Il n'y aura pas de réforme de l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs mais une mise en œuvre de toutes les possibilités qu'elle offre, « tant en ce qui concerne les mesures éducatives que les sanctions pénales ». C'est ce qu'ont annoncé, le 8 juin, Elisabeth Guigou et Jean-Pierre Chevènement, qui présentaient le plan gouvernemental de lutte contre la délinquance, arrêté lors du Conseil de sécurité intérieure qui avait lieu le même jour. Une réunion interministérielle qui s'appuyait notamment sur les conclusions du rapport Lazerges-Balduyck, remis fin avril au Premier ministre (1). Les ministres de la Justice et de l'Intérieur semblent donc, à la faveur de l'arbitrage du Premier ministre, avoir accordé leurs points de vue sur ce dossier qui les a, un temps, divisés (2). Prévention et répression ne sont pas séparables, ont-ils d'ailleurs déclaré, à tour de rôle, affirmant vouloir trouver « un juste équilibre » entre les deux. Jean-Pierre Chevènement, contrairement à ce qu'il avait écrit, a même ajouté « qu'il n'y a pas de présomption d'irresponsabilité » dans la mesure où le principe de la responsabilité pénale des mineurs délinquants « se déduit des textes en vigueur ». Le plan précise d'ailleurs que ce principe « doit être mis en œuvre de manière systématique, rapide et lisible en réponse à chaque acte de délinquance » et que « le traitement des mineurs délinquants doit constituer, pour les magistrats de la jeunesse, les policiers, les gendarmes, les éducateurs et les intervenants sociaux, un objectif prioritaire auquel il convient de consacrer du temps et des moyens ».
Au-delà des principes affichés, ce plan reste dans la continuité des actions engagées en généralisant des expériences portées, jusque-là, par des professionnels. Il n'en demeure pas moins qu'il souffre de l'absence de dispositions concrètes pour son application, étant simplement précisé que chaque ministre doit « adresser des orientations » à cet effet. Quant aux moyens en termes d'emplois et de financement, ils restent à définir, même si le garde des Sceaux s'est voulu rassurant en s'engageant à ce qu'ils soient chiffrés.
Premier objectif du gouvernement, renforcer la prévention en agissant, notamment, tant auprès des parents que de l'institution scolaire.
Il est d'abord prévu de responsabiliser les parents, notamment en leur « apportant une aide » grâce à des « actions d'information, d'écoute et de conseil », en les associant davantage à la vie scolaire de leur enfant et en développant « des dispositifs de médiation sociale et culturelle efficaces ».
Il a également été décidé d'organiser « une meilleure articulation entre les services d'aide sociale à l'enfance et les juridictions pour mineurs pour la prévention et le traitement des familles en difficulté ». Un travail de diagnostic et d'évaluation devrait d'ailleurs être engagé sur cette question, pendant un an, dans dix départements dont la liste doit être prochainement arrêtée.
Par ailleurs, le gouvernement souhaite que les parents soient associés, par « des convocations systématiques », à« tous les stades des procédures judiciaires concernant leurs enfants ».
En outre, lorsqu'un mineur aura commis un acte de délinquance, l'utilisation des prestations familiales au profit des enfants devra être systématiquement vérifiée. Et, « chaque fois que cela est justifié », conformément aux textes en vigueur, des mesures de suspension ou de mise sous tutelle de ces prestations seront prises à l'encontre des familles de mineurs délinquants.
Le plan prévoit, par ailleurs, de renforcer le rôle de l'école dans trois directions. Il s'agit, en premier lieu, d'aider « par tous les moyens », la rescolarisation des élèves en difficulté, en « maîtrisant l'absentéisme », en évitant d'entrer dans « le cycle des exclusions » et en créant, à titre préventif,100 classes-relais en 1998 et 250 en 1999 (2). Il est également préconisé de favoriser le développement de « lieux d'accueil innovants », relevant de l'Education nationale, à destination des jeunes en difficultés familiale ou sociale. A cette fin, une mission de réflexion devrait être confiée à un recteur (sans qu'aucune date ne soit indiquée). Enfin, est-il rappelé, l'éducation civique et l'apprentissage de la loi doivent être renforcés àl'école.
