Les « petites unités de vie » sont nées il y a plus de 15 ans. Elles s'appellent domiciles collectifs à Grenoble, Cantou à Rueil-Malmaison, MARPA (maisons d'accueil rural pour personnes âgées) ailleurs, ou encore appartements communautaires, domiciles personnels... Sous la diversité des noms, une seule philosophie : offrir une solution alternative aux maisons de retraite et aux services de long séjour à des personnes âgées ne pouvant plus rester chez elles rompre avec l'anonymat des grandes institutions, en ouvrant des structures n'accueillant pas plus de 20 résidents environ et fonder un projet d'établissement qui privilégie la vie et l'autonomie - quand elle est possible - et non une logique exclusivement tournée vers les soins. Des principes sur lesquels le Centre de liaison, d'étude, d'information et de recherche sur les problèmes des personnes âgées (Cleirppa) insiste dans son étude consacrée aux petites unités de vie (1) : « L'originalité des petites structures, telle qu'elle s'exprime dans les discours, réside dans la priorité qu'elles accordent à la vie, affirme-t-il. On vit sans doute dans les grandes on soigne aussi dans les petites : les projets des unes et des autres n'en sont pas moins bien différents. Les premières, sous le poids des modèles et selon une logique propre aux systèmes de grandes dimensions, ont tendance à confier les soins, les aides et l'hébergement à des services collectifs spécialisés, fonctionnellement efficaces, auxquels les résidents doivent ensuite, vaille que vaille, et bon gré mal gré, sans grande marge de liberté, s'adapter. » Les secondes, au contraire, poursuit le Cleirppa, « partent des conditions de vie et d'accompagnement des personnes et s'efforcent, en les complétant, de les déranger le moins possible. D'où une tendance manifeste à'déconstruire" l'organisation au profit d'une coordination, voire d'une collaboration moins formelle et moins contraignante. »
Aujourd'hui, les petites unités de vie sont sorties de leur cadre expérimental. Elles relèvent bien de la loi de 1975 sur les établissements médico-sociaux et seront soumises, elles aussi, à la réforme de la tarification en préparation. Avec le souci, cependant, de préserver leur caractère innovant, assure Pierre Gauthier, directeur de l'action sociale.
Mais au-delà de l'aspect réglementaire, quel est leur avenir ? A quels besoins répondent-elles ?Les dernières journées d'étude qui leur étaient consacrées ont permis, pour la première fois, d'en dresser le bilan (2).
Selon Dominique Argoud, sociologue au Cleirppa, il existerait 900 structures dont la capacité d'accueil n'excède pas 20 personnes, soit au total 12 500 places, à comparer aux 9 000 établissements sociaux et médico-sociaux « traditionnels ». Encore faut-il considérer ce chiffre de 900 avec précaution, précise-t-il, puisque « certaines petites unités de vie sont intégrées dans de grandes maisons de retraite et ne sont pas comptabilisées. D'autres sont effectivement de petites tailles, mais n'ont pas adopté le projet d'établissement propre aux unités de vie. »
Face à l'extrême diversité des maisons d'accueil existantes, Dominique Argoud dégage deux grandes catégories : les domiciles personnels et les collectifs. Dans les premiers, chacun dispose d'un logement individuel et mène une vie la plus autonome possible, tous les appartements étant situés au même endroit. Les seconds proposent des regroupements de chambres, avec des espaces de vie communs ou non. Mais tous s'efforcent de préserver un juste milieu entre la logique du domicile et celle de l'institution, en une sorte de « structure du troisième type », selon la terminologie de la Fondation de France. Ce qui implique un accompagnement particulier de la part des professionnels : les aides-soignantes, infirmières, kinés, aides-ménagères se rendent « chez » la personne âgée, en fonction de sa demande et de ses besoins, comme cela se passait lorsqu'elle était encore à son domicile. « Il convient de trouver un équilibre entre le personnel nécessaire pour organiser, en cohérence et dans la continuité, une présence 24 heures sur 24, et les aides sollicitées auprès des intervenants extérieurs, souligne dans une étude la Fondation de France (3). Ceux-ci peuvent poursuivre de la même manière l'aide qu'ils apportaient à une personne dans son précédent domicile. Les résidents apprécient de pouvoir conserver le même aidant auquel ils sont habitués et à qui ils font confiance. On peut aussi penser que cela facilitera l'adaptation dans le nouveau lieu de vie ».
