« L'enfant a-t-il accès au droit ? » En posant cette question, lors du colloque organisé, le 14 mai, à l'Assemblée nationale, sur le thème « Mineur délinquant, mineur victime », Gérard Christol, président de la Conférence des bâtonniers (1), entendait, aussi, défendre la place de l'avocat dans la justice des mineurs. Car à l'heure où le gouvernement se prépare à mettre en œuvre les nouvelles orientations qu'il vient d'arrêter concernant les jeunes délinquants (2), les avocats n'entendent pas rester sur la touche. « Ni juge ni éducateur, l'avocat, par son indépendance à l'égard des institutions, des familles, lié par le secret professionnel et formé à ces questions, est un interlocuteur essentiel pour le mineur en souffrance ou en difficulté », rappelait ainsi le président de la Conférence des bâtonniers. De fait, depuis une dizaine d'années, plusieurs barreaux ont développé, en direction des mineurs, toute une série d'initiatives : formation des avocats, sensibilisation des jeunes, partenariat avec les conseils généraux, création de permanences spécialisées ou encore en participation à des services d'accès au droit, tels que l'association Thémis, à Strasbourg.
Dans l'Essonne, c'est une poignée d'avocats qui s'est lancée dans l'aventure au début des années 90. Une mobilisation qui répondait, alors, à une double préoccupation. D'une part, la nécessité de mettre en œuvre la Convention internationale des droits de l'Enfant, qui venait d'être signée par l'assemblée générale des Nations unies et qui réaffirmait le droit de chaque enfant à être entendu dans toute procédure administrative ou judiciaire le concernant. D'autre part, la prise en compte de la montée en puissance des dispositifs de lutte contre la maltraitance. « Beaucoup de groupes d'avocats se sont constitués dans cette perspective. Or, on ne parle pas à un enfant comme à un adulte, surtout s'il est traumatisé et soumis à des difficultés importantes. Il fallait donc d'urgence que nous nous formions pour être compétents au plan du droit mais aussi de la psychologie », se rappelle Franck Natali, l'un des pionniers de l'Essonne, aujourd'hui bâtonnier du département. Une mutation qui ne s'est cependant pas faite sans difficulté. « Il y a 15 ans, se souvient-il, la justice des mineurs n'intéressait personne sauf quelques juges passionnés auxquels on reprochait d'ailleurs leur paternalisme, voire leur'maternalisme ". Du côté des avocats non plus, ce n'était pas considéré comme une tâche noble d'aller défendre devant ces juridictions. Bien peu s'en préoccupaient, à part quelques-uns d'entre nous qui avaient compris, avant les autres, l'importance d'être présent devant les juridictions des mineurs. »
En 1991, une convention est signée avec la chancellerie dans le cadre d'un travail expérimental concernant, à l'époque, une dizaine de barreaux et portant sur la mise en place de groupes de défense des mineurs. Par ailleurs, quelques volontaires créent une consultation ouverte aux jeunes, intitulée : « Mercredi, j'en parle à mon avocat ». Des permanences d'avocats spécialisés sont également organisées devant le tribunal pour enfants et une convention passée avec la protection judiciaire de la jeunesse. « Nous assistons les mineurs mis en examen lors de la présentation au tribunal pour enfants et nous intervenons lors de toutes les audiences ou devant la cour d'assises lorsqu'elle statue en matière de mineurs », indique Franck Natali. Une action qui, précise-t-il, concerne, également, les procédures civiles. « L'avocat est là pour défendre le jeune, qu'il soit suivi en assistance éducative ou au titre de l'ordonnance de 1945. Surtout quand il s'agit du même, ce