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Un espace pour ne pas « s'installer dans la maladie »

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Tenter d'éviter, en aidant à l'insertion professionnelle, que la maladie mentale ne se chronicise chez les très jeunes adultes. C'est le pari de l'équipe de l'Espace jeunes adultes à Paris. Un hôpital de jour un peu particulier.

Etats limites, bouffées délirantes, crises aiguës, troubles relationnels : quand la maladie mentale fait une entrée violente et troublante dans la vie de l'adolescent, elle bouleverse assez rapidement son quotidien. Les capacités à vivre une vie normale s'estompent. Les séjours plus ou moins répétés en hôpital psychiatrique, lors des crises ou parfois des tentatives de suicide, et les périodes de soins en hôpital de jour alternent avec une scolarité devenue chaotique ou avec une inactivité quasi totale au sein, le plus souvent, du foyer parental. Morceau de vie angoissant marqué par la solitude face à la folie qui rôde. Les parents s'interrogent et parfois refusent de « voir ». Le jeune, quant à lui, se demande ce qui lui arrive alors même que les spécialistes, psychiatres et thérapeutes, ne peuvent souvent que « réserver leur diagnostic quant à l'évolution » de ce qu'ils nomment la psychose. Il y a donc bien une spécificité de la psychopathologie des jeunes adultes autour de 20 ans.

« Non installés dans la maladie, ils ressentent encore vivement les crises qui sont récentes. Mais ils manquent, comme les médecins qui les entourent, de recul pour analyser la situation et sont dans une grande perplexité », explique Marc Paatz, psychologue. « Nous ne savons pas, a d'ailleurs pu écrire le psychanalyste Octave Mannoni, s'il y a des crises d'adolescence qui sont le début d'une maladie mentale, ou si les crises ne deviennent maladies mentales que parce qu'elles ont été contrariées. » Et pourtant, le système psychiatrique français ne possède aucune structure spécialisée susceptible de répondre à ce besoin spécifique (1). Selon son âge, mais aussi selon les places disponibles, l'adolescent est orienté en psychiatrie infanto-juvénile ou chez les adultes. Or, « à 19 ou 20 ans, poursuit Marc Paatz, le jeune côtoie alors des malades très chronicisés, enfermés dans la maladie et ne comprend pas ce qu'il fait là. Il y a là une grande lacune de la prise en charge. »

Une structure spécialisée

Forts de ce constat général, mais aussi de celui de leur expérience quotidienne à l'hôpital de jour Mogador géré par la Société parisienne d'aide à la santé mentale  (SPASM)   (2), Marc Paatz et plusieurs de ses collègues envisagent, à la fin des années 80, de monter une structure spécialisée. « En fait, raconte-t-il avec Gaston Davenet également psychologue, on s'est aperçu que le travail d'insertion professionnelle que l'on effectuait échouait avec les moins de 25 ans. » Avec le soutien du psychiatre Marc Jolivet, fondateur de la SPASM, mais non sans difficulté, l'Espace jeunes adultes (EJA)   (3) voit donc le jour en septembre 1991. Dernière née de l'association, la structure n'est pas un centre de soins stricto sensu mais un centre de réadaptation agréé hôpital de jour qui se propose d'aider les jeunes de 18 à 23 ans dans leur parcours vers une insertion sociale et professionnelle. Elle reste aujourd'hui l'une des rares de ce type en France. L'équipe du service de Marc Paatz - six personnes (psychiatre, psychopédagogue, conseillère d'orientation et psychologues)  - accueille environ 30 jeunes par an, soit une vingtaine en permanence. L'éventail des pathologies présentées est très large, mais la plupart sont des psychotiques, sachant que l'EJA a posé les limites de ses compétences et ne prend en charge ni les cas de paranoïa franche, ni les jeunes ancrés dans la toxicomanie. « On intervient en second, après la crise, précise l'équipe . Et ce que nous proposons nécessite que le jeune soit suffisamment stabilisé. » Le plus souvent sous neuroleptiques, les jeunes qui arrivent ont été adressés par un psychiatre, un médecin généraliste ou un centre médico-psychologique et ont très fréquemment effectué des séjours en hôpital psychiatrique et/ou en hôpital de jour. « La scolarité est interrompue, au lycée ou pendant la première année de fac, et les jeunes expriment un grand sentiment d'esseulement », explique Gaston Davenet, l'un des psychologues de la structure. Plusieurs entretiens, lors de la procédure d'admission, permettent de définir, avec le jeune, un projet de formation ou un projet professionnel. Objectif : permettre à la personne de mieux évaluer ses potentialités, soutenir le projet, mais aussi « développer les capacités de communication et de vie sociale ».

