ASH : Au vu des différentes contributions, le travail social est-il encore utile ? J.R. : Notre ambition n'était pas de répondre à la question mais de redonner une grille d'analyse pour comprendre ce qui se passe. Néanmoins, si l'on veut brosser une sorte de paysage des différentes réflexions, on peut dégager trois lignes de force. Il y a une espèce d'incertitude sur ce qu'était l'adéquation entre un style de professionnalité, fondé essentiellement sur le suivi individuel et l'accompagnement pour l'essentiel psychologique des individus et la dimension plus quantitative des problèmes et plus gestionnaire des populations, demandée par les institutions. L'autre questionnement porte sur les « nouveaux métiers » autour de la ville et de l'insertion qui viennent, d'une certaine manière, concurrencer ou interroger le travail social. Enfin, la troisième ligne de force concerne la montée en puissance, de façon encore diffuse, de la médiation souvent d'ailleurs issue des populations fragilisées : c'est l'exemple des femmes-relais ou des « correspondants de nuit ». Ce nouveau style d'intervention sociale vient aussi fragiliser les formes classiques du travail social. ASH : Vous évoquez « les concurrences et tentations du travail social »... J.R. : On a surtout voulu mettre en avant trois directions. Il nous a ainsi paru pertinent d'évoquer, même à titre de contrepoint, une expérience menée aux Etats-Unis (l'exemple du South Bronx) car il y a certains enseignements à tirer de la capacité qu'a la société américaine de promouvoir des formes d'auto-organisation des individus en effet, là on n'est plus du tout dans une problématique de travail social qui s'occupe de populations, mais plutôt dans une problématique de populations qui vont chercher éventuellement les savoir-faire professionnels dont ils ont besoin. Nous avons également voulu réfléchir, à partir notamment du mouvement des chômeurs, sur les formes de représentation des exclus ou des personnes en situation de fragilité sociale : est-ce le rôle de travailleurs sociaux d'être des représentants ou des porte-parole ou ont-ils une autre fonction ? Par ailleurs, on s'est intéressé aux emplois-jeunes de Martine Aubry : est-ce qu'au fond, il n'y a pas à rompre avec des stratégies ou des plans qui essaient de construire des itinéraires d'insertion ou de qualification pour dire que l'on s'oriente clairement vers une politique de création d'emplois, indépendamment de toute perspective d'insertion ? Mais là encore, on a voulu poser la question en se gardant de conclure. ASH : Vous envisagez trois scénarios pour l'avenir ? J.R. : On évoque trois scénarios possibles : un travail social « gestionnaire » de populations marginales un travail social plus militant et porte-parole mais, là aussi, avec des dérives possibles en termes de substitution à la parole des populations une troisième perspective qui serait plutôt celle de la reconstruction de médiations avec tout le problème de certaines médiations institutionnelles. Sachant que notre idée irait plutôt vers la troisième hypothèse : l'une des fonctions d'un travail social un peu rénové, c'est en effet de reconstruire des médiations, à la fois permettre aux individus d'accéder aux institutions mais aussi à ces dernières d'entendre certains besoins sociaux. Propos recueillis par I.S.
(1) Esprit (mars-avril 1998) : 212, rue Saint-Martin - 75003 Paris - Tél. 01 48 04 92 90 - 90 F.