« Insertion et services font bon ménage », proclame l'affiche placardée dans les locaux de Ménage service Paris (1). Un slogan qui résume bien les ambitions de cette association intermédiaire, créée en janvier 1996 au sein du réseau national Ménage service de la Fédération nationale des associations de réadaptation sociale (FNARS) (2). Car pour ses responsables, comme pour ceux des 12 autres Ménage service existant actuellement en France (plus huit projets en cours) (3), il s'agit de trouver le juste équilibre entre un indispensable développement commercial et l'insertion sociale et professionnelle de personnes en difficulté.
Les salariés de Ménage service Paris travaillent dans toute la capitale, au domicile de particuliers ou dans des petites entreprises. Ils font du ménage, du repassage ou, plus rarement, du bricolage et de la garde d'enfants. En 1997, ils étaient 74, employés à temps partiel, dont 63 femmes. Agés, pour la plupart, de 26 à 49 ans, leur niveau scolaire est faible : une vingtaine d'entre eux sont illettrés et plus de 30 sans qualification. Leur situation est très précaire avec des difficultés malheureusement banales : chômage de longue durée, problèmes de logement et de santé, endettement, conflits familiaux... D'ailleurs, quasiment tous font déjà l'objet d'un suivi social, dont une vingtaine au titre du RMI. « Pour nous, c'est important dans la mesure où nous n'avons pas les moyens d'effectuer ce suivi social. Aussi travaillons-nous beaucoup en partenariat avec les différents organismes [SSE, mission locale, CAS de Paris Xe, services du RMI...] qui nous adressent des candidats », explique Gilles Jourdan, directeur de Ménage service Paris, à l'initiative du projet né en 1995. Educateur de formation, il était alors directeur adjoint du CHRS La Fayette-Accueil. Un établissement situé dans le Xe arrondissement de Paris, qui accueille des femmes isolées, avec ou sans enfants. « A l'époque, il était clair que les personnes que nous accueillions rencontraient beaucoup de difficultés pour trouver du travail. D'où l'idée de lancer une association intermédiaire susceptible de servir de passerelle vers l'emploi », raconte-t-il. Le projet démarre début 1996 avec les moyens du bord. Au départ, l'association ne compte que deux permanents, dont le directeur détaché par La Fayette-Accueil. Aujourd'hui, ils sont cinq. Un progrès, même si leurs postes ne sont toujours pas financés de façon pérenne. L'association a reçu une aide au démarrage d'un montant de 100 000 F, complétée par un prêt de 55 000 F du CHRS qui a fourni également des locaux (50 m2 en sous-sol). Aujourd'hui, le pari semble en passe d'être gagné. En 1997, plus de 20 000 heures de travail ont été facturées et l'autofinancement de l'association atteint 80 %. Et pour 1998, on prévoit une nouvelle augmentation du chiffre d'affaires qui pourrait passer de 1,4 à 2,3 millions de francs.
Le projet s'inscrit dans le réseau Ménage service qui a été créé, à Amiens, en 1992, au sein de la FNARS. « Il y a d'abord le côté pratique, explique Gilles Jourdan, car il s'agit d'un système formalisé qui offre tous les outils et toutes les clefs pour monter sa propre structure. » Autre avantage : le soutien apporté par les autres membres du réseau. « Nous nous rencontrons régulièrement pour partager nos expériences et nos difficultés. Nous bénéficions également de l'expertise de la FNARS. Ce qui nous permet, notamment, d'avoir accès à certains financements », ajoute le directeur. Le fait d'appartenir au réseau impose, en contrepartie, de respecter un cahier des charges précis. Ainsi, faut-il obligatoirement être adhérent à la FNARS, déposer un projet qui devra être agréé par le groupe d'appui national et posséder de réelles compétences sociales. « Nous avons eu le cas d'un chômeur issu du monde de l'entreprise qui voulait monter un Ménage service. Mais son projet n'a pas été accepté, justement parce qu'il n'avait pas cette sensibilité sociale », se souvient Gilles Jourdan. De fait, tous les Ménage service s'enracinent dans le secteur social, et bénéficient du soutien d'une structure porteuse, CHRS ou autre.
