Cinq mois après le colloque de Villepinte et les déclarations de Jean-Pierre Chevènement sur l'ordonnance du 2 février 1945, qui avaient suscité l'inquiétude de plusieurs associations et syndicats (1), la mission interministérielle sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs, chargée par Lionel Jospin de vérifier l'adaptation du dispositif législatif et réglementaire « à la réalité actuelle de terrain » (2), a rendu son verdict. Dans son rapport, remis le 16 avril au Premier ministre par ses responsables, les députés socialistes Christine Lazerges (Hérault) et Jean-Pierre Balduyck (Nord) (3), elle affirme en effet très clairement que « l'irresponsabilité, pénale ou civile, des mineurs est un mythe », car l'ordonnance de 1945 « offre un panel particulièrement étendu de réponses ». Aussi la « réécriture » de ce texte n'est-elle « pas nécessaire ». D'autant que, sur la seule période allant de 1992 à 1996, il « a fait l'objet d'un remaniement législatif chaque année ». En outre, estime la mission, une réforme « aurait cet effet pervers de laisser croire que les solutions aux problèmes lourds que pose la délinquance des mineurs pourraient se réduire à l'appel au législateur ». De même, elle rejette toute idée d'un abaissement de l'âge de la majorité, pénale ou civile, dans la mesure où la législation actuelle permet d'appliquer à un mineur, entre 16 et 18 ans, « exactement la même peine qu'à un majeur ».
Reste que si les textes demeurent adaptés, l'évolution de la délinquance des jeunes n'en est pas moins préoccupante, soulignent les députés. Elle a « des causes anciennes et multiples, mais elle doit sa gravité nouvelle à une conjoncture économique et sociale particulièrement difficile. Au-delà des chiffres, l'impact du phénomène sur la société française est d'une telle importance que l'on ne peut se contenter de proposer des solutions ponctuelles ou parcellaires », affirment-ils, appelant de leurs vœux « une réponse globale [...] dans le cadre d'une politique publique d'envergure ». Ils présentent ainsi 135 propositions regroupées sous deux têtes de chapitres : « Mobiliser les acteurs de la socialisation » et « Renouveler les réponses de la police et de la justice ». Sont évoqués, non seulement, la responsabilisation des parents, le rôle de l'éducation nationale, celui des départements et la place de la politique de la ville, mais aussi les modalités d'intervention des forces de l'ordre et le fonctionnement de la justice des mineurs. Au total, un vaste tour d'horizon dont les conclusions recoupent celles d'autres travaux récents (4) et qui ont été accueillies assez favorablement, quoique avec certaines réserves, par les syndicats du secteur de la justice. Ainsi, au Syndicat national des personnels de l'éducation surveillée-PJJ (SNPES-PJJ-FSU), on se « félicite » que le rapport ne remette pas en cause l'ordonnance de 1945 et insiste sur le manque de moyens dont souffre la justice des mineurs. On juge néanmoins « scandaleuses » les propositions visant à sanctionner les parents d'enfants délinquants. Une réaction proche de celle des fédérations CFDT Justice et Santé-sociaux qui se montrent plutôt « satisfaites », mais attendent maintenant « des décisions concrètes ». Et du SPJJ-FEN-UNSA qui « approuve l'essentiel des 135 propositions ». Au cours des prochaines semaines, une série de consultations et un travail interministériel doivent en effet avoir lieu sous l'autorité d'Elisabeth Guigou. Laquelle doit présenter ses projets sur la délinquance des mineurs, fin mai, lors d'une réunion du conseil de sécurité intérieure.
