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De la prise de conscience à la mobilisation

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A l'heure où l'on entend toujours plus parler d'Europe économique, c'est à une réflexion sur la dimension sociale de la construction européenne qu'appellent les membres de l'Union nationale des instituts de formation du travail éducatif et social (Unites)   (1).

Sans méconnaître la complexité d'une éventuelle harmonisation des politiques sociales des Etats de l'Union européenne, force est de constater la convergence des problèmes sociaux qu'ils rencontrent déjà - et des réponses qu'ils tentent de leur apporter. Au nombre des défis qu'ont à relever les différents pays, le vieillissement de la population, la pauvreté et le « mal des banlieues », sont quelques-uns de ces enjeux largement partagés. Ainsi, souligne Bruno Maynard, formateur à l'Institut d'économie sociale et familiale de Limoges, il y avait, en 1996, 364 personnes de 60 ans et plus pour 1 000 actifs en France, 370 aux Pays-Bas et 405 en Espagne  on en comptera, en 2005, respectivement 452,401 et 455. A ce vieillissement commun, correspondent, dans les différents pays, des dépenses affectées au troisième âge qui sont à peu près du même ordre : la France y consacre 35 % de son budget, l'Italie 34 % et l'Allemagne 31 %. Au-delà de ces chiffres, le contenu des politiques développées va aussi, sur bien des points, dans le même sens. Qu'il s'agisse par exemple du maintien à domicile des personnes âgées ou de la mise en place d'unités de vie à taille humaine, ces thématiques ne sont pas propres à la France.

Des problèmes partagés

La précarité et l'exclusion sont également des phénomènes massifs dans les différents Etats. Si on prend le critère de la pauvreté tel qu'il est défini par l'Union européenne - est pauvre celui qui a un niveau de vie inférieur à la moitié du revenu médian de la population globale -, on estime que près de 12 % des ménages de l'Union vivaient, en 1993, au-dessous de ce seuil de pauvreté. En réponse à cette montée de la précarisation, les différents pays ont mis en place des filets de protection minimale pour les plus démunis, fondés sur une philosophie assez semblable, même si leurs conditions d'accès et le niveau des prestations délivrées sont très hétérogènes. Avec son « allocation de maintenance » créée en 1933, le Danemark a ouvert la voie, suivi en 1948 par le Royaume-Uni, puis par la plupart des autres pays dans les années 60-75 et la France (RMI) en 1988. Seules l'Espagne et l'Italie ne disposent pas encore de système national comparable. Par ailleurs, des dispositifs d'économie solidaire du type entreprises d'insertion, régies de quartier ou épargne de proximité, existent ou sont en gestation dans tous les pays de l'Union.

Le chômage des moins de 25 ans et les modes d'approche des problèmes des banlieues, avec, d'un côté, la popularisation de thématiques sécuritaires (couvre-feu, suppression des allocations familiales aux parents de jeunes délinquants par exemple) et, d'autre part, l'accent mis sur un nécessaire travail de proximité (îlotage, formation des concierges, appel aux grands frères notamment) se retrouvent aussi dans les différents pays, fait observer Bruno Maynard.

La crise de l'Etat providence est également d'actualité dans tout l'Espace européen, avec ses conséquences en termes de rationalisation des choix budgétaires, de planification et d'évaluation. Parmi les dépenses consacrées au social - qui représentent en moyenne 26 % du PNB des pays -, le financement des retraites ou la maîtrise des coûts de la santé par exemple, engendrent, ici et là, le même type de solutions. Et le désengagement de l'Etat se traduit, partout, par un transfert de pouvoir en direction des collectivités locales et un appel au secteur privé pour contribuer à la prise en charge des systèmes de protection sociale - même si ces derniers, fruits d'histoires nationales singulières et du niveau de développement propre à chaque pays, restent spécifiques.

Libre circulation des travailleurs dans l'Espace européen ?

