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L'Estran, un havre après la prison

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Chaque année, en Ile-de-France, 3 000 personnes sortent de prison ou du tribunal sans logement ni ressources ni papiers. Depuis un an, à Paris, l'équipe de l'Estran les accueille, les héberge et les oriente. Mais, déjà, elle ne suffit plus à faire face à la demande.

Tous les ans, 26 000 détenus sont libérés des prisons de la région parisienne, en particulier de Fresnes et de Fleury-Mérogis. Parmi eux, beaucoup cumulent toutes les difficultés :isolés, psychologiquement fragiles, en mauvaise santé, dépourvus de logement, de ressources, de papiers, de qualification... C'est également le cas de nombreuses personnes qui,  sans être emprisonnées, font l'objet d'une mesure judiciaire, avant ou après leur passage devant le juge. Ainsi, chaque année, en Ile-de-France, on estime que 3 000  « publics de justice », ont besoin d'une aide immédiate.

40 lits d'hôtel

C'est pour répondre à cette urgence que l'Estran (1) a ouvert ses portes, il y a un peu plus d'un an, à Paris. Il s'agit d'un centre d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS). C'est-à-dire d'une structure financée par l'Etat (à hauteur de 4,5 millions de francs par an) pour accueillir des populations en difficulté. En région parisienne, l'Estran est le seul à recevoir uniquement des personnes en attente de jugement, récemment libérées ou condamnées à des peines différentes de la prison. Autre particularité : ses 40 lits sont disséminés dans plusieurs hôtels de la capitale (il dispose, en outre, de trois places à la Cité Saint-Martin). Enfin, il n'intervient que sur une période extrêmement courte, trois semaines en moyenne. Un fonctionnement que ses fondateurs ont voulu inscrire, d'emblée, dans son intitulé. « L'Estran est la partie du littoral située entre les plus hautes et les plus basses mers, un espace mouvant marqué par le flux et le reflux. On peut donc dire que notre structure est un lieu passage entre la prison et la cité où l'on peut trouver un temps d'accueil et d'orientation », explique Jean-Marie Thiedey, son directeur.

L'Estran est né d'un échec. En 1991, en région parisienne, une structure associative spécialisée, le POHL (Pôle orientation hébergement logement), avait été intégrée au sein du Service régional d'accueil, d'information et d'orientation des sortants de prison (SRAIOS), dépendant de l'administration pénitentiaire. Un système original soutenu par plusieurs associations. Celles-ci avaient souhaité aller plus loin en proposant, en 1995, la création d'un groupement d'intérêt public réunissant les différents acteurs concernés par la prise en charge des sortants de prison : associations, services sociaux et administration pénitentiaire. Face au refus de cette dernière, le POHL s'était séparé du SRAIOS et, début 1996, cinq associations créaient l'Estran (2). Objectifs :héberger des personnes en difficulté ayant un rapport avec la justice, leur permettre de recouvrer rapidement leurs droits sociaux et les orienter vers une solution adaptée.

La structure occupe l'emplacement d'une ancienne boutique, au cœur de Paris, dans une petite rue calme du IXe arrondissement. Passé la grande baie vitrée qui tient lieu d'entrée, on accède à une grande salle moderne, meublée avec élégance, autour de laquelle s'articulent plusieurs bureaux semi-vitrés. L'ensemble est flambant neuf. Ici, les personnes qui sortent de prison ou du tribunal trouvent, tous les jours de la semaine, des journaux, du café chaud et, surtout, quelqu'un pour les recevoir. « Pour nous, l'accueil est primordial. La porte est ouverte à ceux qui ont besoin d'une aide. Même si quelqu'un n'entre pas dans nos critères, nous ferons toujours en sorte de le conseiller », souligne Jean-Marie Thiedey. C'est aussi pour cette raison, précise-t-il, que les cinq travailleurs sociaux (éducateurs, animateurs, assistante sociale), auxquels s'ajoutent un stagiaire et un objecteur de conscience, assurent, à tour de rôle, l'accueil et le standard.

