« Rendre plus efficaces les acteurs de la lutte contre les exclusions », tel est l'objectif du titre III du projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions, dont les grandes lignes ont été présentées, le 25 mars, par la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, représentée par Bernard Kouchner (voir ce numéro). C'est ainsi que, prenant en compte l'alourdissement et la complexification des missions des travailleurs sociaux, le projet prévoit des dispositions visant à « rénover » le dispositif de formation. Outre une meilleure programmation de l'offre de formation, les mesures tendent à clarifier et conforter les relations des centres de formation avec l'Etat. Par ailleurs, le titre III propose d'étendre le champ d'application de la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales à tout le secteur de l'urgence sociale et de l'insertion, dont les réponses se sont largement diversifiées. Et surtout, il entend « conforter » le statut des centres d'hébergement et de réadaptation sociale -appelés désormais centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) - et dont les missions sont élargies à l'insertion par l'économique et à l'urgence sociale. Enfin, le projet de loi s'attache à améliorer l'information et l'orientation des personnes en difficulté au niveau départemental par l'instauration d'un dispositif de veille sociale.
Très attendu, ce volet du projet de loi a incontestablement le mérite, à côté des mesures relatives à l'emploi, de mettre l'accent sur le rôle des acteurs de l'action sociale dans la lutte contre l'exclusion. Et on ne saurait ignorer l'importance de cette reconnaissance légale pour les centres de formation, qui ont jusqu'ici dénoncé l'absence de pilotage par l'Etat de l'appareil de formation. De même, le secteur des CHRS se voit relégitimé, ses fonctions de généraliste - allant au-delà de l'hébergement - étant mieux reconnues. Importantes d'un point de vue symbolique, mais pas seulement, ces avancées, qui méritent sur bon nombre de points d'être précisées, ne sont pas négligeables. Elles restent toutefois en deçà de la revendication des centres de formation de voir leur assise véritablement confortée par des financements pérennes. En outre, l'absence d'objectifs financiers et quantitatifs, réellement affichés au niveau législatif, réduisent quelque peu la portée de certaines intentions.
Le titre III du projet de loi comporte des dispositions qui modifient la législation sur les centres de formation des travailleurs sociaux. Il réécrit ainsi l'article 29 de la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales qui prévoit désormais que ces centres « contribuent à la qualification et à la promotion des professionnels et des personnels salariés et non salariés engagés dans la lutte contre l'exclusion, la prévention et la réparation des handicaps ou inadaptations, la promotion du développement social ».
Le projet veut « reconnaître l'apport des centres de formation à la mise en œuvre des politiques sociales et à l'animation du secteur social et médico-social dans le cadre d'un schéma national formation-emploi », précise l'étude d'impact. Il permet également « l'augmentation des capacités d'accueil de l'appareil de formation pour répondre aux besoins sociaux et à la multiplication et complexité des dispositifs d'aide ou d'interventions sociales ». Il est aussi envisagé de consolider « les fondements juridiques, financiers et pédagogiques des centres de formation, par une contractualisation rénovée entre l'Etat et les organismes de formation ». Enfin, outre une meilleure reconnaissance des droits des étudiants, il harmonise les conditions de recrutement des directeurs et des formateurs.
Un schéma national des formations sociales sera arrêté par le ministre chargé des affaires sociales après avis du Conseil supérieur du travail social. Décliné en schémas régionaux, il doit permettre une amélioration et une simplification de la programmation de l'offre de formation.
Le ministère voit plusieurs atouts à ce dispositif. D'une part, le schéma devrait favoriser une résorption des personnels non qualifiés dans les établissements et services et un accompagnement du développement des emplois sociaux (dont les emplois-jeunes) dans la fonction publique et le privé. D'autre part, il est également attendu une plus grande implication des employeurs dans la définition des postes et des missions et une insertion des publics en difficulté. Au niveau financier, les schémas permettront une meilleure estimation des dépenses publiques et une programmation budgétaire rationnelle et pluriannuelle.