Eviter que la maladie se fige

Pendant deux ans maximum et en moyenne pendant sept mois, l'EJA propose au jeune de participer progressivement aux « activités », selon un emploi du temps personnalisé qui allie horaires bien repérés et moments libres. Car il s'agit à la fois de réapprendre à gérer le temps et de promouvoir l'autonomie. Ainsi entre les plages de « développement des capacités d'apprentissage », les groupes de parole ou de « vie active-vie sociale », l'enseignement bureautique et les stages de mise en condition concrète de travail, les jeunes sont vivement encouragés à fréquenter les centres de documentation et d'orientation à l'extérieur. Un encadrement psychologique, sous forme d'un entretien hebdomadaire, s'effectue au sein de l'établissement. Tandis que les soins proprement dits, à savoir le suivi psychiatrique ou psychothérapeutique, se déroulent à l'extérieur. S'il se distingue de celui des hôpitaux de jour traditionnels, ce cadre n'en ressemble pas moins à ceux mis en place dans certains établissements de santé innovants ou centres de réadaptation pour adultes malades mentaux. Où se situe, dès lors, la spécificité de l'intervention de l'équipe pour répondre aux besoins particuliers de ces 18-23 ans ? En quoi un lieu séparé était-il nécessaire ?

« D'abord, constatent Marc Paatz et Gaston Davenet, les hôpitaux de jour pour adultes, même quand ils s'occupent d'insertion, conservent un cadre plus mou, plus lâche et par exemple ne limitent pas le temps de séjour. Ici, le cadre est plus resserré et les activités pédagogiques et psychopédagogiques plus nombreuses. On se rapproche d'un rythme de type scolaire. » Le fait que la distance par rapport à l'épisode psychiatrique, tout juste refermé, soit faible « est d'un côté un inconvénient, car la meurtrissure est vive, reconnaît Jacques Barbeau, psychopédagogue du centre . Mais l'avantage, c'est que les jeunes ne sont pas enkystés dans la maladie et que les forces vives sont là. » Aussi, en déduire que l'EJA peut ainsi agir « en prévention » et empêcher le développement de la psychose est difficile à dire. Et pourtant, on touche là à la signification même de l'intervention auprès des jeunes, défend Marc Paatz : « On essaye, en effet, à travers une intervention précoce, d'empêcher que les choses ne se chronicisent de façon définitive. » Cette action peut être cruciale, puisqu'il y a, « des moments de cassure dans l'évolution du sujet, et que des défenses psychotiques normales peuvent alors se mettre en place, comme a pu le souligner Ginette Michaud, professeur à l'université de Montréal. Si ces mécanismes sont décodés dans le seul sens d'une évolution psychopathologique vers la psychose, par un regard nosographique étroit, le danger serait grand que la dialectique des mécanismes de défense ne se bloque et ne se fige. » Quant à la séparation d'avec l'univers des adultes, « elle permet de signifier très concrètement la séparation entre le curatif et la démarche de réadaptation, affirme Jacques Barbeau . Rester dans le cadre de l'hôpital de jour traditionnel entretenait la confusion et était néfaste à une dynamique d'insertion en milieu ordinaire. » Les jeunes adultes ont aussi des attentes et des besoins bien différents de leurs aînés, auxquels l'EJA peut se consacrer. La famille, par exemple, est davantage présente, ne serait-ce parce que 75 % des malades accueillis vivent chez leurs parents, ou que de nombreuses interrogations sur la nature des troubles et leur gravité n'ont pu encore être clarifiées. L'équipe la reçoit donc volontiers, toujours en présence du jeune. L'accompagnement de ce dernier renvoie également à toutes ces questions non élucidées sur « sa folie » et doit tenir compte de la souffrance qu'elles occasionnent. Autre particularité : les jeunes adultes, contrairement à leurs aînés, et comme la plupart des gens de leur âge, n'ont ni connaissance, ni expérience du monde professionnel. Une action spécifique d'approche du monde du travail est donc nécessaire.

