Les mots et les catégories que nous employons construisent le réel, lui donnent une tonalité particulière. Constat, rappellent la sociologue Laurence Gavarini et la psychanalyste Françoise Petitot, auquel n'échappe pas la notion « d'enfant maltraité ». Ce dernier, « qui a chassé du devant de la scène l'enfant déviant et l'enfant inadapté », est aujourd'hui considéré à la fois comme une victime passive et paradoxalement comme une personne ayant des droits propres. C'est cette représentation ambiguë que les auteurs mettent en question ainsi que « la forme spectaculaire prise par la dénonciation de la violence faite aux enfants ». Elles sont allées voir concrètement dans les crèches, les écoles, à la PMI et dans les services d'AEMO, « comment la maltraitance “moderne” est identifiée et abordée » par les professionnels. Comment parlent-ils des besoins de l'enfant ?Comment construisent-ils une situation familiale « dangereuse » ? Comment finalement suspectent-ils et interprètent-ils la maltraitance ? De fait, déplorent les chercheuses, leur discours, trop souvent déterministe et prédictif se nourrit d'une « vulgate psy pseudo-scientifique » amputée d'une partie de son argumentation. C'est ainsi qu'ils ont tendance à imputer les difficultés de l'enfant, d'ailleurs « désexualisé et dénué de fantasmes », à « l'inconduite parentale ». Ainsi, en contribuant à la fabrique de l'enfance menacée, les travailleurs sociaux légitimeraient-ils, selon les auteurs, « un regard sans cesse plus rapproché sur l'intime des sujets et sur les dessous de la vie familiale ». Une évolution inquiétante quand elle revient à porter systématiquement « un soupçon a priori envers l'entourage » de l'enfant, affectant ainsi « le lien social et le savoir-vivre entre les générations ».
La fabrique de l'enfant maltraité - Un nouveau regard sur l'enfant et la famille - Laurence Gavarini et Françoise Petitot - Ed. érès -130 F.