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Prévenir et éduquer

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Alors qu'Elisabeth Guigou prépare ses projets sur la délinquance des mineurs, le CES a adopté, le 24 mars, un avis sur la protection de l'enfance et de la jeunesse. Dans celui-ci, il plaide pour la prévention et défend la primauté de l'éducatif.

Trois mois après la remise des rapports du Cirese et des inspections générales (affaires sociales, justice, intérieur) sur les unités éducatives à encadrement renforcé (UEER)   (1) et alors que l'on attend la fin des travaux de la mission interministérielle sur la délinquance des mineurs (2), le Conseil économique et social  (CES) s'est penché, à son tour, sur la justice des mineurs en adoptant, le 24 mars, un avis intitulé La protection de l'enfance et de la jeunesse dans un contexte social en mutation   (3). Présenté par Alain Chauvet, président de la Mutuelle générale de l'Education nationale, au nom de la section des affaires sociales du CES, ce document vient enrichir la réflexion sur la justice des mineurs actuellement en cours à la chancellerie.

Dépassionner le débat

Le traitement de la délinquance des mineurs « ne peut se satisfaire de réponses brutales et insuffisamment réfléchies, suscitées par une pression de l'opinion publique amplifiée par les médias », défend d'emblée le CES, estimant cependant que la situation « paraît s'être aggravée » depuis ses précédents avis sur ce thème, en 1960 et 1975. Et il se dit « attaché à un traitement serein d'un problème qui prend d'abord racine dans l'exclusion économique, sociale et culturelle d'une part grandissante de nos concitoyens ». De fait, l'état des lieux de la délinquance des jeunes, qui a déjà fait l'objet de maintes études, est pour le moins préoccupant. On sait, en effet, que les professionnels de l'enfance et de la justice doivent désormais faire face à une délinquance d'exclusion extrêmement difficile à traiter. Ainsi, rappelle Alain Chauvet, on observe un rajeunissement de l'âge des auteurs d'actes délictueux et une augmentation des infractions avec violence. Autre évolution :l'importance croissante des actes d'incivilité qui, sans être toujours très graves, contribuent au développement d'un climat d'insécurité et peuvent laisser croire que la justice est impuissante. D'autant que la tendance des magistrats a longtemps été d'éviter la pénalisation de la délinquance des jeunes. Or, depuis 1993, un retournement s'est opéré à l'initiative des parquets des mineurs dont la « politique plus active » a suscité, en retour, « une remise en cause chez les juges des enfants qui privilégient de plus en plus une réponse judiciaire aux faits de délinquance ». Une évolution que le rapporteur juge plutôt positive. De même, le traitement direct des affaires pénales envers les mineurs « participe de la prévention et a des effets indéniables sur le niveau de délinquance constaté ». Néanmoins, en dépit de ces changements, la progression de la délinquance des jeunes se poursuit dans certaines zones très touchées. En outre, s'interroge Alain Chauvet, « la demande de plus en plus forte, et justifiée, d'une réponse à tous les délits commis par des mineurs ne contient-elle pas en germe une progressive dévalorisation de l'intervention judiciaire ? » Déjà, prévient-il, « elle ne fait plus peur à certains jeunes délinquants ».

Ce qui vient renforcer la nécessité, martelée par le CES, d'accorder une priorité absolue à la prévention qui doit constituer, selon lui, « le premier axe d'une politique pertinente ». Car « le repérage précoce des comportements déviants, suivi d'une prise en charge adaptée, évaluée et cohérente, constitue le seul moyen de combattre le mal à la racine alors qu'il est encore réversible ». Or, déplore le conseil, « force est de constater que [...] cette dimension essentielle a été quelque peu perdue de vue ». « Si la justice doit punir par des peines ou par des mesures éducatives, n'est-ce pas, en creux, l'indice d'une certaine inefficacité des politiques de prévention ? », se demande, en effet, Alain Chauvet, soulignant les carences des grands dispositifs tels que la politique de la ville, l'insertion des jeunes ou encore l'éducation. Il déplore ainsi le manque de coordination, l'imprécision des missions de l'Etat, la difficulté des relations entre celui-ci et les collectivités locales, la mauvaise lisibilité des buts poursuivis, la dispersion des structures... Les efforts entrepris par les politiques publiques sont nécessaires et louables, poursuit-il mais « les moyens mis en œuvre paraissent insuffisants au regard des enjeux ».

