« A propos de la création d'un RMI-jeunes, je constate que, sur le terrain, la plupart des intervenants crient au feu et réclament la création d'une prestation pour les jeunes en difficulté. En revanche, dans les bureaux, les administratifs et les chercheurs sont terrorisés pour les mêmes raisons que le gouvernement. C'est-à-dire la peur de créer un syndrome de l'assistance chez les jeunes. » En quelques mots, le sociologue et économiste, Alain Caillé, résume les données du problème qui traverse aujourd'hui une fraction de la société française : faut-il créer, ou non, un revenu minimum pour les jeunes ? Une question qui est au cœur des revendications exprimées par certaines associations de chômeurs (1). Pour elles, en effet, il est urgent d'instaurer une prestation - revenu minimum, assurance chômage ou tout autre système ouvrant « un vrai droit au revenu » - qui permette aux jeunes en difficulté de « vivre dignement ». Les Français ne semblent d'ailleurs pas foncièrement hostiles à cette idée. Dans le sondage FNARS/ La Croix sur l'exclusion, publié le 4 mars, ils la classent en sixième position parmi les mesures les plus efficaces pour lutter contre l'exclusion.
Il est vrai que la situation des jeunes en difficulté est préoccupante. On sait que, sauf exception, les moins de 25 ans n'ont pas droit au RMI (2). En outre, bien souvent, faute d'avoir travaillé suffisamment longtemps, ils ne bénéficient pas de l'assurance chômage. Et même lorsqu'ils y ont droit, la durée de l'indemnisation se révèle trop courte. Par ailleurs, depuis 1992, les jeunes en situation de chômage n'ont plus droit à l'allocation d'insertion qui était versée dans le cadre du régime de solidarité. Ainsi, en termes financiers, la seule bouée de sauvetage pour les jeunes en situation précaire demeure le Fonds d'aide aux jeunes (FAJ) qui a été rendu obligatoire en 1993 (et qui va être doté de 300 millions de francs de crédits nouveaux dans le cadre du programme d'action triennal de prévention et de lutte contre les exclusions (3) ). Résultat :depuis quelques années, les services sociaux et les structures d'accueil d'urgence ont vu émerger une génération de jeunes exclus (actuellement, les moins de 25 ans représentent environ le tiers de l'effectif des CHRS), privés de ressources stables et de plus en plus déstructurés. « Il est vrai que certains jeunes sont, de fait, inemployables. Ils n'ont à offrir que leurs bras, dont personne ne veut, et nous n'avons rien d'autre à leur proposer que des stages qui ne débouchent sur rien. Dans ces conditions, ils n'ont d'autres solutions que de se révolter ou d'attendre d'avoir 25 ans pour toucher le RMI », constate Patrick Rouyer, directeur, à Paris, d'un service d'insertion des jeunes. Toutefois, précise-t-il, « il faut éviter les amalgames. Tous les jeunes, loin s'en faut, ne sont pas dans ce cas de figure. » De fait, le principal écueil, dans ce domaine, est de tomber dans une vision simpliste des choses. Et les associations de chômeurs sont les premières à reconnaître que de devoir réclamer un revenu minimum pour des jeunes censés, normalement, s'insérer dans la société, constitue un terrible constat d'échec.
Reste que, sous la pression du mouvement des chômeurs et précaires, les uns et les autres ont été amenés à préciser leur position. Chargée par le Premier ministre d'un rapport sur l'évolution des minima sociaux et du régime d'indemnisation du chômage, Marie-Thérèse Join-Lambert, inspecteur IGAS, a ainsi rejeté, sans ambiguïté, une éventuelle ouverture du RMI aux jeunes (4). Tout en reconnaissant la gravité de la situation, elle juge en effet nécessaire « de ne pas précipiter des évolutions déjà en cours ». Pour elle, il s'agit plutôt de rechercher des modalités de prise en charge des jeunes dans le cadre du régime d'indemnisation du chômage avec, parallèlement, la mise en place de mesures en faveur de l'insertion des jeunes. C'est cette voie qu'a choisie le gouvernement en annonçant, dans le cadre du projet de loi de prévention et de lutte contre les exclusions, la création du dispositif « Trajet d'accès à l'emploi » destiné aux jeunes « les plus éloignés de l'emploi » (proche de l'itinéraire personnalisé d'insertion professionnelle, prévu dans le défunt projet de loi de cohésion sociale) (5). Ce système permet aux jeunes de bénéficier, durant 18 mois, d'un parcours d'insertion tout en ayant la possibilité d'être rémunérés dans le cadre d'un contrat de travail ou d'une formation professionnelle. Et ceux qui connaîtraient des difficultés particulières pourraient être aidés par le FAJ.