qui est souvent le cas. Dans l'Essonne, nous nous sommes ainsi efforcés de faire en sorte que le même avocat suive un jeune au pénal et en assistance éducative. » Autres objectifs du groupe de l'Essonne, qui compte aujourd'hui une trentaine d'avocats sur un barreau de 220 membres : sortir le droit de l'enceinte du tribunal. A cette fin, des réunions d'information sont organisées dans les collèges, en liaison avec le conseil général et l'éducation nationale. Des interventions ont également lieu, dans les conseils de discipline des établissements scolaires, lorsque c'est possible, et à l'occasion de séances de formation organisées par le tribunal à destination des enseignants et des travailleurs sociaux. En effet, plaide l'avocat, « il est indispensable d'être en contact avec ceux qui peuvent informer les jeunes de leurs droits et sur les possibilités de les faire valoir. Le but est que ceux-ci ne se sentent plus objet mais sujet de droit. Quand on a compris ça, que l'on soit victime ou auteur, une grande partie du travail est fait. »
Cette présence accrue des avocats au sein de la justice des mineurs est, apparemment, plutôt bien vécue par les magistrats de la jeunesse. Ainsi, pour Alain Bruel, président du tribunal pour enfants de Paris, il s'agit d'une « évolution spectaculaire » et positive. En effet, raconte-t-il, « auparavant, les avocats n'intervenaient que de manière très ponctuelle. Bien souvent, ils ignoraient le détail des dossiers et devaient se faire souffler les éléments de leur défense par les éducateurs. Depuis, ils s'investissent beaucoup plus. Ce qui n'est d'ailleurs pas toujours très confortable pour les juges qui sont, parfois, mis en face des insuffisances de leurs procédures. » Autre progrès constaté par le magistrat : les avocats ont aujourd'hui un discours beaucoup plus adapté à la psychologie des jeunes. En outre, explique-t-il, avec le développement du traitement des affaires en temps réel et du rôle accru des juges d'instruction, la présence de l'avocat apparaît plus que jamais nécessaire comme « garantie contre les procédures bâclées ».
Mais s'il se dit « enthousiaste » au pénal (où la présence de l'avocat est d'ailleurs obligatoire) et rappelle volontiers « que partout où il y a un juge, il doit y avoir un avocat », le magistrat s'avoue plus « circonspect » en ce qui concerne l'assistance éducative. Certes, reconnaît-il, l'intervention d'un défenseur dans le cadre d'une mesure d'assistance éducative, même si elle reste facultative, présente des avantages. Ne serait-ce que dans la mesure où l'avocat est le seul à pouvoir consulter le dossier et en donner connaissance à la famille. Mais, dans ce domaine où, traditionnellement, tout se passe dans le cadre d'une relation étroite entre le juge des enfants, le jeune, ses parents et les services éducatifs, il apparaît difficile de faire une place à un défenseur qui, dans un processus essentiellement éducatif, va inévitablement se placer sur le terrain du droit et de la procédure. Ainsi, souligne Alain Bruel, l'avocat peut, parfois, perturber le subtil lien tissé entre le juge et la famille. D'autant que sa présence, au côté de leur enfant, peut être très mal vécue par certains parents déjà fragilisés. « Souvent ils se sentent disqualifiés lorsque leur enfant est défendu. Et cela se traduit, quelquefois, par un refus de s'exprimer assez violent. Dans ces conditions, faut-il que chaque fois qu'un avocat apparaît pour une partie, les autres en aient un aussi ?Je ne trancherai pas mais c'est un écueil auquel nous nous heurtons, même avec des avocats très compétents. Il faut donc faire preuve d'une grande prudence », estime le juge.
