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« NON, LE TRAVAIL SOCIAL N'EST PAS MORT ! »

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« A quoi sert le travail social ? » s'interrogeait en mars dernier la revue Esprit   (1). Tandis que Jacques Ion, commentant son dernier ouvrage, annonçait la fin du travail social (2). Des analyses qui font bondir la présidente de l'ANAS, Christine Garcette. Les sociologues jouent aux « croque-morts », s'agace-t-elle, préférant parler de mutation du travail social (voir aussi dans ce numéro, , la réaction de Marie-France Freynet).

« Il est en mutation, ce n'est pas la même chose ! La société change en profondeur, tout le monde s'accorde à le reconnaître, le travail social aussi, et c'est plutôt un signe de vitalité !Quelle est d'ailleurs la profession qui n'a pas changé depuis 20 ans, surtout si elle concerne le social, lui-même en constante redéfinition ?

« Le problème est que face à la complexification de la question sociale, au manque de réponses et d'orientations claires, les propositions de solutions (ou de colmatages ?) se multiplient, donnant lieu à une kyrielle d'interventions et d'appellations des acteurs sociaux. On s'attendrait à ce que les sociologues, dont c'est le rôle, aident à clarifier les notions  on s'aperçoit avec étonnement, voire avec indignation, qu'ils entretiennent pour un grand nombre d'entre eux (3) la confusion qui leur permet d'affirmer “la mort du travail social” ! Citons pour exemple la revue Esprit “A quoi sert le travail social ?”, en mars dernier, ou Jacques Ion interviewé dernièrement dans les ASH au sujet de son livre Le travail social au singulier.

« Les professions sociales, dites “canoniques”, seraient pour eux obsolètes, inefficaces, submergées par les nouveaux métiers de la ville et de l'insertion...

« Mais enfin, de quoi parle-t-on ?

« Le travail social, dont le terme émerge à nouveau avec force dans les années 70, n'a jamais été une profession unifiée, ni dans les faits, ni juridiquement parlant. Si l'hypothèse du premier numéro d'Esprit sur le travail social en 1972 était qu'en le faisant reconnaître comme profession, on le légitimerait dans sa fonction, accusée par ailleurs de contrôle social, c'est une hypothèse qui n'a jamais été démontrée, pas plus d'ailleurs que celle du deuxième numéro d'Esprit, qui affirme cette fois-ci que le travail social ne sert plus à rien...

« Il s'agit donc d'une affirmation péremptoire, qui pourrait faire sourire ou susciter l'indifférence, si elle n'était autant reprise dans les discours actuels, y compris des travailleurs sociaux eux-mêmes !

« Et ceci pas seulement en France, puisque j'ai entendu citer en référence et à plusieurs reprises les analyses de la revue Esprit, lors d'un récent colloque international au Liban !!

« Quelle est l'intention qui se cache derrière autant de volonté de faire mourir le travail social ? Telle était la question posée par Guido de Ridder en introduction du livre Les nouvelles frontières de l'intervention sociale  : “Ainsi dit-on péremptoirement que le travail social est mort-né, que l'animation socio-culturelle est enterrée : il y aurait ainsi une sorte de service euthanasique à aider le moribond à partir...”   (4).

« Il n'y a pas en effet meilleure façon de faire mourir quelqu'un que de lui ôter toute envie de vivre en le considérant comme mort...

« Dire du travail social qu'il est mort, et non qu'il est en mutation, c'est lui enlever d'avance toute velléité de s'exprimer ou de se faire entendre... on n'écoute pas un mort !

« Cette image de mort du travail social, prégnante dans les discours actuels, s'appuie sur une opposition, construite là encore, entre les professions dites “canoniques” (assistant social, éducateur, conseiller en économie sociale et familiale, animateur...) et des nouveaux métiers, qui sont en fait essentiellement des nouvelles fonctions.

« Ce qui permet de confondre allègrement emploi, statut, fonction, métier !

« Non, un chef de projet n'est pas un nouveau métier : c'est une nouvelle fonction, dont on oublie de dire qu'elle est souvent créée ou occupée par un professionnel dit “canonique”... “Ainsi, nombre de produits labellisés politiques de la ville sont à l'origine des créations du travail social, l'insertion par l'économique ou la prévention par les loisirs, pour ne citer que ces deux exemples” (Philippe Estebe, Revue Esprit ).