A cette européanisation des problèmes, les praticiens du social sont bien sûr les premiers confrontés. Pourtant le cœur des tâches attendues d'eux dans les différents pays demeure hétérogène. Et l'harmonisation des diplômes et des qualifications permettant une libre circulation des travailleurs sociaux à l'intérieur de l'Espace européen est encore embryonnaire.

Aujourd'hui, deux directives ont vocation à s'appliquer au secteur des professions sociales : les directives n° 89-48 du 21 décembre 1988 et n° 92-51 du 18 juin 1992. Toutefois, en France, seule la profession d'assistant de service social - pratiquée dans l'ensemble des pays de l'Union, à l'exception de la Suède - est concernée, parce que c'est la seule qui soit réglementée, c'est-à-dire dont l'accès ou l'exercice est subordonné à la possession d'un diplôme. Les assistants sociaux titulaires d'un diplôme d'Etat français peuvent donc exercer leur profession dans les différents pays de l'Union (2). En revanche, s'agissant des autres professions éducatives et sociales, il n'y a pas, en France, d'obligation légale, réglementaire ou administrative, qui exige des personnes titulaires de diplômes étrangers la possession d'une autorisation pour exercer. Autrement dit,  les praticiens européens peuvent, sans contrainte, venir travailler en France. A l'inverse, un éducateur spécialisé français ne pourra pas s'installer au Luxembourg ou en Allemagne, car dans ces deux pays la profession d'éducateur est réglementée alors qu'elle ne l'est pas en France, précise Héléna Coudy-Clavier, directrice de l'Institut régional de formation d'éducateurs d'Isle, et présidente de la commission « Reconnaissance des diplômes et des qualifications » à l'Association européenne des centres de formation au travail socio-éducatif.

Or la profession d'éducateur spécialisé est actuellement, avec celle d'assistant de service social, la plus répandue en Europe : elle est pratiquée dans tous les pays de l'Union, à l'exception de la Grèce. Et plusieurs Etats travaillent dans le sens de sa réglementation, ce qui signifie qu'à terme les éducateurs français pourraient se voir interdire d'y exercer, explique Héléna Coudy-Clavier.

La question de la réglementation

Néanmoins, est-ce que la reconnaissance mutuelle des qualifications et des compétences doit passer par une réglementation ? Tel ne semble pas être l'avis de la majorité des professionnels, estime un représentant de la CFDT. C'est ce qui ressortait, explique-t-il, du premier colloque européen des éducateurs spécialisés, qui s'est tenu à Obernai en novembre dernier (3). Les éducateurs y avaient notamment réclamé une harmonisation des formations au niveau européen et une meilleure protection conventionnelle et statutaire, qui soit reconnue à l'intérieur de l'Europe, afin de pouvoir exercer leur métier en conformité avec la libre circulation des travailleurs. « Mais cela ne passe pas, déclare le syndicaliste, par l'organisation d'une profession à ordre », comme celle des médecins ou des avocats.

« Régulièrement évoquée au Conseil supérieur du travail social, la question de la réglementation est un débat qui nous préoccupe, mais on n'a pas, à ce jour, de réponses », déclare Françoise Tuchman, responsable, à la direction de l'action sociale, du bureau des professions sociales. Et de souligner, en France même, l'évolution importante des métiers du travail social, objet d'ailleurs de l'importante recherche pilotée par la MIRE sur l'intervention sociale (4). Si cette analyse franco-française est actuellement prioritaire, affirme Françoise Tuchman, il n'empêche : l'absence de réglementation n'est pas un frein à la libre circulation des travailleurs, dans la mesure où c'est aux employeurs d'apprécier les compétences des personnes qu'ils ont toute latitude pour embaucher. « Et l'inexistence d'équivalences entre les diplômes n'est pas non plus un obstacle pour offrir aux intéressés un contrat de travail en référence à un bon positionnement dans la convention collective. »

Une mobilisation renouvelée ?