A cet égard, l'avenir des petites unités se joue sans doute sur le respect d'un principe fort : la proximité. Les promoteurs des petites unités de vie - associations, CCAS, Mutualité - insistent sur la nécessité, pour la personne âgée contrainte de quitter sa maison, de ne pas vivre un déracinement, voire une véritable perte d'identité, en s'éloignant trop de son quartier, de son village d'origine. Cette notion de structure de proximité, insérée dans le tissu social, est fondamentale : « C'est elle qui évite à la personne âgée de rompre tous ses liens antérieurs, y compris avec les services à domicile, l'infirmière, l'aide-soignante, insiste Claudie Paugam, directrice de l'action sociale de Saint-Herblain, en Loire-Atlantique (4). C'est finalement un garde-fou contre le retour à une logique institutionnelle qui peut s'installer... même dans une petite unité de vie. » Autre principe qui fait la force de ces établissements : le réseau gérontologique local, qui doit être entendu dans un sens très large. A Saint-Herblain, ce sont des services de soins à domicile qui interviennent à la carte, sous forme de prestations individualisées. Ce sont aussi des protocoles signés entre la petite unité et le CHU qui facilitent le retour de la personne âgée dans sa résidence d'accueil, car les infirmières l'attendent à sa sortie de l'hôpital, l'aide-ménagère a déjà fait ses courses et acheté les médicaments. Mais ce sont aussi les magasins du quartier. « Chez nous, les personnes âgées sortent et vont faire des achats, se promener. Il arrive que les commerçants nous ramènent des pensionnaires complètement désorientés. Mais nos portes ne sont jamais fermées », précise Claudie Paugam. C'est aussi la participation aux activités organisées par la municipalité. Ou des échanges entre les générations, comme cela se pratique à Lyon : une unité de vie héberge cinq étudiants pour 13 résidents. Ces jeunes disposent d'un contrat de travail et sont rémunérés pour des actions de surveillance - un week-end sur cinq et un soir par semaine - et pour venir en aide aux personnes âgées. « C'est une expérience très dynamisante, explique Florence Alicot, consultante chez Pérouze Conseil à Lyon (5). Les jeunes entrent tous les soirs, rapportent des nouvelles aux pensionnaires. Ils amènent de la vie et des idées... » Les liens avec les familles sont également contractualisés puisqu'elles sont pleinement associées à la vie de la petite unité. « S'occuper d'une personne âgée dépendante, c'est aussi veiller à ceux dont elle dépend. Il faut les soulager, les relayer dans le souci de maintenir des relations entre les parents et les enfants, poursuit Florence Alicot. C'est pour cela que nous demandons aux familles de venir dans la petite unité, pour qu'elles voient comment le personnel travaille, comment vivent leurs parents. Chacune vient passer deux jours dans la structure, à raison d'un week-end sur 13. Et une fois par mois, nous organisons une réunion avec les familles. »
Justement, Jean-Louis Grivel et Jean-Claude Hermet ont choisi une petite unité de vie, le domicile collectif Louis-Fort à Villeurbanne (Rhône), pour leur mère et leur belle-mère. Le premier avoue qu'après avoir visité plusieurs établissements classiques, le recours à « une structure à visage humain » a considérablement atténué le sentiment de culpabilité qui étreint tout enfant obligé de « placer » l'un de ses parents. « Je sentais que ma mère rejoignait une famille d'adoption. Elle a son propre appartement, on peut donc conserver un lien intime avec elle. Et, en même temps, son logement est relié à de petits espaces collectifs. » Jean-Claude Hermet, lui, se souvient d'avoir été très étonné par le grand escalier central de la résidence : « Cela paraissait incongru dans une maison de retraite. Mais c'est un bon moyen pour les personnes âgées de faire de l'exercice et de mesurer leur degré de dépendance. Finalement, le maintien à domicile ne les dynamise pas comme c'est le cas dans un lieu collectif. »