Une prudence qui a de quoi agacer Claire Neirinck, professeur à l'université des sciences sociales de Toulouse-I, pour qui « la conception actuelle de l'assistance éducative est ringarde, paternaliste et désuète, car limitée au seul rapport de l'enfant avec le juge ». Conséquence : « L'avocat est l'empêcheur de tourner en rond », déplore-t-elle, plaidant en faveur de la reconnaissance du rôle pédagogique de ce dernier. « Si l'on veut restaurer les enfants et les familles, il est important qu'ils comprennent ce qui se passe en assistance éducative. Et la présence d'un avocat à leurs côtés peut être une aide appréciable. » Malheureusement, constate-t-elle, il n'y a pratiquement jamais d'avocat dans ce type de procédure car « si la loi prévoit sa présence, elle précise que sa désignation ne peut être demandée que par l'enfant ou ses représentants légaux » mais pas par le juge des enfants. D'où, d'ailleurs, la tentation, pour certains juges des enfants, de désigner un administrateur ad hoc qui assiste l'enfant mais sans avoir la légitimité et les compétences d'un véritable défenseur. Et même en matière pénale, ajoute Claire Neirinck, si l'ordonnance de 1945 pose le principe d'une présence obligatoire de l'avocat dès l'instruction, cette disposition n'est pas toujours respectée. Toujours est-il que, si débat il y a sur la place de l'avocat, il est relativement feutré et tient davantage au manque de précision des textes qu'à une réelle rivalité entre professionnels de la justice. « En fait, cela dépend beaucoup des juges, note Franck Natali, mais il est vrai que certains se montrent parfois réticents, par exemple pour nous communiquer les dossiers en assistance éducative. Or, même au civil, une décision prise par un juge reste une décision de justice. Il est donc nécessaire qu'il y ait des règles et qu'elles soient respectées. »
Reste que si les avocats de l'enfance revendiquent une meilleure reconnaissance de leur rôle, certains professionnels de la protection de l'enfance se demandent parfois si leur intérêt, assez récent, pour la justice des mineurs n'est pas déterminé, d'abord, par la volonté d'occuper un nouveau « créneau ». « C'est faux et injuste car ce n'est pas dans les tribunaux pour enfants que les avocats peuvent espérer faire fortune », rétorque-t-on à la Conférence des bâtonniers. « Effectivement, il est difficile de vivre uniquement avec ce que rapporte le travail auprès des jeunes, que ce soit au pénal ou en assistance éducative », confirme Franck Natali. Actuellement, explique-t-il, avec l'aide juridictionnelle (3), la présentation d'un mineur devant un juge pour enfants est payée :276 F, une audience au tribunal pour enfants : 414 F et l'assistance d'un mineur devant un juge d'instruction dans le cadre d'une procédure criminelle :1 104 F (4). « Et ça, s'emporte le bâtonnier, pour un avocat qui va travailler des mois, recevoir plusieurs fois le jeune dans son cabinet, l'assister aux audiences du juge, faire des notes... Il faut que cela cesse et que l'on prenne conscience qu'il faut donner à la défense les moyens de s'exercer. Il n'est pas normal que nous soyons obligés d'aller quémander auprès des conseils généraux et autres organismes, ce que légitimement la société devrait nous donner. » Ce cheval de bataille est aussi celui de Gérard Christol pour qui c'est tout l'appareil judiciaire qui est laissé à « l'abandon ». « Il est bien joli de manier des concepts élégants mais avec un budget de la justice qui représente 1,5 % du budget de l'Etat, nous savons où nous allons : nulle part. » De fait, comment faire respecter les droits des mineurs quand les juges des enfants sont débordés et que 5 000 à 6 000 mesures éducatives restent en attente, faute de moyens dans les services éducatifs ?
C'est pour réfléchir à l'ensemble de ces questions que la Conférence des bâtonniers a mis en place, depuis environ deux ans, une commission « Droits des mineurs ». Laquelle a présenté, récemment, une série de propositions dans le cadre du débat sur la justice des mineurs. En premier lieu, elle souhaite une reconnaissance de la spécialisation des avocats en droit des mineurs, avec une formation spécifique. Elle préconise, en outre, l'établissement d'un code de déontologie de l'avocat de l'enfant et propose d'affirmer davantage sa présence lors des audiences chez le juge des enfants. Enfin, elle demande que la présence d'un défenseur soit rendue obligatoire en matière d'assistance éducative et soit assortie de la remise d'une copie de pièces du dossier et du respect d'un délai de convocation suffisant.
Jérôme Vachon
(1) Conférence des bâtonniers : 12, place Dauphine - 75001 Paris - Tél. 01 44 41 99 11.
(2) Voir ASH n° 2075 du 12-06-98.
(3) L'aide juridictionnelle permet aux personnes démunies de bénéficier de l'assistance d'un avocat. Elle est instaurée par la loi du 10 juillet 1991, actuellement en cours de révision dans le cadre du projet de loi sur l'accès aux droits - Voir ASH n° 2074 du 5-06-98.
(4) Dans l'Essonne, le recours systématique à l'aide juridictionnelle, dans les affaires concernant les mineurs, permet aux avocats de ne pas demander d'argent aux parents, ce qui risquerait de les placer dans une position ambiguë.