« Les travailleurs sociaux vont mal et le travail social éclate dans tous les sens puisqu'il est en train de perdre (peut-être) une de ses certitudes (2) : celle d'offrir à des personnes en difficulté un ancrage personnalisé et chaleureux en mettant en œuvre les compétences professionnelles d'aide nécessaires à une construction identitaire personnelle, sociale et politique. Il est vrai que les effets du contexte social que sont la “fracture sociale”, la “désafiliation”, “l'exclusion”, la “perte du lien social” et du “vivre ensemble” (3), etc. amènent plutôt à désespérer. Mais ce contexte et ses effets sont ce qu'ils sont et les travailleurs sociaux n'en peuvent professionnellement pas grand-chose. Entendons-nous bien, il s'agit de ne pas confondre le combat politique du citoyen et l'exercice d'une profession, même si je n'ai pas la naïveté de croire que le premier n'interfère pas sur le second et c'est tant mieux ! Il reste que le lieu de la militance n'est pas celui du travail social : chaque chose a sa place. Par analogie avec la distinction qu'Aristote fait entre “la perfection d'un homme de bien [qui] ne saurait absolument pas être la même que celle d'un citoyen”, j'avance que l'on peut être un “bon” professionnel sans nécessairement être un “bon” citoyen. La dimension salariale du métier et le degré d'allégeance de celui, de celle qui l'exerce, aux politiques publiques sont - pour notre pays - des réalités incontournables.
« Mais pour autant, les travailleurs sociaux sont-ils réellement démunis pour “agir” au sens que lui donne Hannah Arendt, qui nous dit que la “seule activité qui mette directement en rapport les hommes sans l'intermédiaire des objets, ni de la matière, c'est précisément l'action” dont la condition est “la pluralité humaine” qui a le double caractère de “l'égalité et de la distinction” ?
« A mon avis, non. Néanmoins, des préalables sont nécessaires. J'en identifie (pour le moment) quatre : former au travail social en favorisant l'affermissement de la dimension personnelle de l'apprenant exercer son métier en confirmant les bonnes connaissances des dispositifs d'aide et d'action sociale sans pour autant confondre ceux-ci avec le travail social (4) développer toutes les formes “de l'intervention sociale d'intérêt collectif” (5) au plus près du droit et des devoirs des personnes en difficulté ;abandonner enfin l'idée de “toute-puissance” du travail social sur les événements et sur les acteurs-victimes de ces événements : certes, l'injustice est inacceptable, mais ne plus la reconnaître comme élément de construction des sociétés, c'est ne plus être efficace pour tenter de la réduire tout autant, la violence est inacceptable, mais confondre l'agressivité avec l'agression (6) pollue durablement les actes professionnels les plus ordinaires car “toute force active, toute énergie fougueuse, toute contrainte même ne sont pas violence” (7).
« Toutefois, ces préalables ne vaudront que pour autant que la posture du travailleur social sera celle “d'offrir un ancrage personnalisé et chaleureux” aux personnes qui s'adresseront à lui. »
(1) DRASS Alsace : Cité administrative Gaujot : 14, rue du Maréchal-Juin - 67084 Strasbourg cedex -Tél. 03 88 76 76 81.
(2) Ce serait même pour certains (Jacques Donzelot et Joël Roman) la fin du « romantisme social » qui caractérisait « l'heureuse époque où l'incertitude n'existait pas » - Revue Esprit - Mars-Avril 1998 - Voir ASH n° 2062 du 13-03-98.
(3) Je ne commettrai pas l'injure de déconsidérer ceux et celles qui ont réfléchi et construit ces concepts mais j'observe que devenus « notions », ils sont employés à tort et à travers si bien que l'on ne sait plus de quoi et de qui on parle.
(4) Je continue à vouloir distinguer « le travail social de l'action sociale » - Voir ASH n° 1915 du 23-02-95.
(5) L'excellent rapport du groupe IV du Conseil supérieur du travail social, présidé par Jean-Luc Guihard, reste une référence incontournable. Intervention sociale d'intérêt collectif - La Documentation française - 1988.
(6) Je ne fais pas l'impasse sur les situations dramatiques qui ont provoqué la mort de travailleurs sociaux.
(7) « La violence à trop de sauces » - Guy Coq - Le Monde du 21-01-98.