Sur l'ensemble de ses propositions, la mission interministérielle en consacre près d'une sur deux à la seule justice des mineurs. Car, constate-t-elle, si elle « est au cœur du dispositif de prise en charge des mineurs délinquants », elle souffre de « nombreuses faiblesses » liées, notamment, à l'indigence des moyens dont elle dispose. Il s'agit donc de la « bousculer » et de la « valoriser » en la dotant de crédits budgétaires « bien supérieurs » et d'une meilleure organisation. Dans un premier temps, il est ainsi question, une nouvelle fois, de réviser la carte judiciaire et d'améliorer la connaissance statistique de l'activité des juridictions. Autre priorité : « appliquer pleinement » l'ordonnance de 1945, en particulier dans sa dimension pénale. En effet, « de nombreuses dispositions de ce texte fondateur sont peu ou mal appliquées, souvent faute de moyens ». Sans compter la méconnaissance du texte par de nombreux professionnels, y compris des magistrats qui « semblent ignorer ses très larges possibilités ». Le rapport insiste, par ailleurs, sur la nécessité de « promouvoir une politique pénale des parquets ». Ces derniers disposent déjà de « larges moyens juridiques » et, pour certains, ont expérimenté des solutions telles que le traitement en temps réel. « Mais leurs politiques pénales restent d'intensité très variable suivant les ressorts et se heurtent souvent à des graves problèmes de moyens », constatent les rapporteurs qui proposent, notamment, de redimensionner certains parquets des mineurs et de nommer un substitut des mineurs dans tous les tribunaux de grande instance. D'une façon générale, ils suggèrent de « mieux organiser la spécialisation en matière de mineurs au sein des parquets les plus directement concernés par ce type de délinquance » (en particulier avec la mise en place d'une permanence de jour spécialisée pour les mineurs, auteurs et victimes), et de recourir encore plus largement aux mesures de médiation et de réparation pénale, tout en veillant à « maintenir l'équilibre entre les missions du siège et du parquet ».
Par ailleurs, la mission préconise de « réhabiliter les juridictions pour mineurs » qui, on le sait, sont actuellement surchargées avec, pour conséquence, « un allongement des délais de jugement très préjudiciable aux mineurs comme aux victimes ». De nouveaux moyens doivent donc être donnés aux magistrats de la jeunesse, estime-t-elle, prônant le regroupement de certains tribunaux pour enfants, « l'augmentation sensible » du nombre des postes de juges et la révision des conditions de nomination de ces derniers « afin que ne puissent être nommés à ces postes que des magistrats particulièrement compétents et motivés », et « pour que le rythme de rotation des postes permette une durée d'exercice raisonnable ». Quant aux mesures à mettre en œuvre, le rapport insiste sur la nécessité d'utiliser toutes les possibilités de l'ordonnance de 1945 : la mesure de liberté surveillée préjudicielle, la réparation, la mise sous protection judiciaire, les travaux d'intérêt général... En outre, il recommande une « meilleure concertation institutionnelle entre le parquet, les juges du siège et les services éducatifs ». Ainsi, dans chaque juridiction des mineurs, une convention pourrait être passée avec les services éducatifs afin de préciser les conditions de prise en charge des mesures prononcées par les juges. Quant à l'organisation des tribunaux, elle doit être améliorée afin d'intégrer « une dimension territoriale et partenariale ». Plusieurs moyens sont évoqués : la création d'un « tableau de bord informatisé » étendu à toutes les juridictions et, dans chaque tribunal pour enfants, l'institutionnalisation d'un coordinateur et la remise d'un rapport annuel d'activité.
Autre chapitre important : celui consacré à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). On se souvient que celle-ci avait été vivement critiquée, en janvier dernier, dans le rapport des inspections générales consacré aux unités à encadrement éducatif renforcé (UEER) et à l'hébergement PJJ (5). Moins virulente, la mission n'en estime pas moins que la PJJ, « institution extrêmement centralisée, marquée par la rigidité de sa gestion et un manque cruel de moyens », rencontre « de grandes difficultés pour remplir de façon satisfaisante » ses missions, en particulier en matière d'hébergement.4 000 mesures de justice sont ainsi en attente d'exécution. Il est vrai que l'activité de la PJJ a considérablement augmenté ces dernières années alors que « ses métiers se sont diversifiés ». Conséquence : « Si les éducateurs restent profondément attachés à leur métier et à leur institution [...] une crise d'identité, alimentant une certaine démotivation, est perceptible ».