« Non, un assistant socio-éducatif n'est pas un métier : c'est un statut de la fonction publique territoriale. En faire une appellation professionnelle et l'inscrire en tant que telle parmi d'autres dans les statistiques du SESI (voir ASH nº 2074 du 5-06-98), c'est accréditer l'idée qu'on peut définir une identité professionnelle à partir d'un indice de la fonction publique, et risquer de voir décréter par les employeurs une interchangeabilité des missions.

« Non, un agent d'ambiance n'est pas un métier : c'est un nouvel emploi, dans le cadre des emplois-jeunes et Michel Autès rappelle fort justement “qu'il ne suffit pas de créer un poste pour créer un métier”.

« “Au nom d'une représentation déformée, on travaille souvent à la disqualification de l'ensemble du social“, dit encore Michel Autès. Sous prétexte que le social représente un fort gisement d'emploi, on laisse espérer des postes pérennes à ceux qui sont souvent en grande difficulté d'insertion.

« Agir ainsi, c'est risquer :

  « de gommer la nécessité de formations qualifiantes pour intervenir dans le champ social 

  « de confondre la logique d'emploi et la logique de professionnalisation 

  « de mettre en concurrence des modes d'interventions sociales transformées en prestations de service sans aucune garantie de qualité.

« “A quoi sert le travail social ?“ est une question des plus ambiguës : je lui préférerais celle de savoir “à qui est utile le travail social ?”. Le travail social professionnel est fondé sur une logique de projet et de processus, non sur une logique de résultat et de procédure. La deuxième porte certes à une plus grande visibilité de l'action menée, mais “faut-il toujours être visible pour être efficace ?” et “de quelle efficacité parle-t-on ?” Deux questions au centre du dernier congrès de l'ANAS.

« Et si le travail social s'avère parfois inadapté ou inefficace dans des lieux comme Vitrolles, il faut, me semble-t-il, s'en féliciter !

« Le social est de plus en plus présent dans toutes les sphères de la société. Mais ne croyons pas qu'il obéit partout aux mêmes objectifs ou s'appuie sur les mêmes valeurs : expliciter et clarifier celles-ci, voire les formaliser dans un code de déontologie, permet de ne pas considérer la seule éthique individuelle comme garante à elle seule du bien-fondé de l'intervention sociale.

« Bien que difficiles à décompter, les travailleurs sociaux sont de plus en plus nombreux à être recensés comme tels (voir ASH nº 2074, du 5-06-98).

« Après avoir supprimé bon nombre de postes d'assistantes sociales dans les collèges et les lycées, on réclame à nouveau leur présence, comme celle d'ailleurs d'éducateurs chevronnés dans les quartiers difficiles. Là encore, ce sont plutôt des signes positifs de reconnaissance d'un travail social qualifié.

« Mais pour leur donner les moyens de remplir correctement leur mission, jugée à la fois incontournable et de plus en plus difficile, arrêtons de les démobiliser constamment : “On ne peut pas en même temps tirer sans cesse sur le pianiste, et lui reprocher son manque de rythme ou ses fausses notes !!

« Au lieu d'opposer anciens et nouveaux métiers, de mettre en concurrence différents modes d'intervention, de privilégier la nouveauté à l'expérience, cherchons plutôt à identifier de nouveaux référentiels de compétences, à créer de nouveaux indicateurs d'évaluation du travail social (4), à faire reconnaître l'innovation sociale contenue dans bon nombre de projets même non médiatiques, à interpeller les réelles causes de l'exclusion... “Les intervenants sociaux n'ont pas à entrer dans le jeu de vouloir éponger toute la misère du monde social, pas plus qu'ils n'ont à culpabiliser de n'y point parvenir”   (Robert Castel).

« Au lieu de gommer toute spécificité professionnelle par peur du corporatisme, cherchons plutôt à faire reconnaître les complémentarités nécessaires pour un partenariat effectif.

« Au lieu de “jouer les croque-morts”, messieurs les sociologues, aidez-nous plutôt dans ce sens, nous avons besoin de vous ! »

Christine Garcette Présidente nationale de l'ANAS 15, rue de Bruxelles - 75009 Paris -Tél. 01 45 26 33 79.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2062 du 13-03-98.

(2)  Voir ASH n° 2073 du 29-05-98.

(3)  Faisons-leur l'amitié de ne pas confondre toutes les analyses des sociologues ! (4)  NDLR : voir ASH n° 2043 du 31-10-97.

(4)  Ce sera le thème du prochain congrès de l'ANAS les 27,28 et 29 janvier 1999 à Brest.

Tribune Libre

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