Parmi les autres dispositions, le gouvernement a également annoncé, sans plus de précision, qu'il allait mobiliser les dispositifs d'insertion professionnelle pour que les jeunes des quartiers sensibles« bénéficient pleinement dudispositif emploi-jeunes » (3).
Et il déclare vouloir « protéger les mineurs des effets de certains médias » : une consultation devrait être engagée en ce sens avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel pour parvenir à « une réduction de la diffusion des images violentes ».
« Donner une réponse systématique, rapide et lisible à chaque acte de délinquance quel qu'il soit. » Tel est l'un des autres principes affichés par le gouvernement.
Concernant les affaires les moins graves, il a été décidé que les mineurs feraient l'objet, dès la première infraction, « d'un avertissement en présence de leurs parents par les services de police et de gendarmerie ». En outre,ils seront convoqués devant le procureur ou son délégué. A cette fin, 200« délégués du procureur spécialisés » devraient être recrutés avant la fin de l'année (et 300 l'an prochain) qui interviendront dans les maisons de justice (20 nouvelles seront créées).
Quant aux mesures de réparation et aux travaux d'intérêt général, ils devraient être accrus « de manière très importante », est-il souligné.
Pour les affaires les plus graves, le gouvernement entend renforcer les sanctions et diversifier les modes de prise en charge.
Dans ce domaine, le gouvernement veut « accroître la coordination entre les différents intervenants ». En outre, pour « permettre l'exercice effectif des mesures de liberté surveillée ou de contrôle judiciaire », les capacités d'accueil des centres de jour de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) devraient être augmentées de plusieurs centaines de places, dès 1999, et s'appuyer sur des « réseaux de volontaires et bénévoles » .
Parallèlement, une cellule de coordination de l'accueil d'urgence devrait être mise en place dans chacun « des 26 départements où la délinquance est la plus forte » (4), associant, à l'initiative des directeurs de la PJJ, des représentants du secteur associatif et de l'aide sociale à l'enfance.
Enfin, des protocoles pourraient être conclus entre les différentes directions départementales de la PJJ « pour permettre le placement des mineurs hors de leur département d'origine et en assurer le suivi ».
Pour le gouvernement, l'un des principaux objectifs est de parvenir à ce que le juge des enfants dispose de solutions adaptées à chaque situation et que les mesures d'éloignement prononcées soient effectivement exécutées. C'est ainsi qu'il a annoncé une série de dispositions dont il reste à définir les modalités pratiques.
Il s'agira, tout d'abord, d'organiser un dispositif diversifié d'hébergement permettant d'accueillir des mineurs 24 h sur 24 et de les éloigner « pendant la durée nécessaire [...] en raison de la gravité des faits commis ». En outre, un ou plusieurs foyers seront spécia lisés dans l'accueil des moins de 16 ans, dans chacun des 26 départements prioritaires.
L'une des ambitions est également de mieux articuler le secteur de psychiatrie infanto-juvénile avec les éducateurs de la PJJ. A ce sujet, un accueil spécifique pour les adolescents sera développé, lorsqu'il n'existe pas, dans les secteurs de psychiatrie des départements concernés.
Le gouvernement a également promis de renforcer les capacités d'accueil des placements familiaux, à hauteur de 150 places supplémentaires dès 1999. De même, dans les départements sensibles, il compte ouvrir de nouveaux foyers dans le secteur public et réserver des places dans le secteur associatif afin, précise-t-il, « d'assurer la prise en charge de 120 mineurs délinquants supplémentaires dès 1999 ». Quant aux dispositifs éducatifs renforcés, leur nombre devrait être porté de 13 à 20, fin 1999. Dernier engagement : des psychologues et des infirmières devraient être recrutés dans les foyers en vue de « faire le lien » avec les dispositifs de santé publique.