Mais en ce qui concerne l'extension du RMI aux moins de 25 ans, Lionel Jospin a été très clair. « Pour les jeunes, ce que nous devons trouver, c'est l'emploi. Ce n'est pas un revenu d'assistance au début de leur vie », a-t-il expliqué le 26 février. Une position que défend Michel Raymond, IGAS, ancien délégué interministériel adjoint au RMI et maire (PS) de Trévoux (Ain). « Je suis absolument opposé à l'instauration d'un RMI-jeunes, explique-t-il, car le risque est en effet trop grand de développer, chez ceux qui en bénéficieraient, une sorte de syndrome de l'assistance. Pour eux, il faut des dispositifs très spécifiques d'aide individualisée. En outre, avec le développement des emplois-jeunes et le retour de la croissance, on peut raisonnablement espérer que le chômage des jeunes va diminuer. »
Du côté des associations de solidarité, on est moins affirmatif. Officiellement, le collectif Alerte (qui regroupe notamment l'Uniopss, la FNARS, ATD quart monde, le Secours catholique...) n'a jamais plaidé en faveur de l'ouverture du RMI aux moins de 25 ans. Néanmoins, la veille de la présentation du programme d'action de prévention et de lutte contre les exclusions, ses responsables rappelaient qu'avec « la dégradation de la situation des jeunes », ceux-ci « doivent pouvoir disposer d'un revenu leur permettant de sécuriser leur parcours ». Sans autre précision sur la forme que pourrait prendre ce revenu. Il est vrai qu'au sein du mouvement associatif, les avis semblent partagés. Ainsi, à ATD quart monde, on est résolument opposé à un RMI-jeunes. « Ce n'est pas la bonne réponse. [...] On ne peut pas dire à un jeune de 18 ans, tu as le RMI et voilà. Il faut l'aider à se sortir de là, lui offrir un emploi ou une formation », affirmait Geneviève de Gaulle-Anthonioz, le 6 mars, dans le journal La Croix. A la FNARS, en revanche, on s'interroge. « A l'origine, nous étions opposés au RMI pour les jeunes. Mais nous sommes en train de changer d'avis car il faut bien trouver un moyen pour aider les jeunes en difficulté qui sont de plus en plus nombreux », indique-t-on. Sachant, souligne-t-on aussitôt, que « personne n'est favorable à un simple système de redistribution financière. Il faut absolument que l'attribution d'un revenu minimum aux jeunes en difficulté soit liée à un véritable processus d'insertion. » Une question sur laquelle la FNARS pourrait arrêter sa position lors d'une réunion prévue le 14 mars.