« L'amélioration de l'offre de formation aux besoins et la rationalisation de l'appareil de formation sont les corollaires de l'effort à engager pour répondre aux besoins croissants d'interventions sociales », souligne le ministère. Le cadre législatif et réglementaire relatif au dispositif de formation et de qualification des professionnels sociaux sera renforcé et rénové. Les centres de formation verront leurs capacités d'accueil accrues. Cet accroissement, échelonné sur plusieurs rentrées scolaires, conduira, à terme, à l'augmentation du nombre de professionnels diplômés en travail social dans le secteur des établissements et services sociaux et médico-sociaux. En particulier, insiste le gouvernement, l'essor du nombre de travailleurs sociaux de niveau III doit permettre de mieux répondre aux besoins des employeurs pour la mise en œuvre d'interventions sociales de plus en plus nombreuses.
L'assise juridique et financière des relations entre les centres de formation et l'Etat sera confortée par l'instauration d'un contrat. Ce dernier ayant également pour intérêt de formaliser les objectifs de formation initiale permanente et supérieure poursuivis par le centre de formation sous contrat, en rapport avec la subvention d'Etat et le schéma national des formations.
Il s'agit de formaliser, pour les étudiants en travail social, la reconnaissance de droits identiques à ceux des étudiants de l'enseignement supérieur en termes d'aides financières et de droits dans les établissements de formation.
Un décret fixera la nature, le taux et les conditions d'attribution des bourses qui seront alignées sur celles de l'enseignement supérieur (5e échelon). L'amélioration de leurs modalités d'attribution ouvrira l'accès à la formation à un plus grand nombre de jeunes et plus particulièrement aux plus défavorisés, explique le ministère.
La loi prévoit que le montant maximum des droits d'inscription est fixé chaque année par le ministre chargé des affaires sociales. Et qu'en supplément de ces droits, les centres peuvent prélever des frais de scolarité dont le montant maximum est également fixé chaque année par le ministre.
Selon l'étude d'impact, un texte réglementaire devrait prévoir la représentation des étudiants dans les conseils d'administration des écoles.
Afin d'harmoniser les conditions requises pour être directeur et formateur des centres, actuellement très disparates en termes de diplômes et de durée d'expérience professionnelle, il est notamment prévu qu'un décret définira leurs conditions d'inscription sur une liste d'aptitude. Le ministère poursuit ainsi plusieurs objectifs : l'accroissement de la professionnalisation, la suppression des agréments individuels à la prise de fonction, l'assouplissement des modalités de recrutement pour les centres de formation tout en contribuant à la gestion prévisionnelle des emplois. Cette disposition allégera également le travail d'instruction des DRASS et de la DAS.
ASH : On a le sentiment d'un grand silence du côté des centres de formation de travailleurs sociaux par rapport au projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions ?
Georges Comte : Si nous avons été silencieux jusqu'à maintenant, c'est que nous ne savions pas du tout si nous serions inclus ou non dans une loi sur l'exclusion. Aujourd'hui, nous ne pouvons qu'être satisfaits de figurer dans le titre III du projet de loi. Nous sommes donc reconnus, comme nous l'étions d'ailleurs dans le projet de loi de cohésion sociale du gouvernement précédent (2)
. ASH : Justement, à l'époque, vous aviez demandé au gouvernement de « revoir la copie » (3) ?
G. C. : C'est exact, car ce qui nous manquait, et ce qui nous manque toujours d'après les éléments que j'ai en ma possession, c'est que la mission de service public des centres de formation de travailleurs sociaux n'apparaisse toujours pas comme nous l'avions pourtant réclamé. En outre, il serait nécessaire que la subvention de l'Etat soit indexée d'une part sur l'évolution du point des conventions collectives de référence d'autre part, pour le forfait élève, sur l'augmentation de la vie. Enfin, nous sommes toujours, à ma connaissance, dans le cadre d'une subvention aléatoire alors que nous réclamons des financements pérennes. Nous souhaiterions ainsi ne plus figurer dans le titre IV mais dans le titre III de la loi de finances. Or rien n'est dit non plus sur ce point dans le projet de loi.
ASH : Le gouvernement prévoit quand même une augmentation du financement des centres de formation ?
G. C. : C'est vrai qu'il est prévu une augmentation importante du financement des centres de formation, échelonnée sur plusieurs rentrées universitaires (jusqu'à l'an 2000), afin que nous puissions former
1 100 professionnels supplémentaires, soit environ 10 % de plus que ce que nous formons actuellement. C'est intéressant, mais encore faut-il que ces mesures soient réellement mises en œuvre. Et il me paraît difficile, au vu de son mode de fonctionnement, que l'Etat puisse prévoir dès maintenant ce qui sera attribué pour la formation en l'an 2000.