Réapprivoiser la pensée

Mais le parcours vers l'insertion est semé d'embûches et le travail du psychopédagogue, Jacques Barbeau, est un peu celui d'un équilibriste. Cet instituteur, qui est également psychologue, tente, avec de petits groupes de cinq ou six, des séances de mise à niveau et de développement des capacités d'apprentissage. « Après un bilan, explique-t-il, je me rends compte du niveau de la personne et je peux constituer mes groupes, sachant que l'éventail va du CE2 à un niveau universitaire. » Mais ce qui est important, « c'est que le jeune se rende compte de l'écart qui s'est creusé avec son niveau présumé ». Car la maladie mentale, les ruptures répétées des études et les médicaments font que les capacités cognitives ont été réduites. Cette prise de conscience d'une baisse notable de l'efficience intellectuelle « est un passage difficile, vécu comme une blessure narcissique ». D'autant plus que la psychose s'accompagne souvent d'un sentiment de toute-puissance, précise le pédagogue.

Le pari de l'EJA consiste à penser que ce déficit est rattrapable. Dans un premier temps, il s'agit notamment d'aider au « réapprivoisement » du travail intellectuel car les hallucinations et les délires ont rendu, en quelque sorte, « la pensée dangereuse ». Il s'agit aussi, à travers des « cours » de français, d'anglais ou de mathématiques de renouer avec la communication et ses règles. Jacques Barbeau est ainsi sans cesse ramené au cœur de son rôle de pédagogue par les difficultés de concentration, les hallucinations et les endormissements de ses élèves.

De plus, les résultats sont souvent là. De fait, quand un jeune recommence réellement à apprendre, engage une formation ou prépare un examen, il a moins besoin de ces séances. C'est alors que le centre lui propose une aide individuelle. Pourtant, miser sur l'insertion professionnelle peut apparaître comme une gageure à l'heure où le taux de chômage des moins de 25 ans se situe entre 20 et 25 %. « Paradoxalement, reconnaît Marc Paatz, les jeunes que nous accueillons sont en quelque sorte privilégiés car ils sont au moins aidés dans leurs démarches. » Revers de la médaille : l'insertion en milieu professionnel ordinaire signifie souvent connaître la précarité des contrats emploi-solidarité ou des autres emplois aidés. Certes, à l'issue de leur passage par la structure, la moitié des jeunes reprennent des études, une formation ou trouvent un emploi. Pourtant, le critère de réussite est ailleurs. Que signifie en effet pour une personne de trouver un emploi « mais sans vie sociale et en souffrance »  ? s'interroge Marc Paatz.

Pour améliorer l'accompagnement individuel mais aussi pour diversifier son offre (théâtre, jeux de rôles), l'équipe souhaiterait s'élargir. Mais, déplore-t-elle, « cela fait six ans que l'on n'obtient pas de postes supplémentaires ». C'est là une des principales difficultés du centre qui semble condamné à rester une petite structure aux capacités d'adaptation réduite. Et pourtant, sur une personne accueillie quatre jeunes se présentent à l'EJA. Signe qu'il y a des besoins. Où vont les autres ? Ils sont renvoyés vers leur médecin traitant, leurs parents ou une assistante sociale confrontés, à leur tour, aux lacunes de la prise en charge postcure des jeunes malades mentaux... jusqu'à la prochaine crise.

Valérie Larmignat

Notes

(1)  Un déficit d'ailleurs pointé par le rapport Lazerges-Balduyck sur la délinquance des mineurs (voir ASH n° 2068 du 24-04-98) qui préconise notamment de « soutenir dans chaque département, la mise en place d'un réseau intersectoriel de psychiatrie de l'adolescent et du jeune adulte spécifiquement destiné aux 16-20 ans ».

(2)  SPASM : 31, rue de Liège - 75008 Paris - Tél. 01 43 87 60 41.

(3)  EJA : 29, rue du Faubourg-Saint-Antoine - 75011 Paris - Tél. 01 53 17 12 30 .

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