ASH : Alors que beaucoup s'inquiètent, en raison du développement d'une pauvreté de masse, d' « une standardisation » du travail social, vous défendez au contraire l'idée d'un retour au singulier... J.I. : C'est vrai, du fait de l'augmentation du public, il y a apparemment un traitement des situations de plus en plus « omnibus ». Mais, en même temps, compte tenu de l'absence d'offre d'insertion, l'essentiel de la pratique des travailleurs sociaux, particulièrement ceux « du front », devient surtout de « tenir la relation ». Ce n'est pas le résultat qui est important mais c'est la façon dont se déroule la relation elle-même, qui devient le centre de la pratique. En outre, face à un usager indéterminé, imprévisible et souvent en doute d'identité avec lui-même, l'essentiel de l'action va être de rétablir une espèce de parcours biographique en vue d'aider l'usager à se définir lui-même. C'est un travail complètement singulier. Le travailleur social du front est ainsi obligé de faire appel à des compétences qui relèvent pratiquement de sa subjectivité, de son histoire personnelle, de ses expériences antérieures. C'est ce que j'appelle le psychologisme d'intervention. Et cela me paraît très dangereux, car on est finalement sur les mêmes types de pratiques que les psy mais sans la durée ni les appareils de contrôle des psychiatres et des psychologues. ASH : Mais ne faut-il pas voir au contraire un recentrage du travail social vers ce qui en constitue le fondement, à savoir la parole, l'éthique, la relation ? J.I. : Ce n'est pas mon opinion, car précisément le travail social en tant que tel s'est constitué en dénégation, en obscurcissant toutes ses origines assistancielles, charitables... L'expression même de travailleur social le dit bien. On a essayé précisément, pendant 30 ans, de codifier les savoirs, les postes de travail à travers les conventions collectives, de mettre en ordre les qualifications. En caricaturant un peu les choses, on a cherché à faire asseoir le travail social sur les bases du travail industriel. Et c'est cette entreprise-là qui, aujourd'hui, est mise en cause. Si vous voulez, la parole, l'éthique, la relation constituent le fondement du travail relationnel mais pas du travail social, c'est cela le problème ! Le travail social s'est constitué justement sur une codification du travail relationnel. ASH : Vous annoncez la fin du travail social. Votre livre n'est-il pas extrêmement pessimiste ? J.I. : Il est pessimiste si l'on pensait que le travail social devait perdurer ad vitam aeternam. Or toute institution est appelée à disparaître, non ? Mon idée de fond, c'est que le travail social c'est véritablement la création des années de croissance, et que l'équivalent du travail social pour les années de crise eh bien, cela n'existe pas encore. Pour le moment, on a un ensemble d'institutions, de pratiques dispersées au sein de la nébuleuse de l'intervention sociale. Mais celui-ci est-il amené à se restructurer de façon aussi solide que le travail social ? Je n'en suis pas sûr. Je pense, mais c'est vraiment une hypothèse, que ces institutions et ces nouvelles pratiques sont amenées à se diluer dans une espèce de vaste ensemble des services à la personne qui incluerait feu le travail social. Mais, en aucun cas, bien entendu, la fin du travail social ne signifie la fin des praticiens du travail social ! Propos recueillis par I.S.
Questions à...
...Jacques Ion sur la fin du travail social
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