ASH : Le projet de loi actuel n'est-il pas finalement très proche du projet du gouvernement Juppé ?
G. C. : S'il en est très proche, il n'en est pas pour autant la copie conforme. D'une part, le gouvernement actuel nous promet un financement amélioré des centres de formation par l'instauration d'un contrat entre ces derniers et l'Etat d'autre part, il est question de recruter des directeurs et formateurs inscrits sur une liste d'aptitude nationale. Sur ces deux points, qui méritent d'ailleurs d'être précisés, le texte va plus loin que le précédent, sans toutefois nous donner satisfaction sur nos revendications prioritaires.
ASH : Qu'envisagez-vous donc pour vous faire entendre ?
G. C. : Nous continuerons, comme précédemment, à agir auprès des instances chargées de débattre du texte pour obtenir les modifications visant à assurer une assise pérenne au fonctionnement des centres de formation. Nous ne délivrons pas de diplômes pour de futurs chômeurs, d'autant que l'activité des travailleurs sociaux est un moteur très actif dans la lutte contre l'exclusion.
Propos recueillis par I. S.
Depuis le début des années 80 , le développement des phénomènes de pauvreté et d'exclusion sociale s'est accompagné d'une diversification des situations des personnes en difficulté sociale. Pour répondre à une demande plus variée et plus complexe, les acteurs du secteur social ont été conduits à élargir et diversifier les modes d'accueil et d'intervention sociale.
Ces mutations ont eu lieu, rappelle le gouvernement, « alors que le cadre législatif et réglementaire est largement inadapté et rend donc malaisé le contrôle et la garantie de la qualité des prestations offertes ainsi que le respect du statut des personnes accueillies, tout particulièrement lorsqu'elles sont affectées, pendant des durées assez longues, souvent en accueil de jour, à des activités de mise au travail, voire à des activités purement occupationnelles ».
Un « cadre juridique et financier adapté » est donc créé afin de consolider les structures d'urgence et d'insertion sociale, d'adapter les centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS) aux nouvelles formes d'intervention sociale, et d'organiser l'information et l'orientation des personnes en difficulté.
La loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales est modifiée afin d'inscrire les nouvelles formes d'action utilisées dans la lutte contre l'exclusion (SAMU sociaux, boutiques de solidarité, structures d'insertion professionnelle comme les centres d'adaptation à la vie active) dans son champ. Objectif poursuivi par le gouvernement : « permettre une couverture plus précise des besoins, faciliter l'organisation du travail en réseau et garantir une meilleure affectation des fonds publics ».
La nouvelle rédaction de l'article 1er de la loi du 30 juin 1975 permet ainsi de reconnaître comme des institutions sociales et médico-sociales, les organismes publics ou privés qui, à titre principal et d'une manière permanente :
• « mènent, avec le concours de travailleurs sociaux et d'équipes pluridisciplinaires des actions d'information, de prévention, de dépistage, d'orientation, de soutien, et de maintien à domicile » ;
• « assurent, avec ou sans hébergement, dans leur cadre ordinaire de vie, l'éducation spéciale, l'adaptation ou la réinsertion sociale et professionnelle, l'aide par le travail ou l'insertion par l'activité économique, au bénéfice des personnes handicapées ou inadaptées, ainsi que des familles ou des personnes en détresse ».
Ainsi, plus largement qu'avant, les structures concourant à la lutte contre l'exclusion seront soumises au contrôle de l'Etat, leur création étant subordonnée à l'avis motivé du comité régional de l'organisation sanitaire et sociale.
Le projet de loi a pour objectif de mieux légitimer et moderniser les missions des centres d'hébergement et de réadaptation sociale dans les domaines de l'urgence et de l'insertion par l'économique. A cet effet, est réécrit l'alinéa 8 de l'article 3 de la loi du 30 juin 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales qui énumère les catégories d'établissements qui dépendent de ces institutions.
Seront ainsi désormais visés, les « structures et services comportant ou non un hébergement assurant, avec le concours de travailleurs sociaux et d'équipes pluridisciplinaires, l'accueil, notamment dans les situations d'urgence, le soutien ou l'accompagnement social, l'adaptation à la vie active et l'insertion sociale et professionnelle des personnes ou des familles en détresse » et non plus seulement « les structures d'hébergement en vue de la réadaptation sociale ».
Un décret en Conseil d'Etat prévoira les conditions de fonctionnement et de financement des CHRS.
