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Les propositions du rapport Théry sur la famille

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Il faut adapter le droit à la famille telle qu'elle est. Cette idée simple est au cœur du rapport qu'Irène Théry vient de rendre à Elisabeth Guigou et Martine Aubry. Un document qui devrait nourrir, avec d'autres, la prochaine conférence de la famille, le 12 juin.

Un peu plus de trois mois. C'est le temps extrêmement court dont a disposé la sociologue Irène Théry pour boucler son rapport : Couple, filiation et parenté aujourd'hui. Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée. Un délai serré mais suffisant puisque cette spécialiste de la famille a remis ses conclusions aux ministres de la Justice, et de l'Emploi et de la Solidarité, un mois avant le 12 juin, date retenue pour la conférence de la famille (1). Clair et argumenté, ce document devrait ainsi constituer une contribution de poids à la « mise à plat » de la politique familiale souhaitée par le gouvernement. Lequel entend soumettre des propositions au Parlement afin de refonder une politique « ambitieuse, proche des réalités, sans tabou ».

La famille plébiscitée

Proche des réalités et sans tabou. C'est aussi l'ambition affichée par Irène Théry dans ce rapport où elle a voulu montrer la famille telle qu'elle est, dans toute sa complexité et sa diversité, loin des vieilles querelles et des effets de mode. « Peut-on vraiment parler d'individualisation et d'atomisation de la famille quand toutes les enquêtes sur les solidarités intergénérationnelles soulignent leur extraordinaire intensité et quand la famille est plébiscitée dans tous les sondages, en particulier par les jeunes ? », s'interroge-t-elle. De même, « peut-on vraiment parler de privatisation des normes, alors que, plus que jamais, les attentes sociales en matière familiale s'expriment sous la forme de l'appel au droit  [...]  ? ». Concrètement, la chercheuse a construit sa réflexion autour de quelques grandes idées. En premier lieu, explique-t-elle, il faut éviter d'opposer ce qui paraît nouveau à « une norme implicite, censée ne pas avoir changé ». Pour elle, si mutation il y a, c'est au centre de la famille qu'il faut la chercher car « la famille ordinaire, grande absente du débat public, est le cœur des changements ». Deuxième idée : il faut privilégier le temps long sur le court terme. Autrement dit : ce n'est qu'en prenant du recul que l'on peut repérer les évolutions en cours. Par ailleurs, la sociologue insiste sur la nécessité de ne pas « psychologiser » à outrance les comportements individuels mais, au contraire, de les replacer dans leur contexte social, économique, politique et culturel. Autre précaution : ne pas séparer la famille nucléaire (parents et enfants) de la famille étendue (l'ensemble du groupe familial) qui ne « prennent tout leur sens que mises en regard ». Enfin, il faut « situer la famille dans le système symbolique de la parenté » en n'oubliant pas qu'elle est aussi « l'institution qui articule la différence des sexes et celle des générations ».

Pour Irène Théry, nous vivons « une double mutation structurelle de la famille ». Concernant la famille nucléaire, cette évolution s'enracine, d'abord, dans « la dynamique de l'égalité des sexes ». En effet, avec l'accès progressif des femmes « à la dignité de sujet », le lien conjugal est devenu « fondamentalement plus individuel, plus privé, plus contractuel et partant plus précaire ». L'ordre moral « effondré » a ouvert des libertés nouvelles aux individus, « confrontant les hommes et les femmes à des interrogations et des désarrois inédits. [...]L'histoire de la famille a cessé d'aller de soi. » Parallèlement, on assiste à la montée en puissance de ce que la chercheuse a appelé le « démariage ». Ce qui n'implique pas un refus du mariage mais un changement de place de l'institution matrimoniale. En clair, « le choix de se marier ou non devient une question de conscience personnelle ». Autre évolution : la personnalisation du lien à l'enfant provoquée par une quadruple révolution démographique, sociologique, scientifique et économique. « L'enfant est devenu un bien rare et durable, un capital », souligne crûment Irène Théry. D'où l'élaboration d'un nouveau pacte de filiation fondé sur un lien devenu d'autant plus inconditionnel que l'investissement affectif est fort. « Ce que l'on doit désormais à son enfant, c'est l'aimer, le soutenir, le protéger, quoi qu'il arrive », note la sociologue. Pour elle, ce sont donc « deux mouvements contrastés qui sont à l'origine des transformations de la famille contemporaine »  :une vie de couple progressivement contractualisée et un lien filial devenu indissoluble. Reste à savoir comment articuler ces deux exigences au sein de la famille. D'autant que l'allongement de la durée de la vie, des enfants comme des parents, implique désormais de penser la famille dans le temps.

