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L'accompagnement des accueillants reste à faire

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Face aux difficultés d'application de la loi du 10 juillet 1989 sur l'accueil familial, la direction de l'action sociale a engagé la première évaluation nationale du dispositif. Avant la publication définitive des résultats, premiers commentaires avec Jean-Claude Cébula, directeur de l'IFREP (1), maître d'œuvre de l'opération.

Actualités sociales hebdomadaires  : Quelle est la principale conclusion de l'évaluation ?

Jean-Claude Cébula  : L'évaluation vient confirmer les disparités supposées dans l'application de la loi. Selon les départements, l'accueil familial est plus ou moins développé : il peut ainsi concerner de 10 à plus de 400 familles  de même l'accent peut être mis surtout sur les personnes âgées ou les publics handicapés. En fait, les conseils généraux ont davantage été sensibilisés au dispositif lorsqu'ils avaient déjà des traditions d'accueil plus ou moins organisées. Il n'en demeure pas moins que la loi du 10 juillet 1989 reste, malgré tout, relativement confuse et peu précise sur un certain nombre de points.

ASH  : Que voulez-vous dire ?

J.-C. C.  : Globalement la loi n'organise pas un dispositif suffisamment précis pour que chacun des acteurs puisse se l'approprier. Par exemple, elle ne donne pas au département les moyens nécessaires pour contrôler le dispositif ; ainsi, lorsque des personnes font de l'accueil familial sans agrément, le conseil général n'a aucun moyen de mettre fin à de telles pratiques. Ces difficultés expliquent, entre autres, que cette formule d'hébergement soit restée très marginale par rapport aux autres modes d'accueil. Et même si les chiffres sont bien supérieurs à ce que l'on imaginait ! L'accueil familial représente quand même 1 % des places en établissement pour les personnes âgées et 7 % pour les adultes handicapés. Soit, au total, près de 12 000 personnes accueillies.

ASH  : Quel est leur profil ?

J.-C. C.  : Alors que la loi était surtout conçue à l'origine pour l'accueil des personnes âgées, l'évaluation révèle qu'elle concerne à 60 % des personnes handicapées presque exclusivement mentales : si la plupart sont adressées par les services de psychiatrie, certaines sont d'anciens enfants placés, l'accueil familial s'inscrivant ici dans la continuité de la prise en charge. De plus, l'évaluation dévoile que ces publics handicapés sont beaucoup plus jeunes que ce que l'on pensait : près de 50 % d'entre eux ont moins de 40 ans. Or la loi ne prévoit aucun projet social pour ces personnes qui, de fait, sont « abandonnées » dans les familles d'accueil. Il apparaît donc nécessaire de repenser le dispositif de prise en charge des handicapés mentaux en imaginant des compléments à l'accueil familial. En effet, leurs besoins sont très différents de ceux des personnes âgées.

ASH  : Justement, à quels besoins répond l'accueil familial ?

J.-C. C.  : Pour les personnes âgées, la famille d'accueil apparaît surtout comme une alternative à la prise en charge en établissement. Le dispositif permet de faire fonctionner les solidarités de voisinage et d'éviter un déplacement des personnes hors de leur zone d'habitation. Il peut également offrir une formule intermédiaire évitant un retour trop brutal au domicile après une hospitalisation. Par contre, pour les personnes handicapées, l'accueil familial est plutôt utilisé comme un processus d'appartenance et pour créer des liens familiaux, sociaux... Car ces publics, dont les parents, souvent, ont disparu ou ne ne se manifestent plus depuis longtemps, ont besoin d'un lieu pour être connus et reconnus.

ASH  : Sont-ils d'ailleurs suffisamment protégés au sein des familles d'accueil ?

J.-C. C.  : C'est vrai que lorsque la loi a été écrite, il apparaissait logique que ceux qui contractent avec les accueillants, soient sous tutelle pour être protégés. Or nous avons été assez surpris de constater qu'à peine plus de la moitié d'entre elles faisaient l'objet de mesures de protection : tutelle ou curatelle. 79 % des handicapés en bénéficient alors que les personnes âgées sont seulement 30 % dans ce cas. Toutefois, ces chiffres ne permettent pas de tirer de jugement de valeur sur la protection des personnes. Ils montrent davantage l'importance du réseau familial dans la prise en charge de la vieillesse.

ASH  : Quant aux personnes agréées, quel est leur profil ?

J.-C. C.  : Leur profil ne nous a guère surpris. Ce sont la plupart du temps des femmes propriétaires de leur logement qui, ayant élevé leurs enfants et après une autre activité professionnelle, s'orientent vers l'accueil familial. Rien de neuf donc sur ce portrait type, sinon que l'accueil familial n'est toujours pas suffisamment rémunérateur pour constituer véritablement un choix d'activité. Il n'est malheureusement toujours pas reconnu comme un emploi professionnel. Or il pourrait être un moyen de repeupler les campagnes et de redistribuer l'activité dans les zones rurales.

ASH  : Quels sont les niveaux de rémunération ?

J.-C. C.  : Les prix sont extrêmement variables d'un département à l'autre, voire à l'intérieur d'un même département. Par exemple, la fourchette de la rémunération journalière hors majorations (sujétions, indemnité d'entretien, loyer), qui est calculée sur la base du minimum garanti [18,23 F], varie de 36 F à... 180 F. Or, il serait important que les familles d'accueil aient un statut assurant à la fois une harmonisation des rémunérations et précisant les conditions d'exercice de leur activité, notamment par rapport au code du travail. Aujourd'hui, le contrat signé avec la personne accueillie relève du droit privé. Et les seules obligations imposées par la loi résident dans l'agrément, le suivi et le contrôle.

ASH  : Ce suivi est-il suffisant ?

