Recevoir la newsletter

Au service de l'insertion en milieu ordinaire

Article réservé aux abonnés

Favoriser l'insertion des travailleurs handicapés en milieu ordinaire de travail, tel est l'objectif du CAT Pleyel à Saint-Denis, un CAT sans mur, créé depuis près d'un an, autour de deux activités principales : la restauration et l'hôtellerie.

Inutile de chercher des locaux traditionnels et des personnes handicapées au travail, le centre d'aide par le travail (CAT) Pleyel de Saint-Denis (en Seine-Saint-Denis)   (1) est un CAT « hors murs », complètement intégré dans les entreprises pour lesquelles il assure des prestations de services. Au quotidien, les 24 travailleurs handicapés embauchés (âgés de 18 à 32 ans) se fondent dans les équipes de salariés existantes, au sein d'un restaurant d'entreprise EDF et dans deux hôtels Sovereign. La mairie de Saint-Denis et EDF ont été des partenaires décisifs dans la création de ce CAT atypique, géré par l'association La Résidence sociale. « Nous voulions créer un projet qui ne retombe pas dans le schéma des CAT traditionnels, explique Annie Donato, conseillère municipale de Saint-Denis, déléguée au handicap et à la toxicomanie. Dès l'origine, nous désirions favoriser l'insertion en milieu ordinaire de travail grâce à un CAT éclaté, avec un local central minimal et une intégration des personnes handicapées au sein des entreprises. »

Une volonté politique de la municipalité qui tombait bien puisque, à la même époque, EDF décidait d'installer à Saint-Denis sa direction Electricité Production Transports avec 2 500 salariés et souhaitait faire de cette implantation nouvelle l'occasion d'un développement de sa politique d'insertion en faveur des handicapés. « Nous voulions profiter de cette opportunité pour donner du travail au secteur protégé », souligne Jean Beaufrère, retraité d'EDF, président du comité de coordination du CAT Pleyel. A côté d'activités classiques - reprographie, appui logistique au secrétariat, entretien d'espaces verts, collecte et tri sélectif des déchets, etc. - confiées aux autres CAT de Saint-Denis et de Colombes, EDF décide de faire travailler des handicapés au sein de son restaurant d'entreprise géré par la caisse centrale d'activités sociales du personnel des industries électrique et gazière (CCAS), le comité d'entreprise d'EDF.

Avec 200 travailleurs handicapés embauchés chaque année, EDF n'en est pas à sa première expérience en la matière mais son implication dans le CAT Pleyel est originale à deux titres. D'abord parce que, traditionnellement, EDF favorisait plutôt l'embauche directe de handicapés - notamment d'enfants du personnel -plutôt que le recours au secteur protégé  ensuite parce que cette politique d'insertion se limitait aux personnes handicapées physiques ou sensorielles, et concernait assez peu les handicapés mentaux. Il a donc fallu faire face à quelques réticences internes et à des inquiétudes liées au caractère novateur du projet : « Nous manquions d'expérience sur l'introduction d'un CAT au sein de l'unité de production », reconnaît Octave Leleux, chargé de mission handicap à la direction générale de la CCAS.

Un prestataire de services lambda

Une douzaine de personnes handicapées travaillent aujourd'hui au restaurant EDF, dans le cadre d'une convention de prestation de services, conclue entre la CCAS et le CAT Pleyel. « Nous considérons le CAT comme une entreprise lambda, prestataire de services, ayant à remplir les missions que nous avions définies ensemble », souligne Octave Leleux. Même tonalité du côté de Jean Beaufrère : « La CCAS achète un produit - en l'occurrence, la gestion de la légumerie, une salle de restaurant propre et remise en état chaque jour, et une plonge faite -et non une mise à disposition de main-d'œuvre. » Par ailleurs, insiste ce dernier, « le travail fourni est au niveau de prix, de délais et de qualité du marché ».

