ASH : Depuis plusieurs années, dans le cadre de ses travaux d'évaluation des politiques sociales, le Crédoc interroge directement des personnes en situation de pauvreté. Pourquoi ? P.L.Q. : En matière d'évaluation des politiques sociales, les méthodologies classiques et les approches institutionnelles suffisent pour mesurer un certain nombre de données objectives. Mais dès que l'on essaie d'aborder un point de vue pluridimensionnel, c'est-à-dire croisant les dimensions familiale, sanitaire et de l'emploi, c'est la personne qui fait le lien. C'est de son point de vue, à travers son histoire, que l'on peut restituer le sens et comprendre l'impact que peuvent avoir les différents dispositifs. Par ailleurs, on sait que les gens, même en situation de grande précarité, n'ont pas systématiquement recours aux dispositifs qui leur sont destinés. Certains ne les connaissent pas mais d'autres font de véritables choix. Pour quelles raisons ? C'est ce que nous essayons de comprendre. ASH : A partir de ces travaux, quels enseignements peut-on tirer sur la perception des dispositifs sociaux par leurs destinataires ? P.L.Q. : Bien entendu, ça dépend énormément des personnes, le meilleur exemple étant le RMI. En effet, parmi ses titulaires, on trouve aussi bien des jeunes étudiants qui sortent de la fac et pour lesquels le RMI n'est qu'une étape transitoire, que des chômeurs de longue durée, pour qui cela correspond davantage à une installation dans la sphère de l'assistance. Or, les uns et les autres ne portent pas du tout le même regard sur le dispositif. Pour simplifier, on peut dire que si le RMI est mal vécu par tout le monde, ce sont les chômeurs de longue durée qui ressentent le plus durement la stigmatisation et la honte liées au dispositif. Pourtant, même ceux qui en souffrent le plus en rajoutent sur le thème : « il y a des bons et des mauvais Rmistes et il faut nettoyer tout ça pour que je puisse bénéficier sans honte de l'aide à laquelle j'ai droit ». Par ailleurs, ils se font généralement assez peu d'illusions sur l'insertion. Ça n'est pas là-dessus qu'ils fondent leurs principales attentes. En fait, ce qu'ils apprécient le plus, c'est de pouvoir bénéficier d'une couverture santé pour eux et leurs enfants. C'est souvent la raison qui les décide à entrer dans le dispositif. A l'inverse, les jeunes, et plus généralement les bénéficiaires en voie d'insertion, apprécient surtout la logistique globale que leur apporte le dispositif : stages, conseils... ASH : En quoi cette approche modifie-t-elle notre compréhension des situations de pauvreté ? P.L.Q. : D'une façon générale, cela nous oblige à nous reposer la question de la nécessaire interconnexion entre la santé, le psychisme et le social. Les gens ne font pas les distinctions que nous faisons. Pour eux, tout cela forme un bloc. Ainsi, cette approche multidimensionnelle fait davantage apparaître l'interdépendance entre les différents facteurs qui contribuent à la détermination des situations de pauvreté. Ce qui signifie qu'il faudrait concevoir, en réponse, une approche médico-sociale globale et concertée. Le problème, c'est que l'ensemble des professionnels concernés ont du mal à s'articuler, même si certains le font déjà, de gré à gré, sur le terrain. Propos recueillis par J.V.
(1) Crédoc : 142, rue du Chevaleret - 75013 Paris - Tél. 01 40 77 85 04.