C'est un regard inquiet et souvent exaspéré que porte Françoise Brunelet-Chiha sur l'état actuel du travail social. Car il est des paradoxes difficiles à admettre. En effet, alors qu' « une part de plus en plus importante de la population hexagonale vit l'exclusion » - un constat qui n'est, hélas, pas nouveau - « les besoins en personnels sociaux s'accentuent, mais avec des moyens budgétaires paradoxalement amoindris ». Et cette pression est d'autant moins facile à vivre par les professionnels qu'elle se double d'une crise de confiance et de légitimité. En effet, constate cette assistante sociale d'entreprise, « les présidents des conseils généraux en demandent toujours plus » aux « fantassins du social » tout en arrivant, parfois, « à remettre en cause la légitimité et la technicité de ces acteurs ». Ainsi, ceux-ci « seraient perçus comme n'étant plus vraiment en phase avec les problèmes actuels de la société, étant vécus comme inopérants, alors que ce sont justement ces mêmes employeurs qui les ont en quelque sorte muselés, réduits à un “silence assourdissant” ».
D'ailleurs, dénonce sans ambages Françoise Brunelet-Chiha, même s'ils n'osent pas « l'énoncer haut et fort », certains politiques « pensent tout bas » que ces « intervenants sociaux coûtent de plus en plus cher » et travaillent avec « des méthodes obsolètes ». Il est vrai, explique-t-elle, que « la décentralisation n'a pas entraîné de moyens budgétaires supplémentaires significatifs ». Conséquence : « Les négociations paritaires concernant les nouveaux avenants des différentes conventions collectives du secteur associatif subventionné [...] sont de plus en plus tendues, certains employeurs invitant certains de leurs salariés les plus âgés à emprunter le chemin de la préretraite. » A terme, prévoit la conseil en ressources humaines, « des statuts à deux vitesses vont se multiplier seront proposés aux nouveaux jeunes embauchés des contrats revus à la baisse tandis que s'éteindra, à petit feu, la génération de salariés dits protégés, à statut ». Pour elle, ce n'est pas un hasard « si actuellement les associations carita- tives en tous genres reviennent au-devant de la scène avec leurs effectifs de plus en plus significatifs de bénévoles riches en temps et en bons sentiments... ». De même, observe-t-elle, « ici et là, dans un contexte électoraliste de “politique de la ville“ apparaissent des chargés de mission, conseillers techniques en tous genres, supposés offrir une expertise plus élaborée, aboutie... puis très prochainement les “nouveaux métiers” (emplois-jeunes Aubry) qui, à plus ou moins long terme, seront en concurrence avec les métiers traditionnels du social ».
Françoise Brunelet-Chiha signale également les « cloisonnements idéologiques et de fonctionnement » qui, selon elle, n'ont jamais « été aussi vivaces entre les différents secteurs ». « Les uns et les autres se jaugent » tandis « qu'une logique administrative de guichet cohabite avec un droit de parole exacerbé du type Droit au logement ». En outre, « les passerelles restent exceptionnelles entre le public, l'associatif et le privé ». Et si cette évolution se précise, estime-t-elle, c'est le privé qui en tirera profit en récupérant « des pans entiers de l'activité sociale » au travers de « services marchands d'aide à la personne ».
(1) Françoise Brunelet-Chiha : 10, allée Beethoven - 95470 Fosses.