En amont de l'ouverture du restaurant, les travailleurs handicapés ont bénéficié d'une formation de six mois, financée par EDF, et assortie de stages pratiques dans des restaurants gérés par la CCAS. Pour démythifier le handicap, lever certaines craintes et favoriser l'insertion future des handicapés, le personnel d'encadrement du restaurant a, quant à lui, suivi une action de sensibilisation. Autre élément déterminant dans la réussite du projet : la présence permanente de deux moniteurs chargés du suivi des handicapés. Dans un CAT « hors murs », ils sont en effet entièrement responsables des jeunes au travail au sein de l'entreprise. C'est à eux que revient également le rôle de relais et de régulation parfois nécessaire avec le personnel en place - les cuisiniers notamment - et avec l'encadrement. « Il y a des petits accrochages car ces derniers attendent des handicapés qu'ils travaillent au même rythme qu'eux et ils manquent parfois de compréhension à leur égard », estiment les moniteurs qui regrettent que les cuisiniers n'aient pas été suffisamment informés. Les résistances sont en effet sensibles, comme en témoignent les propos du chef cuisinier : « La restauration reste un milieu très pointu, c'est un métier qui ne s'improvise pas, où l'on est jugé tous les jours, affirme-t-il, les cuisiniers en production n'ont pas le temps de faire de la formation auprès des handicapés. »

Globalement, l'expérience est toutefois jugée positive par tous et des perspectives de développement sont envisagées, notamment en termes de contenu des tâches confiées aux handicapés. Après avoir pu appréhender toutes les facettes de la restauration, lors de leur formation, le fait d'être aujourd'hui cantonnés dans des tâches peu valorisantes engendre en effet de la frustration chez nombre d'entre eux. « La plupart aimeraient préparer des petits plats plutôt que de faire le ménage, il nous faut en permanence revaloriser des tâches jugées subalternes », note Denise Deléglise, directrice du CAT Pleyel. La CCAS en est d'ailleurs consciente et reste ouverte à de futures évolutions. « Rien n'est inscrit dans le marbre, assure ainsi Octave Leleux, nous pouvons trouver des solutions pour ceux qui en ont les capacités et que l'on risque de casser en les maintenant dans ces tâches. Il est possible d'envisager une formation pour certains et à terme une embauche. »

Les perspectives sont en revanche moins souriantes pour l'activité hôtellerie. A l'origine, le CAT Pleyel devait intégrer 25 travailleurs handicapés au sein du Novotel qui devait être construit sur le site d'implantation d'EDF. Or, ce projet ne voyant pas le jour, il a fallu trouver d'autres entreprises et un accord a été conclu avec deux hôtels Sovereign, à Saint-Denis et à Saint-Ouen. La convention de prestation de services prévoit de confier au CAT Pleyel le ménage des chambres et des parties communes, sur la base de 1 140 chambres par mois. « Il a fallu tout faire dans l'urgence : trouver des jeunes et les former, démarrer avec une seule monitrice sur les deux sites », se souvient Denise Deléglise. Au début, l'équipe de direction a néanmoins manifesté une réelle volonté d'être partie prenante du projet, prévoyant même de confier à terme au CAT la lingerie et le service du buffet de petits déjeuners, avec à la clé dix personnes handicapées supplémentaires.

Mais dans un secteur où la concurrence est féroce, les marges très faibles et la pression économique très forte - surtout à proximité du stade de France en pleine Coupe du monde - l'objectif de rentabilité et de productivité ont vite pris le pas sur l'insertion des handicapés. Résultat, au fil du temps, les relations se dégradent en interne avec un personnel en place qui n'accepte pas toujours la présence des travailleurs handicapés. « Les remarques sont fréquentes », observe Christiane Renard, la monitrice de l'hôtel de Saint-Denis. « L'avenir est bouché dans cette entreprise, regrette la directrice du CAT, alors que la direction reconnaît que la qualité du travail fourni est supérieure à celle des autres prestataires. » En fait, Sovereign serait d'accord pour élargir les missions confiées au CAT, mais sans payer davantage...