Globalement, à la Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale (FNARS) (4), on s'estime plutôt satisfait des dispositions relatives aux structures d'urgence et d'insertion et aux CHRS. « On craignait beaucoup que le texte soit surtout centré sur le volet emploi au détriment du volet social. Ce qui n'a pas été le cas », se réjouit Jean-Paul Peneau, directeur général de la FNARS. Et celui-ci se félicite notamment qu'on n'ait pas attendu la réforme de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales « promise depuis de nombreuses années » pour la rénover et l'adapter aux nouvelles structures participant à l'urgence sociale et à l'insertion. En outre, les CHRS se voient « relégitimés », se réjouit le responsable, la « modernisation » de l'article 185 du code de la famille et de l'aide sociale venant notamment « redonner du sens » à un secteur qui avait un texte fondateur ancien. Par contre, Jean-Paul Peneau, s'interroge sur le dispositif de veille sociale prévu dans les départements. Si le principe est intéressant, il souffre, selon lui, de l'absence d'approche globale et reste « trop centré sur l'hébergement ». Mais surtout, déplore le directeur général de la FNARS, « on ne trouve nulle trace, dans le projet de loi, des objectifs financiers et quantitatifs », pourtant affichés dans le programme d'action et l'étude d'impact. Et sur ce point, le texte est en deçà de « la véritable loi de programmation que nous réclamions ».
Conséquence de la modernisation des missions des CHRS, la définition des bénéficiaires de l'aide sociale pouvant être accueillis dans ces centres est également adaptée.
Aux termes de la nouvelle rédaction de l'article 185 du code de la famille et de l'aide sociale, pourront bénéficier « sur leur demande, de l'aide sociale pour être accueillies dans des centres d'hébergement et de réinsertion sociale publics ou privés, les personnes et les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d'insertion, en vue de les aider à accéder ou à recouvrer leur autonomie personnelle et sociale ».
Le décret prévoyant les conditions de fonctionnement et de financement des CHRS précisera également d'une part les modalités selon lesquelles les personnes accueillies participent à proportion de leurs ressources à leurs frais d'hébergement et d'entretien et, d'autre part, les conditions dans lesquelles elles perçoivent la rémunération due au titre des activités d'insertion professionnelle.
Les dispositions actuellement en vigueur ne permettent pas de créer des CHRS dans les départements d'outre-mer (DOM), la seule exception concernant les personnes libérées de prison qui ne peuvent être prises en charge que pour une durée maximale de 3 mois. Or, les besoins d'accueil, de suivi des personnes très défavorisées sont importants dans ces départements en raison de facteurs divers et cumulés (taux de chômage très élevé, toxicomanie au crack générant violence et isolement...), explique le ministère de l'Emploi et de la Solidarité dans l'étude d'impact.
Dans un souci et une volonté de traitement d'égalité entre la métropole et les DOM, il est donc proposé d'étendre totalement à ces départements les dispositions de l'article 185 du code de la famille et de l'aide sociale.
Comme annoncé lors de la présentation du programme de prévention et de lutte contre les exclusions, le dispositif de veille sociale et de premier secours est généralisé avec l'extension du dispositif d'accueil de jour et des équipes d'aide dans les départements non encore couverts. Le projet de loi institutionnalise cette généralisation.
C'est ainsi que, dans chaque département, il est mis en place, à l'initiative du préfet, un dispositif de veille sociale chargé d'informer et d'orienter les personnes en difficulté, fonctionnant en permanence tous les jours de l'année et pouvant être saisi par toute personne, organisme ou collectivité.
Ce dispositif a pour mission :
• d'évaluer l'urgence de la situation de la personne en difficulté ;
• de proposer une réponse immédiate en indiquant en particulier l'établissement ou le service dans lequel la personne intéressée peut être accueillie, et d'organiser sans délai une mise en œuvre effective de cette réponse, notamment avec le concours des services publics
• de tenir à jour l'état des différentes disponibilités d'accueil dans le département.
Dans le cadre de ce dispositif, les structures d'urgence et d'insertion sociale sont tenues de déclarer périodiquement leurs places vacantes.
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(1) Organisation nationale des formations au travail social : 1, cité Bergère - 75009 Paris - Tél. 01 53 34 14 77.
(2) Voir ASH n° 2013 du 7-03-97.
(3) Voir ASH n° 2029 du 27-06-97.
(4) FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 45 23 39 09.