Inutile, bien sûr, de sombrer dans un angélisme facile. Le lien entre l'unité et la famille n'est pas toujours idéal, aussi contractualisé soit-il : « Il arrive que le contentieux familial soit trop lourd, que des enfants n'arrivent pas à s'entendre ou qu'ils soient carrément absents », reconnaît Florence Alicot. Pas facile, non plus, pour le personnel, de porter à bout de bras le caractère innovant des petites unités de vie : car cela signifie concrètement, mettre en place des partenariats forts et durables, jongler entre les exigences des uns et des autres (bénévoles, familles, direction, personnes âgées), et même, selon Florence Alicot, faire le deuil d'une partie de son propre pouvoir et privilégier davantage le savoir-être au savoir-faire. Claudie Paugam va même jusqu'à affirmer que « certains professionnels peuvent être très compétents en gérontologie mais très mauvais en unités de vie. Après tout ce n'est pas évident de faire'avec" et non pas'à la place de ". Ce n'est pas si facile de demander à une vieille dame d'aider à mettre le couvert... »
Il ne faudrait pas cependant diaboliser les grandes maisons de retraite ou les sections de cure médicale, même si les petites unités se sont créées par opposition à elles. « Les grands établissements ont changé, ils arrivent à s'adapter justement en fonction de ce qu'ont apporté les petites structures. Nous aussi nous proposons des activités à la carte, mais nous accueillons une population beaucoup plus dépendante », tient à préciser Lucille Mercier, directrice de l'hôpital Vaugirard à Paris. Est-ce à dire que la grande dépendance constituerait l'une des limites des petites unités de vie ? Non, affirme avec force Marie-Joe Guisset, responsable du programme personnes âgées à la Fondation de France. « Ce sont des lieux de vie jusqu'à la mort. Et cela se prévoit dès le début : il faut organiser les liens avec l'hôpital, le médecin, les services de nuit. Tout cela se prépare. Les limites sont donc contenues dans les défauts du projet lors de son montage. » D'ailleurs, l'étude réalisée par la Fondation de France sur la viabilité économique des petites unités de vie (6), montre que sur un échantillon de 14 sites situés dans 11 départements, 47 % des personnes accueillies sont très dépendantes, 28 % sont semi-dépendantes et seulement 25 % sont autonomes.
Anne Ulpat
(1) Voir ASH n° 2046 du 21-11-97 - Les petites structures et leur place dans l'accompagnement de la vieillesse - Cleirppa : 23, rue Ganneron - 75018 Paris - Tél. 01 53 42 13 60.
(2) « Les petites unités ont-elles un avenir ? », 18 et 19 mars 1998. Journées organisées par l'Uniopss, le Cleirppa et la Fondation de France : 40, avenue Hoche - 75008 Paris - Tél. 01 44 21 31 00.
(3) Vivre en petite unité. En institution et domicile, un accompagnement sur mesure de la vieillesse - Fondation de France - 90 F.
(4) Hôtel de ville : BP 167 - 44802 Saint-Herblain - Tél. 02 40 38 11 29.
(5) Pérouze Conseil : 14, rue Gorge-de-Loup - 69009 Lyon - Tél. 04 78 83 30 12.
(6) Voir ASH n° 2048 du 5-12-97 - La viabilité économique des petites unités de vie - Fondation de France - 115 F.