Au niveau européen, avant même de parler d'homologation ou de reconnaissance des diplômes, la différence de dénomination des professionnels constitue le premier problème à affronter, explique Leonor Ronda-Ortin, formatrice à Turin (Italie) et vice-présidente du Comité européen des centres de formation. Educateurs spécialisés ici, éducateurs professionnels là, éducateurs sociaux ou pédagogues sociaux ailleurs, voire absence de la notion elle-même dans les pays anglo-saxons, le terme d'éducateurs (teachers) y étant réservé au secteur scolaire - ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas d'interventions dans un champ professionnel équivalent.

Loin d'être purement anecdotique, cette diversité de vocabulaires traduit des manières différentes d'appréhender la réalité. Ainsi, précise Leonor Ronda-Ortin, pour les Anglo-Saxons, l'accent est traditionnellement mis sur le social et non l'éducatif. Dans les pays où il y a des éducateurs sociaux (Espagne, Allemagne, Danemark)  - ou professionnels (Italie)  -, le rôle de ces praticiens est polyvalent : ils travaillent dans l'inadaptation,  la déviance et la déficience, mais aussi dans la normalité, avec un objectif de prévention et de promotion de projets montés par les populations pour elles-mêmes. En revanche en France ou en Belgique, les éducateurs spécialisés interviennent moins dans la promotion de la vie du quartier et davantage dans la déviance et sa prévention.

Quelles que soient les orientations de travail des éducateurs, propres aux différents pays, leur contribution au développement de la pleine citoyenneté de tous va devenir partout de plus en plus difficile, pronostique la formatrice. Et ce, à cause d'une perte généralisée des repères auxquels se référer, et d'une augmentation des besoins à l'heure où s'annonce, dans toute l'Union, une diminution des ressources dévolues au social. D'où la nécessité de bien cibler les compétences à construire chez les étudiants - dont, évidemment, un minimum de connaissances linguistiques, si on veut vraiment faire l'Europe. Mais, dans les formations dispensées, il faut surtout et avant tout, insiste Leonor Ronda-Ortin, développer,  chez les jeunes, une éthique professionnelle qui passe par le respect de la personne, la compréhension de la nécessité de normes et de limites pour vivre en société, et l'affirmation de la primauté de la conscience -et de la responsabilité - individuelles, afin de s'élever contre les lois que l'on juge iniques. Actuellement cependant, dans les centres de formation,  précisent plusieurs intervenants, on ne se préoccupe aucunement de cultiver l'esprit critique des étudiants.

Le militantisme des travailleurs sociaux, leur capacité à dire non se seraient-ils perdus dans une Europe fonctionnarisée, à la différence de ce qui se passe dans les pays émergents ou en développement ? D'une certaine manière oui, répond Gustavo Velastegui, directeur de l'Ecole d'éducateurs spécialisés de Lille et président de l'Association internationale des éducateurs sociaux  (3). En panne d'idéal, l'éducateur des pays développés, ajoute-t-il, ne trouverait plus la motivation suffisante pour produire des idées de transformations sociales alors que, dans les pays du tiers-monde, innover est tout bonnement une question de survie. Or « il n'y a pas de situation à mi-chemin : inclus ou exclus, affirme Gustavo Velastegui. Il y a un ordre social avec lequel nous sommes d'accord ou pas, et nous devons dénoncer la montée des situations d'exclusion et la lenteur des dispositifs mis en place. »

Caroline Helfter

Notes

(1)   « Action sociale et formations en Europe », journée nationale organisée le 20 mai par Unites : 1, cité Bergère - 75009 Paris - Tél. 01 53 34 14 78.

(2)  Voir ASH n° 1843 du 3-09-93 et n° 2058 du 13-02-98.

(3)  Voir ASH n° 2048 du 5-12-97.

(4)  Voir ASH n° 2056 du 30-01-98.

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