Le gouvernement souhaite améliorer les conditions de détention des mineurs, sachant que 3 495 mineurs ont été incarcérés en 1997. A cet effet, des petits quartiers de 20 à 50 places, réservés aux mineurs ou aux jeunes majeurs, devraient être créés ou réaménagés, en priorité en Ile-de-France. Et la carte pénitentiaire des quartiers pour mineurs revue. Là aussi, aucune date n'a été annoncée.
Il est également prévu de renforcer les personnels médicaux, socio-éducatifs et enseignants, au sein des établissements pénitentiaires prenant en charge les jeunes détenus.
Comment le gouvernement compte-t-il mettre en œuvre ses orientations ? Son intention est de les inscrire dans « une géographie prioritaire » en mobilisant les intervenants « autour d'un projet territorialisé ». Dans le cadre d'une programmation pluriannuelle, ses moyens - non encore définis - devraient être concentrés, en priorité, dans les villes des 26 départements les plus touchés par la délinquance.
Les interventions des services de l'Etat seront mieux coordonnées au niveau local. Ainsi, au sein de la police nationale, la compétence des brigades des mineurs devrait être étendue« au traitement de certains actes commis par les mineurs », en particulier en milieu scolaire dans les départements prioritaires. Et le nombre des brigades de prévention de la délinquance juvénile de la gendarmerie porté de 10 à 20 dès 1998. Parallèlement, dans chaque circonscription de sécurité publique, un« correspondant local police-jeune »sera chargé, notamment, de tenir un« tableau de bord » de la délinquance juvénile. Au-dessus de lui, un référent départemental centralisera l'ensemble des informations. Ce dispositif devant, également, être étendu à la gendarmerie. Enfin, un« effort massif » de formation est annoncé en direction des fonctionnaires participant au maintien de l'ordre et des formations communes seront ainsi instituées avec des professionnels sociaux, sanitaires et éducatifs, au niveau des quartiers.
De son côté, la justice des mineurs « sera valorisée et réorganisée par le renforcement de la spécialisation des parquets en matière de mineurs et des juges d'instruction », indique le gouvernement. Et une fonction de coordination sera confiée aux vice-présidents des tribunaux pour enfants et aux conseillers délégués à la protection de l'enfance. « Des postes de magistrats, notamment de juges des enfants, seront créés à cet effet », ont promis les ministres.
Mais surtout, le plan prévoit un nouveau projet pour la PJJ. Outre une rédéfinition de ses missions (notamment autour du diagnostic et de l'orientation des mineurs délinquants et de la prise en charge des jeunes les plus difficiles), elle devrait voir ses moyens « renforcés » et son organisation adaptée « grâce à une déconcentration de ses personnels ». Elisabeth Guigou n'ayant donné aucune indication concrète sur ce chantier.
Au-delà des services de l'Etat, il s'agit, également, de mobiliser l'ensemble des acteurs concernés. Ainsi, il est prévu que le dispositif s'appuie sur une coordination plus étroite entre le préfet, le procureur et les autorités académiques et la mobilisation des structures départementales et communales de prévention de la délinquance. Un « groupe de suivi », composé du préfet et des représentants de la justice, de la PJJ et du conseil général, devrait voir le jour au sein du comité départemental de prévention de la délinquance.
Par ailleurs, les préfets et les procureurs devront élaborer, « dans les délais les plus brefs », un plan d'action au niveau des contrats locaux de sécurité avec, le cas échéant, l'élaboration de conventions particulières portant, par exemple, sur les mesures de soutien aux parents, les actions post et périscolaires ou encore le recrutement de bénévoles en tant que délégués du procureur ou chargés d'« assister les éducateurs professionnels ».
Il est également envisagé de relancer le plan de lutte et de prévention sur la violence scolaire (4).
Enfin, le gouvernement souhaite engager une concertation avec les conseils généraux, notamment en vue « de clarifier et de renforcer » la collaboration entre l'Etat et les départements en matière de protection de l'enfance. L'autre objectif étant de développer le signalement « des contextes familiaux et sociaux les plus sensibles », en particulier dans le cadre de la protection maternelle et infantile.