En effet, insiste la chercheuse, les transformations de la famille au fil du temps constituent un phénomène essentiel pour sa compréhension. Le schéma classique (mariage, vie commune, naissance des enfants) est aujourd'hui bouleversé car tous les couples ne franchissent pas les mêmes étapes, ni toujours dans le même ordre. Parallèlement, les risques accrus de rupture du couple induisent une augmentation importante du nombre des familles monoparentales et recomposées. Conséquence : on ne peut plus assimiler systématiquement une famille à un ménage. Pourtant, et de façon assez paradoxale, la configuration de la famille tend à devenir de plus en plus homogène, les différences entre familles naturelles et légitimes s'estompant progressivement avec la prééminence du modèle du couple bi-actif avec deux enfants.

Autant d'évolutions qui débordent vers la famille étendue marquée, elle aussi, par l'allongement de la durée de la vie. Résultat : les règles du jeu ont changé et à la traditionnelle succession des générations, s'est substitué un « chevauchement de trois ou quatre générations ». Ainsi, les relations entre collatéraux sont moins fréquentes alors que les liens entre les enfants adultes et leurs parents sont plus intenses. Pour Irène Théry, « la famille étendue se resserre sur l'axe étiré de la filiation », en se polarisant sur la femme de la génération pivot (la génération intermédiaire). En même temps, et alors que les jeunes générations peinent à s'insérer, les aides financières intrafamiliales sont devenues de plus en plus importantes (elles sont cependant inégalitaires, les plus aidés étant ceux qui en ont le moins besoin). Même chose avec la généralisation des échanges et des services entre générations. « La famille joue ainsi un rôle important d'amortisseur de la crise », souligne le rapport.

Au bout du compte, constate la sociologue, la famille est en train de changer de visage. « Plus complexe, elle est à la fois plus exigeante et plus fragile », explique-t-elle, estimant qu'il s'agit d'une évolution « heureuse » qui manifeste « la vitalité du lien familial contemporain ». Pourtant, ajoute-t-elle aussitôt, cette mutation apparaît « inachevée, précarisée et, d'une certaine façon, inassumée, elle fait surgir de nouveaux risques pour les individus et le lien familial ». La famille contemporaine se trouve en effet prise entre le modèle ancien, qui s'estompe, et le nouveau, qui émerge. Ainsi, l'égalité hommes/femmes est encore loin d'être complète. A cela s'ajoute un fort risque d'inégalité entre les femmes elles-mêmes, en fonction de leur situation sociale. Par ailleurs, l'affectivation des liens parents/enfants va de pair avec « un désarroi profond sur les fondements et les modalités de la transmission générationnelle ». Car le « brouillage des repères fondamentaux de l'éducation » qu'elle induit peut avoir des effets dramatiques : délinquance, problèmes psychiques, conduites addictives... Même si, prévient la sociologue, il n'est pas question de faire porter aux familles des problèmes dont la responsabilité est essentiellement collective. Autres difficultés : la sécurité et la stabilité du lien de filiation ne sont pas assurées (notamment avec la précarisation du lien père/ enfant) et les solidarités générationnelles, pour actives qu'elles soient, doivent désormais répondre, à la fois, à la dépendance des jeunes ménages et à celle des personnes âgées. Cela alors que l'Etat providence tend à refluer. En conclusion, pour Irène Théry, il ne s'agit donc pas de se crisper sur des « références traditionnelles » mais, au contraire, d'en inventer de nouvelles. Or, déplore-t-elle, « cette évolution ne trouve jusqu'à présent aucun véritable relais social ». D'où sa proposition d'engager une réflexion de fond sur quatre grands thèmes : la place de l'enfant, l'égalité des sexes dans la famille, le lien parents/enfants et les solidarités intergénérationnelles. Autant de sujets qui devraient être abordés au sein du groupe de travail dont Elisabeth Guigou a annoncé la création et qui sera chargé de réfléchir à l'ensemble des questions touchant à la famille.