Aussi la mission juge-t-elle urgent de « refonder la protection judiciaire de la jeunesse ». Première solution : recentrer ses missions autour des mineurs délinquants en la déchargeant de l'exécution des mesures d'assistance éducative pour les enfants âgés de moins de 13 ans. Une idée que conteste le SNPES-PJJ-FSU, compte tenu des « carences » des dispositifs de prévention pour les plus jeunes. Deuxième piste : la déconcentration des services PJJ avec la définition d'un véritable « dispositif départemental » comportant, notamment, un volet « accueil d'urgence ». Mais c'est surtout dans le domaine de l'hébergement que la PJJ est appelée à se mobiliser. « Le modèle du foyer unique n'étant plus de mise, il est nécessaire de constituer une palette de réponses variées », estime la mission, sachant que la création de centres fermés « ne constitue pas une réponse adaptée aux problèmes posés par les mineurs délinquants ». Elle propose ainsi l'ouverture de petits internats de 15 ou 20 places dans les départements les plus sensibles et le maintien des foyers d'hébergement actuels mais « renforcés dans le sens d'une présence éducative soutenue ». Pourquoi pas, réagit le SNPES-PJJ-FSU mais « à condition qu'il ne s'agisse pas d'une version'soft" des centres fermés » ? Le rapport évoque également le « développement des solutions d'éloignement et de rupture » et se prononce pour la poursuite de l'expérience des UEER, « dont l'intérêt tient aux projets éducatifs forts et diversifiés qu'elles offrent ». En outre, « la PJJ doit s'appuyer sur les familles d'accueil habilitées et les associations gérant les lieux de vie ». Au total, ce recentrage de la PJJ nécessiterait la création, pendant six ans, d'environ 500 postes d'éducateurs, d'assistantes sociales et de psychologues par an. Il impliquerait, en outre, une gestion des ressources humaines « assouplie et déconcentrée », notamment avec la possibilité de recourir à des éducateurs contractuels, « à l'initiative des directions départementales et au profit des centres et foyers qui ne peuvent équilibrer leurs recrutements ». Une perspective que repousse catégoriquement le SNPES-PJJ-FSU, inquiet des dérives qui pourraient découler d'une telle pratique. Quant au recrutement des personnels éducatifs, il serait réservé aux seuls détenteurs d'un diplôme de travail social, la PJJ n'assurant plus qu'une formation complémentaire.
Enfin, en bout de chaîne, si la prison est, parfois, inévitable, « elle ne doit pas pour autant compromettre l'insertion du mineur dans la société », rappellent les rapporteurs. Or, déplorent-ils, « les conditions actuelles de détention des mineurs sont, dans l'ensemble, mauvaises et vont à l'encontre de tout effort durable de socialisation ». Ce qui est d'autant plus préoccupant que les incarcérations de mineurs sont reparties à la hausse (+ 45 % entre 1993 et 1996). Pour les membres de la mission, dans ce domaine, les solutions passent, en priorité, par un réaménagement de la carte pénitentiaire et le développement, dans chaque maison d'arrêt, d'un quartier pour mineurs « offrant des conditions de détention dignes et propices à un réel suivi éducatif ». Ils plaident également pour une meilleure individualisation des peines, assortie d'un « programme socio-éducatif cohérent et obligatoire ». Enfin, ils se déclarent favorables au développement du régime de semi-liberté pour les mineurs et à l'expérimentation du placement de ces derniers sous surveillance électronique.
Jérôme Vachon
(1) Voir ASH n° 2046 du 21-11-97.
(2) Voir ASH n° 2047 du 28-11-97.
(3) Voir ASH n° 2067 du 17-04-98.
(4) Voir ASH n° 2064 du 27-03-98.
(5) Voir ASH n° 2055 du 23-01-98.