Le rôle clé de l'encadrement

Si la déception est réelle, elle ne remet pas en cause pour autant l'intégration hors murs. « Pour les jeunes, pouvoir dire qu'ils travaillent chez Sovereign ou EDF plutôt que dans un CAT, pouvoir discuter et manger avec leurs collègues, c'est extraordinaire, et personne ne souhaite faire machine arrière », souligne Denise Deléglise. Sceptique au début, la monitrice de l'hôtel Sovereign de Saint-Denis constate, elle aussi, l'épanouissement et l'autonomie accrus des jeunes handicapées : « Elles sont devenues de vraies petites femmes de chambre qui préparent leur matériel seules le matin et il n'y a pas tout à refaire derrière elles. » Sandrine, 19 ans, est fière de montrer la chambre qu'elle a presque fini de nettoyer. Elle explique qu'il ne faut rien oublier, ni la douche, le lavabo et les toilettes à laver, ni le miroir à nettoyer, les savons à remplacer, les placards à vérifier, les meubles à épousseter, les lits à faire en épargnant son dos, comme elle l'a appris en formation, et en dernier lieu, l'aspirateur à passer. Sa méthode ? « Je commence par la salle de bains, car c'est le plus difficile, le plus sale et ce que j'aime le moins faire ! » L'hôtellerie est certes un secteur difficile, « peut-être pas le secteur rêvé pour l'insertion de travailleurs handicapés, reconnaît Denise Deléglise, car c'est un travail fatigant et complexe : il faut savoir utiliser les bons produits aux bons endroits, avoir l'œil à tout, être concentré en permanence pour ne rien oublier et s'autocontrôler sur un grand nombre de tâches à reproduire dans différentes chambres qui ne sont pas toutes identiques ».

« L'expérience montre que les jeunes filles handicapées tiennent le coup », note pour sa part Jean Beaufrère qui insiste sur l'importance de la formule d'intégration de groupe : « Il est très important pour un travailleur handicapé d'être reconnu capable de faire un travail et c'est souvent difficile à titre individuel, alors qu'en groupe, on reconnaît la valeur du travail du groupe, et chacun est ainsi valorisé dans son travail. De plus, ajoute-t-il, la structure d'accueil n'a pas de responsabilité dans la gestion du handicap, qui est cause de beaucoup d'échecs. Tout milite donc en faveur de l'intégration de groupe avec des moniteurs dont le rôle est essentiel. »

Exigeante mais extrêmement formatrice, l'activité du CAT Pleyel sur l'hôtellerie n'est donc pas remise en cause mais elle devrait être développée, à l'avenir, au sein d'entreprises de plus grande taille où les travailleurs handicapés ne constitueront pas une part trop importante de l'effectif et où l'encadrement jouera davantage le jeu. Des discussions sont d'ores et déjà en cours. Par ailleurs, le CAT devrait développer des prestations de service de buffet qu'il a déjà assurées de façon occasionnelle pour EDF, la mairie d'Aubervilliers et la Fondation pour l'enfance.

Un développement qui reste toutefois conditionné à l'octroi, par la DDASS, de postes d'encadrement supplémentaires, ne serait-ce que pour assurer la permanence des moniteurs pendant les congés hebdomadaires, en particulier dans l'hôtellerie où les jeunes handicapés travaillent sept jours sur sept. Une requête qui se heurte aux contraintes budgétaires de la DDASS. Cette dernière n'accorde au CAT qu'un demi-poste en CDD au 1er septembre prochain, sous réserve de nouveaux marchés. Or, souligne Denise Deléglise, « un CAT hors murs nécessite un encadrement spécialisé, présent en permanence pour faciliter les relations entre l'équipe du CAT et les salariés de l'entreprise, mais il présente aussi un coût moins élevé en termes d'infrastructure (locaux, matériel, etc.) qu'un CAT classique ». A la décharge de la DDASS, la directrice du CAT reconnaît toutefois que le dossier soumis à la Commission régionale d'organisation sanitaire et sociale a été financièrement sous évalué : il estimait à 50 000 F le coût de la place alors que le besoin est aujourd'hui d'environ 70 000 F.

Virginie Besson

Notes

(1)  CAT Pleyel : 4/6, rue Robert-Desnos - 93200 Saint-Denis - Tél. 01 42 35 82 54.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur