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Quand des labradors deviennent cothérapeutes

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Deux associations œuvrent pour l'introduction d'animaux dans les maisons de retraite. Plus que des chiens de compagnie, ce sont de véritables médiateurs, des cothérapeutes. Coup de projecteur sur une expérience pilote menée en Loire-Atlantique.

Depuis juillet 1997, Léon a pris l'habitude de déambuler dans les couloirs de l'unité de soins de longue durée dans le centre hospitalier de Nantes. A la fois discret et omniprésent, il va au-devant des pensionnaires valides, mendie une caresse et repart se promener en attendant que l'on ait besoin de lui. Léon est un labrador, couleur sable, âgé de 3 ans. Profession : chien collectif dans le service de long séjour nantais.

C'est ainsi qu'en Loire-Atlantique, 26 établissements tentent la même expérience peu ordinaire depuis le milieu des années 90 : des maisons de retraite, pour la plupart, accueillent des labradors, dressés au départ pour venir en aide à des enfants et des adultes handicapés. Objectifs : recréer du lien social entre les personnes âgées, favoriser une relation entre elles et l'animal, apporter de la vie dans des lieux qui s'apparentent encore trop souvent à des antichambres de la mort.

Une séparation traumatisante

Deux organisations sont à l'origine de cette opération : l'Association des directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées  (Adehpa) et l'Association française d'information et de recherche sur l'animal de compagnie (Afirac)   (1). En 1994, elles réalisent une enquête auprès de maisons de retraite et de foyers-logements afin de dresser un état des lieux. « La majorité n'acceptait pas les animaux des personnes âgées à leur arrivée, souligne Jean-Luc Vuillemenot, secrétaire général de l'Afirac. Or, entrer en institution signifie quitter son environnement social et familial, ce qui est pour le moins déstabilisant. De plus, on demande aux résidents de se séparer de leur animal de compagnie, avec qui ils entretiennent des relations généralement très fortes parce qu'il représente un peu leur mémoire. »

De nombreux directeurs d'établissement, sans nier l'importance de ce lien, ne sont pourtant pas prêts à recevoir des chiens ou des chats chez eux. Cela pose des problèmes d'hygiène et occasionne une surcharge de travail pour le personnel, expliquent-ils. Deux arguments que Jean-Luc Vuillemenot rejette violemment,  comme autant de prétextes pour ne pas faire évoluer les structures. Car l'accueil d'un animal en institution ne s'improvise pas : il doit être inscrit dans le projet d'établissement et requiert, d'ailleurs, l'accord et la collaboration de tous - résidents, directeurs et personnels. Il relève, en fait, d'une méthodologie rigoureuse définie par l'Adehpa et l'Afirac et appliquée en Loire-Atlantique.

Dans ce département, c'est l'option de l'animal collectif qui a été retenue puisque jusque-là, les chiens ou les chats des pensionnaires n'étaient pas admis. Préalables essentiels : que chacun puisse donner son avis, qu'il soit d'accord ou pas avec le projet  que toutes les contraintes - caractéristiques des pensionnaires, architecture du bâtiment, organisation du travail des personnels, etc. - soient passées au crible  que les objectifs de l'accueil soient clairement exprimés et reçoivent l'agrément de chaque personne concernée.

Une formation à l'accueil

Avant son intégration dans une maison de retraite, l'animal - qui vient de passer plusieurs années d'apprentissage au sein de l'Association nationale d'éducation des chiens d'assistance aux handicapés  (Anecah)   (2)  -subit un contrôle vétérinaire. Les résidents, les directeurs et les personnels sont formés à l'accueil du chien, connaissent son caractère et ce qu'il peut faire : apporter le journal, ouvrir la porte, monter sur les genoux, s'asseoir, etc. La formation est assurée par Geneviève Legeay, chargée par l'Afirac de coordonner l'opération en Loire-Atlantique. « J'aide les structures à monter le projet. Lorsque celui-ci est lancé, des référents sont nommés parmi les membres du personnel et parmi les résidents lorsqu'ils sont suffisamment valides. » Ces personnes sont en quelque sorte responsables de l'animal, connaissent son emploi du temps, ses temps de repos, ses besoins en nourriture ou en loisirs...

Car le labrador n'est pas là pour se prélasser, il est en service commandé : sa venue dans la maison implique le respect de règles très strictes et oblige les personnes âgées à se mobiliser autour de rendez-vous réguliers. « Il faut sortir l'animal de temps en temps, le brosser tous les jours, lui faire sa toilette régulièrement, s'assurer que ses vaccins sont à jour et l'amener chez le vétérinaire », précise Jean-Luc Vuillemenot. Autant de tâches qui pallient l'inactivité, dont les personnes âgées sont les premières à se plaindre, mais néces- sitent une organisation bien rôdée. A la résidence Saint-Joseph (3), à Arthon-en-Retz, à une trentaine de kilomètres de Nantes, deux vieilles dames s'occupent de la toilette et des soins d'Eva, le labrador de la maison, tandis que deux messieurs assurent ses sorties. L'hygiène ici ne pose pas le moindre problème : « L'animal est entretenu, c'est une activité pour nos résidents, souligne Pierre Martin, le directeur.  Et chaque pièce est nettoyée de toute façon chaque jour, chien ou pas. Toute la question est de savoir ce que nous voulons faire de nos établissements : des lieux aseptisés ou des maisons à part entière ? Dans une vraie maison, il y a de la vie, du mouvement, du risque, et des poils de chien ! » Et voilà pour les arguments hygiénistes...

Au centre hospitalier de Nantes (1), en revanche, les pensionnaires sont trop invalides pour être les référents de Léon. Une animatrice et une surveillante chef s'en chargent. Surcroît de travail ? « Ici, le personnel apprécie la présence du chien, parce qu'il amène de vrais moments de bonheur, souligne Catherine Maugars, surveillante chef. Mais il est vrai qu'il doit s'investir : il faut structurer la présence du chien, savoir à quoi il sert, ce que l'on souhaite lui faire faire. » Deux fois par mois, une animatrice organise un atelier avec des personnes âgées : le chien est prétexte à des exercices sur la mémoire ou le toucher... Deux fois par mois également, le kinésithérapeute de l'unité de longue durée prend Léon comme assistant. « Pour déplier les doigts d'une personne âgée, lui faire brosser le chien est moins violent que de lui tirer sur la main », fait remarquer Jean-Luc Vuillemenot.

De multiples possibilités

En fait, le labrador dressé offre une présence diversifiée : de simple animal de compagnie -comme c'est le cas à la résidence de Mauperthuis, à Rezé (4)  -jusqu'à un compagnon de jeux, voire un confident, Eva, Léon ou Igor apportent bien plus que ce que l'on croit aux personnes âgées. « C'est un être vivant qui ne vous juge pas, qui vous reçoit tel que vous êtes, même si vous êtes vieux », souligne Pierre Martin. Il prodigue de l'affection sans violence, oblige la personne qui en est référente à se lever, à s'habiller, et à se sentir responsable de quelqu'un, fût-il un animal. Il est aussi un cothérapeute, affirme l'Afirac. Il ne soigne pas, mais il apaise. « Un vieil homme souffre d'escarre et le traitement est extrêmement douloureux, témoigne Pierre Martin. Lorsque le chien est dans sa chambre à ce moment-là, il parvient à détourner son attention de sa souffrance. C'est une petite chose, mais elle a son importance. » Même pour les personnes très désorientées, le labrador peut être un soutien de quelques instants, comme le souligne Catherine Maugars : « Les gens atteints d'Alzheimer oublient les dates, les repères de leur vie. Mais lorsque le chien vient les voir, ils prononcent tout de suite des phrases :'C'est un bon gars, il est gentil... " »

