exclusif... » Aujourd'hui, Isabelle Segura s'interroge : peut-on aider professionnellement quelqu'un dont on partage l'histoire familiale ? Ne risque-t-on pas d'assister à une emprise de l'entourage, voire à des cas de maltraitance ? A des moments d'épuisement, sans possibilité de relais ? « Je suis convaincue que l'emploi direct, la relation de subordination, n'est pas la forme d'aide la plus appropriée au maintien à domicile des personnes âgées très dépendantes. D'autant plus, si le subordonné est un membre de la famille... Quelle personne dépendante, en effet, se donnera le droit d'entrer en conflit, voire de licencier son aidant familial ? Combien vont devoir se plier aux choix de l'aidant sans rien dire ? Combien vont voir leur autonomie annihilée ? Tout cela partant, bien sûr, de bons sentiments : l'aidant sait ce qui est mieux pour elle ! Et ne parlons pas de formation : a-t-on besoin de formation pour aider son propre parent ! »

Mais au-delà du statut de l'aidant, l'emploi de gré à gré continue d'inquiéter fortement les associations : d'abord parce qu'il menace leur raison d'être et leur expertise, ensuite parce qu'il introduit une nouvelle donne. La politique de l'emploi semblerait ainsi prendre peu à peu le pas sur la politique de la vieillesse. « Dès 1987, rappelle Florence Leduc, directrice de l'Ufassad d'Ile-de-France et de la Fassad de Paris, les mesures Séguin permettent l'exonération des charges sociales pour tout particulier employeur âgé de 70 ans et plus. Ce qui est visé, c'est la création d'emplois par une catégorie de population dont on dit qu'elle a un niveau de revenus lui permettant de participer à la création d'emplois nouveaux. » Mais, poursuit cette directrice, « ce qui est sacrifié, c'est la population, fragilisée par la maladie et le handicap, de tous âges, se trouvant en situation juridique d'employeur pour pouvoir accéder à une prestation moins chère ».

En 1991, les mesures Aubry développent les emplois à domicile et renforcent les aides fiscales incitatives. D'où l'essor du secteur mandataire qui fait de la personne âgée l'employeur direct de son aide-ménagère et bénéficie ainsi d'exonérations de charges sociales... Exonérations auxquelles les associations prestataires - les plus nombreuses et les plus anciennes - n'ont pas accès puisqu'elles salarient leurs professionnelles. Une concurrence déloyale s'installe, affirme Florence Leduc, se faisant l'écho des nombreuses critiques du secteur associatif : « Certaines structures sont créées pour mettre en place des moyens spécifiques à des problèmes de maintien à domicile des personnes handicapées, notamment âgées, dans le cadre de la proximité. D'autres se développent pour créer des emplois au domicile du particulier sans aucune réflexion sur la profession d'aide à domicile. »

D'où la dilution de la notion de métier, accuse la directrice de l'Ufassad, et l'apparition d'un paradoxe inquiétant : « Les personnes qui ont besoin d'aide ayant recours à des services professionnels employeurs ont accès à la prestation la plus chère, car non exonérée. Les personnes de 70 ans et plus, autonomes, en bonne santé, peuvent devenir employeurs de personnels de maison et bénéficier de l'exonération des charges sociales patronales ! »

Des consommateurs ordinaires

Enfin, dernier grief, l'entrée du secteur marchand dans le champ de l'aide à domicile : les personnes âgées dépendantes ne feraient plus l'objet de mesures spécifiques de protection de la part de la société, s'alarme ainsi Florence Leduc. « Elles sont considérées comme des consommateurs ordinaires, sur un libre marché. Les vertus du libéralisme économique annexent le social. »

Or, pour Bernard Ennuyer, sociologue et directeur de l'association Les Amis, à Paris, seule la forme associative peut structurer la demande sociale, « en transformant les demandes individuelles en une question collective. Le secteur marchand ne peut répondre à cette exigence du fait de sa logique même. Il s'est bâti autour de la production de services, moyennant une transaction monétaire. Il serait absurde de dénier à celle-ci tout aspect relationnel, mais la rencontre avec l'autre n'est pas l'éthique prioritaire du service marchand qui, avant tout, est là pour vendre du service. »

Anne Ulpat

Notes

(1)   « 40 ans de maintien à domicile... Et maintenant ? », 10 juin 1998 - Organisée par l'Ufassad Ile-de-France (en partenariat avec le CNRPA, la FEHAP, l'Unassad, l'Uniopss, l'Uriopss Ile-de-France)  - Secrétariat et correspondance : 33, rue Saint-Roch - 75001 Paris - Tél. 01 49 27 98 78.

(2)  Voir ASH n° 2075 du 12-06-98.

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