J.-C. C.  : Le problème justement, c'est que telles que la loi les définit, les procédures de suivi et de contrôle sont associées et non distinguées. Aussi quand elles sont appliquées a minima, elles s'apparentent de fait davantage à du contrôle. C'est ainsi que les familles d'accueil vivent plutôt dans la crainte d'être en permanence contrôlées, alors qu'elles attendent d'être soutenues, portées et aidées dans leur travail quotidien.

ASH  : Ce manque d'accompagnement ne tient-il pas au mode d'organisation de l'accueil familial ?

J.-C. C.  : L'évaluation n'a pas permis de repérer d'organisation meilleure que d'autres. La loi prévoit que le dispositif soit placé entièrement sous la responsabilité des services départementaux (régie directe) ou que certains de ses aspects soient délégués à des institutions dans le cadre de conventions. En fait, la majorité des départements ont gardé la maîtrise du dispositif : certains confient l'ensemble des missions d'agrément, de contrôle et de suivi à un ou plusieurs de leurs services. Mais quand ils ont fait le choix de déléguer, tout ou partie de l'accueil familial, les départements conservent généralement les missions d'agrément et de contrôle. Quoi qu'il en soit, quelles que soient les options d'organisation retenues, les besoins des personnes accueillantes sont, en général, insuffisamment pris en compte.

ASH  : N'est-ce pas lié aussi au problème de leur formation ?

J.-C. C.  : Là encore, la loi est très floue sur la formation. Si elle en fait une obligation, rien n'est dit sur son contenu ou le nombre d'heures. Aussi, les départements ont-ils répondu comme ils le pouvaient en proposant des formations, certes plus ou moins adaptées. Mais il est difficile d'évaluer la qualité d'une formation quand celle-ci n' a aucun cadre de référence. Et là aussi, il faudrait préciser les choses, un peu à l'image d'ailleurs de ce qui existe pour les assistantes maternelles.

ASH  : Finalement, vous êtes assez nuancés sur la responsabilité des départements dans les difficultés d'application de la loi de 1989.

J.-C. C.  : Oui, très nuancés. Si vous voulez, les départements ont, dans leur ensemble, répondu aux obligations de la loi. Tous d'ailleurs, sauf un, ont répondu à notre évaluation et certains seraient prêts à mieux faire fonctionner le dispositif, s'il était plus clair. Par exemple, on s'est aperçu que 88 % des accueillants étaient agréés pour une ou deux personnes et que les dérogations pour une troisième étaient finalement très peu nombreuses. Signe que les départements restent vigilants et conservent bien à l'accueil son caractère familial. De même, en 1996, il n'y a eu que 2 % de retraits d'agrément. Ce qui bat en brèche certains fantasmes sur la facilité qu'auraient certains départements à retirer l'autorisation d'exercer. Je crois que, face à une loi insuffisante, ceux-ci s'en sortent plutôt bien, même si beaucoup reste à faire.

ASH  : Quoi, par exemple ?

J.-C. C.  : Il faut bien voir que la loi est surtout une loi de contrôle, le législateur ayant cherché à régulariser des pratiques d'accueil « sauvages » qui apparaissaient de plus en plus scandaleuses. Mais il n'a pas souhaité donner aux accueil lants un statut précis, par crainte de multiplier les côuts de l'aide sociale. Il convient aujourd'hui d'améliorer le dispositif afin de reconnaître et soutenir réellement l'activité des familles d'accueil. De même serait-il souhaitable de parvenir à harmoniser l'ensemble des pratiques d'accueil familial pour adultes, enfants, social et thérapeutique. Comment expliquer en effet, qu'une même personne soit aujourd'hui accueillie, en raison de son âge ou de ses troubles psychiatriques, par des accueillants aux statuts si différents ?

Propos recueillis par Isabelle Sarazin

UNE ENQUÊTE AUPRÈS DES DÉPARTEMENTS

Cette première évaluation nationale de la loi du 10 juillet 1989 relative à l'accueil par des particuliers à leur domicile, à titre onéreux, de personnes âgées ou handicapées adultes a été menée, en 1997, dans le cadre d'un comité de pilotage composé de représentants de l'Assemblée des présidents de conseils généraux, de la direction de l'action sociale et de l'Institut de formation, de recherche et d'évaluation des pratiques médico-sociales (IFREP). Ce dernier étant le maître d'œuvre de l'opération. Objectifs : faire le point sur le nombre de personnes concernées et mieux connaître le développement et l'organisation d'un dispositif dont les disparités sur le terrain sont souvent dénoncées. C'est ainsi qu'un questionnaire détaillé, portant sur l'année 1996, a été adressé à tous les départements en 1997 ; un seul ne l'a pas retourné. Les premiers résultats statistiques sont actuellement diffusés dans les départements, tandis que l'évaluation qualitative fera l'objet d'une publication ultérieurement.

L'ACCUEIL FAMILIAL EN CHIFFRES

Au terme de l'enquête portant sur le dispositif en 1996 :

  11 717 personnes âgées et adultes handicapés bénéficiaient de l'accueil familial :- le nombre d'accueillis va de 0 (quatre départements) à plus de 200 (19 départements).- pour les populations handicapées mentales, l'accueil familial « social » concerne deux fois plus de personnes que l'accueil familial thérapeutique organisé par les établissements de soins.- 98 % des personnes âgées et 85 % des adultes handicapés sont accueillis à temps plein.

  8 950 personnes étaient agréées. 96 % sont des femmes ayant entre 40 et 60 ans.

Notes

(1)  Institut de formation, de recherche et d'évaluation des pratiques médico-sociales : BP 358 - 75626 Paris cedex 13 - Tél. 01 45 89 17 17.

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