La primauté de l'éducatif

Autre intérêt de l'étude : le rappel de la primauté de l'éducatif sur le répressif, affirmé dans l'ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs. Ce choix est « plus que jamais d'actualité », s'empresse d'indiquer Alain Chauvet car « il a montré sa pertinence pour l'immense majorité des mineurs délinquants » et « il ne faudrait donc pas que le désarroi institutionnel provoqué par une minorité de jeunes extrêmement déstructurés [...] ait pour conséquence une remise en cause de ce principe général ». Reste que « le tout éducatif a montré ses limites avec ces jeunes-là », reconnaît le rapporteur, soulignant « l'efficacité relative » des mesures éducatives développées dans le cadre de l'ordonnance de 1945. Pour lui, « d'autres réponses, toujours éducatives dans leur finalité, mais plus contraignantes, sont à rechercher ». Dans ce domaine, observe-t-il, le secteur public devrait « jouer un rôle d'impulsion ». Or, depuis la suppression, en 1975, des derniers établissements fermés de la protection judiciaire de la jeunesse  (PJJ), celle-ci a « progressivement abandonné le créneau de l'hébergement en foyer qui constituait pourtant l'une de ses missions prioritaires ». Pourquoi une telle désaffection ? « Elle semble trouver sa source dans un refus croissant, pas toujours formulé clairement, des éducateurs de la PJJ » envers ce genre de travail, en raison des « contraintes considérables » qu'il impose, répond Alain Chauvet, qui met également en cause les « rigidités de fonctionnement » des services de la PJJ. Inspirée du rapport des inspections générales, qui avait alors provoqué la colère des syndicats de la PJJ, son analyse aurait mérité d'être étayée davantage. Et l'on peut déplorer que l'auteur se contente de reprendre à son compte l'image plutôt simpliste de « l'éducateur tout puissant » qui serait « rétif à toute hiérarchie ou projet de service ». Même s'il ne nie pas, par ailleurs, la lourdeur des problèmes des publics reçus et les conditions de travail difficiles.

Contrainte et cohérence

Quoi qu'il en soit, poursuit le rapporteur, il faut « imaginer d'autres types de structures ». Celles qui existent aujourd'hui dans les secteurs public et habilité représentent une « réponse nécessaire et relativement efficace pour les cas courants » mais, pour les jeunes les plus difficiles, la prise en charge éducative doit être « plus contraignante avec une présence en continue, offrant une démarche cohérente dans un'parcours" de rééducation et de réinsertion ». A cet égard, estime-t-il, les UEER « constituent bien une première réponse mais, d'une part, elle est bien faible en termes de places disponibles et, d'autre part,  elle ne saurait être la seule offerte ». Sur cette question, se référant aux rapports du Cirese et des inspections générales, il juge cette forme de prise en charge « pertinente » dans son principe tout en regrettant l'improvisation qui a marqué sa mise en place.