Le droit d'utiliser l'appellation Ménage service implique également l'adhésion à une charte nationale. Les porteurs de projet s'engagent ainsi à ce que leur structure « ne devienne pas un lieu de placement mais un lieu où s'organise un suivi régulier intégrant la prise en compte des problèmes de santé, de logement, de formation et de travail ». La charte prévoit, en outre, une obligation de formation (initiale et continue) pour les salariés et le développement d'un partenariat local, notamment avec les acteurs de l'insertion. A Ménage service Paris, la formation constitue effectivement l'une des clés du système. « Il ne s'agit pas d'une formation qualifiante mais à visée professionnelle », explique Patricia Collao, responsable de la gestion du personnel. « O n y aborde le côté technique du travail, la connaissance du monde de l'entreprise et, aussi, la connaissance de soi, poursuit-elle, car le fait de travailler chez des particuliers demande des compétences relationnelles particulières. » En même temps, il s'agit de valoriser l'activité des salariés, de faire en sorte que leur travail soit reconnu. « A l'heure actuelle, poursuit la permanente , force est de constater que les tâches ménagères restent largement dévalorisées. Nous insistons donc constamment auprès de nos salariés et de nos clients sur le fait que c'est un vrai métier. Et nous essayons toujours de nous appuyer sur les compétences des personnes que nous employons. » L'association cherche également à recréer un certain lien social afin de briser la solitude dont souffrent beaucoup de ses employés, en particulier les femmes. Ainsi, des réunions de salariés et des activités extra-professionnelles sont-elles régulièrement organisées. De même, plusieurs salariés participent à la réalisation du journal national des Ménage service.
Reste que Ménage service Paris ne peut évidemment pas répondre à toutes les demandes de personnes en difficulté. Ne serait-ce que parce qu'elles dépassent de loin ses possibilités d'embauche. Ainsi, l'an dernier, pas moins de 400 personnes l'ont sollicité pour un travail. Dans ces conditions, comment organiser la sélection en évitant de rejeter systématiquement les personnes les moins facilement employables ? Les responsables tablent, avant tout, sur la motivation. « Lorsque nous avons des postes à pourvoir, nous recevons les gens pour comprendre quelle est leur demande et voir dans quelle mesure elle est compatible avec ce que nous cherchons. Souhaitent-elles vraiment s'investir dans notre secteur d'activité ? Ont-elles compris notre mode de fonctionnement et ses contraintes ? Quelles compétences ont-elles en matière d'activités ménagères ? Par exemple, savoir repasser ne s'invente pas », explique Gilles Jourdan. Il est également impératif que les principaux problèmes sociaux des candidats soient déjà débroussaillés. Enfin, la confiance est essentielle car ces personnes sont appelées à travailler au domicile de particuliers. Autant d'exigences qui constituent inévitablement un filtre. « C'est vrai, reconnaît le directeur, mais à partir du moment où nous intégrons quelqu'un, nous sommes certains de pouvoir le faire travailler rapidement, notre objectif étant de l'amener à un mi-temps en une quinzaine de jours. Notre choix est en effet d'employer relativement peu de personnes mais de leur fournir un nombre d'heures conséquent. Ce qui leur permet d'avoir une régularité au travail, de disposer de fiches de paie et de pouvoir ouvrir un dossier de relogement. »
Une fois la personne embauchée, et après une première période de formation, l'équipe de Ménage service l'accompagne systématiquement à tous ses premiers rendez-vous chez les clients. Le but de cette rencontre ? Présenter le salarié, dresser un état des lieux et préciser les tâches à accomplir ainsi que le temps nécessaire à leur réalisation (la facturation est horaire). Il s'agit également d'expliquer les objectifs de l'association. « Au début nous étions assez discrets sur l'aspect insertion de notre activité. Mais nous nous sommes rapidement aperçus qu'il fallait être clair dès le départ afin d'anticiper les petits problèmes qui sur- viennent parfois. En outre, pour certains de nos clients, le fait de passer par une association intermédiaire constitue une motivation supplémentaire. » Pour la plupart, cependant, les clients font appel à l'association d'abord pour obtenir un service de qualité tout en se déchargeant des formalités incombant à l'employeur. Le tout en bénéficiant de la réduction d'impôt pour emploi d'un salarié à domicile (4). Ainsi, sur les 72 F que coûte l'heure de ménage, le client pourra-t-il en déduire la moitié. Le fait d'employer une personne en voie d'insertion nécessite toutefois une certaine souplesse car des problèmes peuvent parfois survenir : retards, absences, travaux mal faits. Comment gérer ces situations ? « Nous essayons toujours d'aborder le problème de façon humaine, indique le directeur, par exemple en aménageant au maximum les horaires de travail de ceux qui ont des contraintes familiales ou encore en dialoguant avec le client. Mais il peut arriver qu'à force, un salarié perde progressivement tous ses clients et que nous refusions de lui en fournir d'autres. » Des échecs qui, affirme-t-il, sont heureusement assez rares.