Des hommes jeunes et seuls

En 1997, 700 personnes ont été prises en charge. Parmi elles, essentiellement des hommes jeunes et seuls. 70 % avaient entre 18 et 35 ans et l'on comptait seulement 8 % de femmes, dont plusieurs en couple. « Majoritairement, indique Jean-Marie Thiedey, ceux que nous recevons ont commis des petits délits et sont souvent des récidivistes. Evidemment, la toxicomanie et le trafic de stupéfiants font partie de cet univers. Il faut ajouter que, pour la plupart, ces personnes n'ont pas ou peu travaillé et que leur niveau de formation est très faible. » L'Estran accueille également, mais en moins grand nombre, des personnes sortant de très longs séjours en prison. « C'est autre chose que la petite délinquance. Nous avons alors affaire à des gens qui ont vécu un événement dramatique dans leur vie », poursuit le directeur. Parfois, l'équipe doit faire face à des situations inattendues. Comme celle de ce Français, parti aux Etats-Unis à l'âge de 4 ans et expulsé, la trentaine passée, après avoir purgé une peine de prison en Californie. « Nous l'avons récupéré à Roissy, débarquant de l'avion avec, pour seul bagage, sa tenue de prisonnier. Il ne parlait pas un mot de français. Aujourd'hui, il est en Bretagne où il suit une formation pour entrer dans la marine marchande », raconte Jean-Marie Thiedey.

Pour venir à l'Estran, pas besoin de rendez-vous, même si le contact initial se fait souvent par l'intermédiaire d'un service social, d'un comité de probation ou d'autres organismes. Le premier entretien -dit d'installation - est assez court. « Il s'agit surtout de demander à la personne ce qu'elle attend de nous et de lui expliquer ce que nous pouvons faire pour elle », commente l'un des membres de l'équipe. L'occasion, également, de recueillir un certain nombre de renseignements qui servent, notamment, à remplir les documents administratifs obligatoires. Un travail souvent délicat. « Nous essayons d'éviter de nous livrer à un interrogatoire qui peut être mal vécu, surtout lorsque l'on sort de garde à vue ou de prison. Ce qui est un peu contradictoire avec les statistiques que l'on exige de nous en tant que CHRS », indique-t-on au sein de l'équipe. Pourtant, au-delà des exigences administratives, cette phase est essentielle pour la suite de la prise en charge. « Si nous voulons aider les personnes à passer de la prison à autre chose, nous n'avons pas intérêt à faire comme si leur passé pénal n'existait pas. Quand les gens ne sont pas clairs sur leur situation pénale, leur demande d'intégration dans la société ne peut pas fonctionner. C'est très important et il faut y revenir souvent mais avec tact. » De même, la nature particulière du public reçu implique de fixer, dès le départ, des règles de fonctionnement précises et de s'y tenir. « Nous sommes en face de gens qui sont dans la transgression. C'est une réalité que nous devons prendre en compte », rappelle le directeur . Chacun est donc tenu, a minima, d'honorer ses rendez-vous (au moins un par semaine) et de ne pas être dans l'illégalité. « Si ce contrat implicite est rompu, nous pouvons interrompre la prise en charge. C'est déjà arrivé. Mais nous essayons toujours d'être souples, de ne pas être dans la radicalité. »

Les demandes des personnes accueillies sont élémentaires : une chambre, de quoi manger, de quoi circuler et un peu d'argent. Il s'agit donc d'aller à l'essentiel. D'autant qu'avec une prise en charge aussi courte, les jours sont comptés. « Dans un premier temps, on va leur trouver un hôtel et vérifier qu'ils savent s'y rendre. C'est déjà le début d'un travail d'orientation car la majorité des sortants de prison n'ont pas, ou plus, de repères géographiques et sociaux. » Pour l'équipe, l'orientation consiste aussi à faire attention aux petits détails. « Par exemple, il est important que nos locaux soient propres, que chacun soit accueilli dans de bonnes conditions et que les chambres d'hôtel soient correctes », martèle avec conviction le responsable. De même, les travailleurs sociaux ont voulu se rendre compte des conditions de transport jusqu'à un établissement situé à Chatenay-Malabry où ils adressent souvent des candidats. C'est encore ce souci du détail qui est à l'origine de l'agenda édité par l'Estran et distribué à toutes les personnes reçues. On y trouve des informations sur les dispositifs sociaux, des adresses utiles et, évidemment, de quoi noter ses rendez-vous.