Jérôme Vachon

LES ADAPTATIONS NÉCESSAIRES

   Les couples « Le mariage et le concubinage doivent être clairement affirmés comme des choix également respectables », affirme d'emblée Irène Théry. Laquelle prône l'extension des droits des concubins (adoption, transfert du bail, prestations sociales, abattements fiscaux, assurances invalidité, vieillesse, veuvage, décès, accidents du travail...), sous réserve d'une certaine durée de vie commune. Etant précisé que, pour Irène Théry, le concubinage homosexuel devrait être légalement reconnu sans, néanmoins, l'étendre à l'adoption d'un enfant. Par ailleurs, la sociologue appelle à une « rénovation » des quatre procédures actuelles de divorce (pour faute, demandé par un époux et accepté par l'autre, pour rupture de la vie commune, sur requête conjointe). Mais surtout, constate-t-elle, ces quatre procédures prévoient toutes les situations sauf une : « celle où les époux divorçant n'ont aucun conflit, ni sur le principe du divorce, ni sur ses effets, se sont organisés eux-mêmes et ne ressentent pas le besoin de faire homologuer par le juge une convention réglant les conséquences de leur séparation ». Aussi suggère-t-elle la mise en place d'un divorce sur déclaration commune qui, comme son nom l'indique, serait un divorce enregistré sur le seul constat de l'accord des époux pour mettre fin à leur mariage. L'autorité habilitée à recevoir cette déclaration et à vérifier l'accord pourrait être l'officier d'état civil ou le greffier en chef du tribunal de grande instance. Et pour que ce divorce ne soit pas « bâclé », Irène Théry propose, entre autres, l'institution d'un délai de réflexion, l'organisation d'une consultation juridique et la lecture des articles du code civil concernant les droits et devoirs d'autorité parentale si les intéressés ont des enfants mineurs.

   L'enfant dans sa famille Le rapport veut consacrer les droits égaux de tous les enfants, quelle que soit la situation de leurs parents et affirmer la valeur de l'autorité parentale. Il suggère, en particulier, de renforcer l'exercice en commun de l'autorité parentale des parents non mariés (création d'un rite civil lors de la reconnaissance d'un enfant naturel...) et le principe de coparentalité en cas de séparation (en précisant que l'exercice en commun de l'autorité parentale implique non un « droit de visite » mais un « devoir de garde de l'un et l'autre parent », en affirmant clairement que l'hébergement partagé est un droit...). En outre, notre droit n'est pas du tout adapté aux « familles recomposées [qui] sont désormais une composante importante du paysage familial », explique Irène Théry. Elle propose donc notamment de renforcer le rôle du beau-parent qui pourrait accomplir les actes usuels de l'enfant mineur dont il a la charge de manière habituelle (relations avec l'école, visite chez le médecin...) sans pour autant que cela porte atteinte aux droits des titulaires de l'autorité parentale. Enfin, « pour combattre, dans le souci premier de l'intérêt de l'enfant, la tendance croissante à organiser socialement le secret de ses origines », Irène Théry appelle à la suppression de l'accouchement sous X, au profit d'un « abandon volontaire et responsable de l'enfant en vue de son adoption » ainsi qu'à la suppression de la possibilité de demander le secret de l'origine biologique d'un enfant de moins de un an confié à l'aide sociale à l'enfance.

   La transmission des biens Parmi les différentes mesures visant à réformer en profondeur l'héritage, l'auteur souhaite que le conjoint survivant soit appelé à succéder immédiatement après les descendants. Elle appelle aussi à une égalité stricte entre tous les enfants, légitimes, naturels ou adultérins, ces derniers étant fortement défavorisés par le droit actuel. C. D.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2057 du 6-02-98.

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