Il y a quelques mois, dans un rapport remis à Martine Aubry, Alain Bruel, président du tribunal pour enfants de Paris, tirait le signal d'alarme sur la crise profonde que connaît la fonction paternelle (1). La ministre de l'Emploi et de la Solidarité lui avait alors demandé de poursuivre sa réflexion afin de présenter des « recommandations précises » . C'est l'objet du nouveau rapport que vient de rendre le magistrat au nom du groupe de travail « paternité » de la direction de l'action sociale. Un document intitulé : Assurer les bases de l'autorité parentale pour rendre les parents plus responsables, qui se révèle d'une brûlante actualité à l'heure où certains souhaitent sanctionner les parents des jeunes délinquants. Sur cette question, Alain Bruel évoque d'ailleurs la « consternation » du groupe de travail. Pour lui, l'arsenal répressif actuel est « largement suffisant ». D'autant, remarque-t-il, que cette législation est peu utilisée par la justice. « Les praticiens [...] savent que le redressement de telles situations passe rarement par l'incarcération ou la pénalisation financière des adultes : au point où en sont nombre d'entre eux, il n'est pas vraiment nécessaire de leur enfoncer la tête sous l'eau il vaut mieux les aider à s'en sortir. » En outre, poursuit-il, « si les parents vivent les difficultés en première ligne, ils ne sauraient être tenus pour seuls responsables ».
Ce deuxième rapport reprend les grand axes du précédent en proposant, d'abord, « de veiller à la continuité d'exercice de l'autorité parentale ». Ainsi, le magistrat suggère-t-il d'inscrire dans le code civil « l'interdit du déni de parentalité ». Une « nécessité pour l'enfant d'avoir un père et une mère » qui rencontre cependant « d'évidentes difficultés », notamment avec l'accouchement sous X. D'où l'idée de créer un « conseil pour la recherche des origines familiales », chargé de gérer les demandes de levée de l'anonymat. Alain Bruel préconise également une « solennisation de la désignation des parents dans la filiation naturelle ». Et sur la question de la place du beau-parent, récemment évoquée dans le rapport d'Irène Théry sur la famille (2), il opte pour « une pluralité de solutions » : mandat limité, délégation « plus ou moins complète d'autorité parentale », adoption simple... Par ailleurs, en cas de placement, afin d'éviter que ne surgissent des conflits entre l'établissement et les parents, il recommande d'attribuer au juge des enfants le pouvoir de prononcer « des mesures de suspension partielles et temporaires de l'exercice de l'autorité parentale ». Dans une deuxième partie, Alain Bruel suggère de « favoriser l'implication des parents dans les procédures qui les concernent » . Par exemple, avant toute mise en œuvre d'une mesure d'information concernant un mineur, le juge des enfants procéderait à l'audition préalable des parents. Il s'agirait également de réfléchir aux modalités de communication du dossier à ces derniers. D'autre part, le magistrat préconise de « soutenir l'autorité parentale au niveau de l'expérience et de la pratique » : création d'une commission consultative pour l'étude des obstacles à la vie familiale, suppression des interférences entre statut parental et aides sociales et reconnaissance de la persistance d'une charge éducative après séparation ou divorce. Il plaide, en outre, en faveur de la sensibilisation précoce aux droits et devoirs de la parentalité et de la création de dispositifs d'appui aux parents. Enfin, concernant l'évolution de « l'accompagnement socio-éducatif de la parentalité » , Alain Bruel juge nécessaire « une importante modification du rôle des travailleurs sociaux », appelant, en particulier, à une revalorisation du statut et de la rémunération des travailleuses familiales (3).
(1) Voir ASH n° 2037 du 19-09-97.
(2) Voir ASH n° 2072 du 22-05-98 (3) Voir ce numéro.