Pas assez de places

Outre les problèmes de couverture sociale et de papiers d'identité, l'essentiel de l'activité de l'Estran consiste à préparer la sortie des résidents dans les meilleures conditions possibles et en tenant compte des besoins de chacun. Là aussi, il faut savoir décrypter les discours. « Si on se contente de demander aux gens ce qu'ils veulent, ils vont tous répondre :une femme, des enfants et une maison, explique Jean-Marie Thiedey, ce qu'ils n'ont jamais eu, pour la plupart, et que, peut-être, ils n'auront jamais. Il y a des schémas stéréotypés dont il faut se dessaisir pour regarder les choses telles qu'elles sont. Celui qui a eu une vie'normale" avec un logement, une famille et un travail n'a pas les mêmes références qu'un autre qui n'a jamais eu de chez-soi. Or, c'est souvent le cas des personnes qui viennent ici. » A partir de là, il s'agit de trouver une solution adaptée. A cet effet, l'équipe utilise toute la palette des structures et des possibilités d'accueil : CHRS, hôtel social, retour en famille, hébergement chez des amis... Mais même si elle entretient des relations privilégiées avec un certain nombre de partenaires, en particulier les CHRS gérés par ses associations fondatrices, c'est loin d'être suffisant. « Au total, là où nous espérerions 65 % de réponses qualitatives, nous arrivons péniblement à 35 % », constate un travailleur social. Explication : si le potentiel des CHRS, dits d'insertion, a assez peu augmenté ces 20 dernières années sur Paris, la demande d'accueil, en revanche, a connu une courbe inflationniste avec la montée de la pauvreté. « Les CHRS ne peuvent pas accueillir tout le monde. Et les personnes que nous recevons cumulent beaucoup de difficultés. Nous sommes donc souvent condamnés à faire des orientations par défaut. Parfois, des solutions relais permettent d'attendre qu'une place se libère là où on le souhaite. Mais il arrive aussi que nous soyons obligés de nous rabattre sur l'hébergement d'urgence », se désole le directeur. Parfois, aussi, la prise en charge tourne court. « Les personnes que nous suivons ne sont généralement pas en mesure de penser leur vie en termes d'installation. Elles peuvent disparaître du jour au lendemain, éventuellement en laissant leurs valises à l'hôtel, et réapparaître quelques temps plus tard. » Enfin, quelquefois, malheureusement, il n'existe aucune solution. C'est le cas, notamment, pour les étrangers sans papiers. Une impuissance qui est mal vécue par les travailleurs sociaux et qui nécessite un indispensable travail de supervision. « Parfois, avouent-ils, l'épuisement est là. Par exemple, quand, pour une personne, nous avons pris de multiples contacts et passé 50 coups de fil. Et sans toujours un résultat au bout. »

Autre difficulté : le fait de devoir refuser des prises en charge faute d'une capacité d'accueil suffisante. Actuellement, chaque travailleur social suit 10, 12, voire 15 personnes par mois. Une charge de travail extrêmement lourde sur une période aussi courte. « Le problème c'est que nous sommes en situation bloquée, déplore Jean-Marie Thiedey, nous avons du mal à faire sortir les gens dans de bonnes conditions alors que les demandes affluent de toutes parts. L'an dernier, 95 institutions différentes nous ont adressé des candidats. Pour faire face, il faudrait au moins doubler notre capacité. » Conséquence de cette situation : une rigidification du fonctionnement. « Si nous avons quatre places disponibles, explique un travailleur social , elles sont attribuées aux quatre premières personnes qui se manifestent. C'est la moins mauvaise formule. Auparavant, nous prenions des réservations, comme ça ceux qui appelaient à l'avance étaient sûrs d'avoir une place. Mais ça devenait un système de privilèges. » La rançon du succès, certes, mais cette situation n'est guère confortable pour l'équipe qui compte interpeller les associations fondatrices sur ce problème crucial. Faut-il renforcer l'effectif en personnel ? Pourquoi pas. Une autre solution consisterait à déconcentrer l'Estran avec la création d'antennes dans plusieurs départements d'Ile-de-France. A condition que le financeur, c'est-à-dire l'Etat, soit d'accord.

Jérôme Vachon

Notes

(1)  L'Estran : 10, rue Ambroise-Thomas - 75009 Paris - Tél. 01 53 24 92 20.

(2)  L'APCARS, l'ARAPEJ-Ile-de-France, l'Aurore, l'ACSC-Cité Saint-Martin et Le Verlan.

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