Le principal problème reste la sortie définitive des salariés de l'association. Les premiers résultats sont, certes, encourageants mais encore insuffisants : l'an dernier, sur les 33 personnes ayant quitté l'association, sept ont été embauchées en contrat à durée indéterminée (notamment chez des particuliers et dans des entreprises de nettoyage), quatre en contrat à durée déterminée et quatre autres ont bénéficié d'un départ en formation. « En 1998, nous aimerions qu'il y ait davantage de sorties positives », souligne Gilles Jourdan. Dans ce but, il a demandé et obtenu le financement d'un poste de permanent au titre du développement de l'emploi local d'insertion. Ce qui devrait permettre de démarcher des entreprises du secteur concurrentiel et ainsi de faciliter l'embauche des salariés. Du moins de ceux qui le peuvent. Car, pour certains, l'intégration dans une entreprise ordinaire demeure problématique. « Je pense à une dame qui était en très grande difficulté et que nous employons depuis deux ans. Elle a fait des progrès énormes mais elle n'est pas encore prête à se passer d'un encadrement spécialisé », raconte Gilles Jourdan. Toute la difficulté consiste donc à évaluer à quel moment elle sera prête à franchir le pas et à l'obliger à quitter le « cocon confortable » de l'association. Car il n'est évidemment pas question de garder qui que ce soit ad vitam aeternam. « Dès le départ, nous leur expliquons qu'il ne doit s'agir que d'un passage », précise Patricia Collao. Pour faciliter cette transition, une entreprise d'insertion, l'Association ménage jardinage et aide à domicile, va d'ailleurs être créée dans le prolongement de Ménage service. Elle aura pour vocation d'accueillir des personnes déjà passées par l'association intermédiaire mais qui ne sont pas prêtes à intégrer le marché du travail classique ou qui ne trouvent pas de travail.
Au final, Gilles Jourdan dresse un premier bilan plutôt positif de ces deux premières années de fonctionnement, même si, insiste-t-il, l'association doit progresser en matière d'insertion. « Ce qui est intéressant, observe-t-il, c'est qu'on est dans le social mais aussi dans la réalité économique. Et c'est essentiel dans la mesure où, dans notre société, le travail demeure une valeur centrale. D'ailleurs, pour les personnes accueillies ici, le fait d'avoir un emploi signifie, d'abord, être comme tout le monde. »
Jérôme Vachon
(1) Ménage service Paris : 190, rue La Fayette - 75010 Paris - Tél. 01 42 09 99 99.
(2) FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 45 23 39 09.
(3) Voir ASH n° 2068 du 24-04-98.
(4) Cette réduction d'impôt concerne les foyers imposables. Elle est égale à la moitié des sommes engagées dans une limite de 45 000 F. Soit un avantage maximal de 22 500 F. Voir ASH n° 2055 du 23-01-98.