Catherine Maugars et Pierre Martin ont le même point de vue : accueillir un chien ne doit pas se faire à la légère. Il doit s'inscrire dans le projet de vie des résidents, il doit donc sans arrêt être relancé, dynamisé car il serait finalement très facile de se contenter de la seule présence du labrador. « Chez nous, le personnel s'est un peu démobilisé parce que les deux tiers de nos résidents sont particulièrement alertes et prennent quasiment tout en charge, reconnaît Pierre Martin. Du coup, nous en oublions de programmer des activités précises, des sorties le week-end avec le chien. » Le directeur de la résidence Saint-Joseph poursuit : « Au départ je pensais qu'accueillir un chien relevait d'une technique, d'une recette toute simple. Mais non. C'est à nous de nous l'approprier et de faire en sorte qu'il réponde aux objectifs que nous lui avons fixés. Aujourd'hui, je pense qu'il faut organiser des choses toutes simples, même modestes, mais qui marchent. » Catherine Maugars aimerait, quant à elle, développer un peu plus la thérapie facilitée par l'animal - comme les exercices de kiné par exemple - venue des pays anglo-saxons et encore peu connue en France.

Il n'empêche que la présence d'un animal reste lourde à gérer. C'est ainsi qu'à la résidence de Mauperthuis, son directeur, François Batard, reconnaît « utiliser » Igor a minima. C'est un animal de compagnie, sans plus. « Il y a beaucoup de choses à explorer. Pour l'instant, le chien est là, donc on s'en sert, mais rien n'est inscrit dans le projet d'établissement. Les structures d'hébergement pour personnes âgées sont très chahutées en ce moment, sur les questions de financement notamment. Ainsi, tout le monde est partant pour avoir un animal, mais les directeurs ont peur, on leur en demande déjà beaucoup. »

Les Igor, les Eva ou les Léon ne représentent certes pas la panacée. Mais ils sont, paradoxalement, un moyen d'humaniser les maisons de retraite. Néanmoins, au-delà de cette expérience, « le plus important, souligne Jean-Luc Vuillemenot , c'est la possibilité pour les personnes âgées de pouvoir continuer à assumer cette relation affective dans les maisons de retraite, en apportant leurs propres animaux ».

Anne Ulpat

AFFECTION ET SENTIMENT D'UTILITÉ

L'enquête réalisée en 1994 par l'Adehpa et l'Afirac concerne 7 000 maisons de retraite et foyers-logements. Seulement un millier a répondu. Parmi ces établissements, 54,3 % accueillent des animaux. Dans l'ordre de préférence : des chats, des chiens, des oiseaux et des poissons. Qu'apportent-ils aux résidents ? De l'affection dans 92 % des réponses, le maintien de la vigilance dans 72 %, la mobilité (57 %) et le sentiment d'utilité (53 %). Les inconvénients : l'hygiène, la surcharge de travail pour le personnel et les problèmes occasionnés lors du décès de la personne âgée. « La présence de l'animal symbolise une évolution, souligne Pascal Champvert, président de l'Adehpa. Elle révèle que les décisions d'équipe à la demande du résident ont été prédominantes sur l'organisation établie. De plus, les animaux introduisent du désordre par rapport à l'ordre, de l'individuel par rapport à l'institutionnel, de l'échange et du vécu par rapport au sanitaire et à l'aseptisé. »

Notes

(1)  Adehpa : 3, impasse de l'Abbaye - 94100 Saint Maur - Tél. 01 42 83 98 61 ; Afirac : 7, rue du Pasteur-Wagner - 75011 Paris - Tél. 01 49 29 12 00.

(2)  Anecah : 137 bis, rue Nationale - 75013 Paris - Tél. 01 45 86 58 88.

(3)  Résidence Saint-Joseph : 44320 Arthon-en-Retz - Tél. 02 40 21 30 15.

(4)  Résidence de Mauperthuis : 20, rue Etienne-Lemerle - 44400 Rezé - Tél. 02 40 75 49 92.

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