J. V. - I. S.
Du côté des syndicats de la PJJ, très inquiets avant l'annonce des orientations gouvernementales, les réactions sont partagées.« Le gouvernement affirme qu'il ne modifie pas l'ordonnance de 1945. Mais, dans les faits, il abandonne la primauté de l'intervention éducative au profit d'une systématisation de la sanction », déplore, pour sa part, le Syndicat national des personnels de l'éducation surveillée-PJJ-FSU (5). En effet, explique-t-il, « le traitement en temps réel ne prend en compte que l'acte et empêche toute intervention éducative dans la durée auprès des jeunes délinquants ». Par ailleurs, il « s'oppose » à la redéfinition des missions de la PJJ, estimant que l'on veut « transformer les éducateurs en auxiliaires de justice ». Aussi le syndicat maintient-il le préavis de grève qu'il avait déposé, pour le 23 juin.
Appelant, elle aussi, à la grève pour le 23 juin, la CFDT Justice-PJJ (6) se dit, cependant, « satisfaite de voir réaffirmer la nécessité de mettre en œuvre toutes les possibilités offertes » par l'ordonnance de 1945. Toutefois, prévient-elle, « nous ne pouvons pas nous contenter de quelques bonnes intentions philosophiques [...] sans qu'elles soient accompagnées d'un plan évolutif chiffré et précis de mise en œuvre et d'un budget conséquent ». Mais surtout, le syndicat s'inquiète du fait que « l'Etat se décharge du rôle qui lui est confié en institutionnalisant le bénévolat ». Or, rappelle-t-il, « les décisions doivent être prises par des magistrats professionnels » et leur application confiée « aux fonctionnaires de justice et aux professionnels des secteurs sociaux ». Une inquiétude qui est d'ailleurs partagée par le Syndicat national de la protection judiciaire de la jeunesse-FEN-UNSA (7). Lequel, s'il se déclare « satisfait » des orientations annoncées, se montre très réservé sur l'utilisation de délégués bénévoles chargés d'assister les éducateurs de la PJJ et sur le « recours massif » aux délégués du procureur.
Quant à la sociologue Nicole Le Guennec, auteur avec Sophie Body-Gendrot du rapport sur les violences urbaines, à la demande de Jean-Pierre Chevènement (8), elle affirme être « très sceptique » à propos de ces mesures. « Il n'est pas mauvais d'insister sur l'importance de la prévention mais quand la prévention est en panne, quand les éducateurs ont eux-mêmes le sentiment d'être impuissants, cela veut dire qu'on va mobiliser beaucoup de monde pour un résultat aléatoire. » Il faudrait, ajoute-t-elle,« des solutions plus'définitives " ». Car, si les éducateurs savent « faire » avec des individus, ils sont « désarmés devant des manifestations de groupes, de bandes », explique la sociologue. « Aujourd'hui, ils n'ont plus à faire à des jeunes en rupture avec la famille, l'école ou la société, il ne s'agit plus d'une délinquance ordinaire. Quand 50 personnes cassent un magasin, ce n'est plus de la délinquance, mais le signe d'une frustration sociale. »
(1) Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Drôme, Eure-et-Loir, Haute-Garonne, Gironde, Hérault, Isère, Loire, Loire-Atlantique, Nord, Oise, Pas-de-Calais, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Rhône, Seine-Maritime, Seine-et-Marne, Yvelines, Var, Vaucluse, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Val-d'Oise.
(2) Voir ASH n° 2070 du 8-05-98.
(3) Voir ASH n° 2060 du 27-02-98.
(4) Voir ASH n° 2068 du 24-04-98.
(5) SNPES-PJJ-FSU : 54, rue de l'Arbre-sec - 75001 Paris - Tél. 01 42 60 15 84.
(6) CFDT Justice-PJJ : 47/49, avenue Simon-Bolivar - 75019 Paris - Tél. 01 42 38 64 10.
(7) SPJJ-FEN-UNSA : 48, rue La Bruyère - 75440 Paris cedex 09 - Tél. 01 40 16 78 13.
(8) Voir ASH n° 2073 du 29-05-98.