Par ailleurs, les efforts d'adaptation de l'assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) restent « trop limités », affirme Alain Chauvet. En effet, si celle-ci est considérée, depuis des années, comme le « modèle achevé de ce qu'il convient de faire » en matière de réponse à la délinquance des mineurs, on en perçoit aujourd'hui les limites avec les jeunes les plus durs. D'abord parce que l'AEMO s'appuie sur une conception de la famille dépassée face à la déstructuration économique et sociale de certains groupes. Ensuite, parce que « les partenariats sont trop peu développés » alors que les jeunes font, parfois, l'objet d'une multitude de mesures différentes. Le rapport met également en lumière l'incohérence « apparente », pour des mineurs multirécidivistes, des mesures éducatives successives ainsi que les retards fréquents dans leur mise en œuvre. Une situation d'ailleurs souvent dénoncée les professionnels eux-mêmes. « Dans ces conditions, juge Alain Chauvet , le caractère pédagogique de la mesure devient aléatoire et sa signification pas toujours correctement perçue par le mineur ou sa famille. »

Enfin, estimant que les solutions se trouvent également dans les mains des magistrats, Alain Chauvet plaide pour le développement des outils créés ces dernières années : la médiation, la réparation, le contrôle judiciaire, le travail d'intérêt général... Quant à la prison, lorsqu'elle s'avère incontournable, elle pourrait, dans certains cas, se révéler efficace mais encore faudrait-il « appliquer les textes relatifs aux conditions d'hébergement, de prise en charge sanitaire et d'hygiène de vie, mais aussi d'éducation et de formation qui sont prévus pour les jeunes détenus et, bien sûr, préparer la sortie ».

Jérôme Vachon

PRINCIPES ET RECOMMANDATIONS

Les principes

 Pour le Conseil économique et social (CES) la délinquance des mineurs « doit être vigoureusement prévenue et combattue » mais il serait illusoire de croire que l'on pourrait l'éradiquer. Aussi est-il « plus raisonnable de chercher [...] à en limiter les conséquences et à offrir aux jeunes d'autres perspectives ».

 Le traitement de cette délinquance appelle, en premier lieu, « des réponses éducatives » avec, pour ligne directrice, la « continuité de la prise en charge et la cohérence du parcours de réinsertion du mineur ».

 Il appartient à l'Etat de piloter la politique de prévention et de traitement de la délinquance des mineurs « de manière lisible, claire et volontariste ». Les recommandations

 Le CES propose de renforcer l'efficacité des politiques de prévention. Il préconise, ainsi, d'améliorer la connaissance de la délinquance des jeunes, de détecter plus précocement les cas difficiles et, surtout, de mieux coordonner les actions de prévention. A cet effet, il plaide, notamment, pour la création d'un fonds national spécifique, l'extension des groupes locaux de prévention et de traitement de la délinquance, la structuration d'un réseau de partenariat, la valorisation de la responsabilité parentale et l'implication des jeunes eux-mêmes.

 Autre idée : rendre les dispositifs existants plus efficaces.- Dans ce domaine, il s'agit de renforcer les moyens de la protection administrative et de créer des instances de coordination ainsi que des outils de programmation.- Il est également conseillé « de développer et d'élargir les réponses éducatives », par exemple en favorisant le placement familial pour les délinquants et en augmentant et rééquilibrant le nombre de places « selon les filières » (avec le rattrapage rapide au niveau des structures d'hébergement à faible effectif et le développement des centres de jour).- De même, le CES souhaite la poursuite de l'expérience des UEER, à condition d'améliorer le dispositif, ainsi que la responsabilisation des parents de mineurs délinquants en les associant systématiquement aux mesures prononcées pour leurs enfants.- Par ailleurs, il met l'accent sur la nécessité d'adapter les mesures pénales avec l'ouverture de nouvelles maisons de justice et la mise en place de brigades spécialisées dans la délinquance des mineurs.- Enfin, concernant la PJJ, il prône son recentrage sur l'ensemble des mineurs (ordonnance de 1945 et article 375 du code civil) ainsi qu'une meilleure spécialisation de ses directions régionales et départementales. Et il propose d'affecter des éducateurs de la PJJ au suivi des jeunes incarcérés afin de préparer leur sortie.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2055 du 23-01-98 et n° 2048 du 5-12-97.

(2)  Voir ASH n° 2047 du 28-11-97.

(3)  L'avis et le rapport du CES seront disponibles au Journal officiel.

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