L'incertitude règne également chez les professionnels de l'action sociale. « Les travailleurs sociaux ont un discours mitigé sur la question du RMI », explique ainsi Patrick Rouyer. « En tant que citoyens, il leur est tout à fait insupportable de laisser des jeunes sans ressources. Mais, en tant que professionnels, ils ne peuvent pas accepter de simplement distribuer de l'argent pour donner bonne conscience à la société. Dans les deux cas, c'est nier toute dignité à ces jeunes. Le problème, c'est de faire en sorte que la prestation financière, qui est nécessaire, conserve une réelle dimension d'échange. Quant au risque de créer un syndrome d'assistance chez ces jeunes, je crois, au contraire, qu'un revenu minimum serait une façon de leur dire qu'ils existent. » Une analyse proche de celle de Monique Sassier, responsable des études et des actions politiques à l'UNAF (6). « On revendique le RMI-jeunes un peu comme la dernière issue avant la mort », constate-t-elle, estimant qu'il serait extrêmement dangereux d'attribuer aux jeunes en difficulté une aide financière sans contrepartie. « Il est en effet indispensable qu'il y ait de l'échange, que le revenu soit lié à un engagement du jeune, qu'il s'agisse d'une formation ou même d'un parcours de soins », explique-t-elle. Quant aux jeunes les plus marginalisés, « pourquoi pas un revenu social mais à condition de le décider au cas par cas, avec les personnes elles-mêmes ». Autre point de vue : celui de François Chobeaux, responsable du département des politiques sociales au CEMEA et observateur reconnu de l'errance des jeunes. « Nous ne sommes pas favorables au RMI-jeunes. Surtout lorsque l'on voit ce qu'est devenue l'insertion dans le dispositif RMI actuel. Pour les moins de 25 ans, ce serait catastrophique et cela reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore en allant vers un revenu minimum sans condition », estime-t-il. Pour lui, il s'agit donc d'engager les jeunes dans une démarche contractuelle en liant formation et indemnisation. A cet égard, le dispositif TRACE lui semble aller plutôt dans le bon sens. Quant à ceux qui sont les plus en difficulté, poursuit François Chobeaux, ce n'est pas tant de mesures économiques dont ils ont besoin que d'un véritable accompagnement social réalisé par des professionnels.
« En réalité, sur les plans social et juridique, le RMI se justifie complètement », affirme, pour sa part, l'économiste Henri Noguès. « En effet, souligne-t-il , en droit, rien ne légitime la limite établie à 25 ans pour l'attribution du RMI. Mais il faut se rappeler les motifs tout à fait légitimes pour lesquels, en 1988, il en avait été décidé ainsi. En premier lieu, la plupart des dispositifs d'aide à l'emploi pour les jeunes vont jusqu'à 25 ans. En outre, c'est aussi l'âge moyen jusqu'auquel les jeunes poursuivent leurs études et demeurent chez leurs parents. Par ailleurs, certains craignent que l'instauration d'un RMI-jeunes ne provoque un désengagement familial massif ainsi que des comportements d'assistés. Mais la principale explication du refus des responsables politiques d'instaurer un revenu minimum pour les jeunes est d'ordre symbolique. Ce serait reconnaître que l'on renonce à trouver une véritable solution pour insérer les jeunes. Une telle décision aurait un effet d'affichage politique désastreux. »
Dans ces conditions, explique-t-il, « on bricole, on tente de répondre aux problèmes des jeunes par des expédients, des dispositifs spécifiques ». Ainsi, pour Henri Noguès, la formation (axe principal du dispositif TRACE) constitue-t-elle un palliatif à l'insertion et, aussi, « une façon de déguiser l'accès à un revenu ». Quant à la proposition de Marie-Thérèse Join-Lambert de faciliter la prise en charge des jeunes par l'assurance chômage, pour l'économiste, elle risque de se heurter à l'Unedic qui, rappelle-t-il, a déjà refusé d'intégrer les emplois-jeunes dans le dispositif d'indemnisation. Néanmoins, même s'il se déclare favorable à l'ouverture de droits économiques pour les moins de 25 ans, lui non plus ne juge pas souhaitable la création d'un RMI-jeunes, ou d'un dispositif similaire, si le revenu n'est pas lié à une contrepartie en termes d'emploi ou de formation. De toute façon, rappelle-t-il, le problème des jeunes ne se réglera pas indépendamment de la situation macro-économique globale, c'est-à-dire tant que la pénurie d'emplois subsistera. Or, à en croire de nombreux économistes, même avec 3 % de croissance, rien ne permet de penser que le niveau du chômage va baisser sensiblement au cours des prochains mois.
Jérôme Vachon
(1) Voir ASH n° 2052 du 2-01-98.
(2) Seuls les jeunes de moins de 25 ans chargés de famille ont droit au RMI. Quant à ceux qui vivent dans une famille bénéficiant du RMI, ils sont comptés dans le calcul de celui-ci.
(3) Voir ASH n° 2061 du 6-03-98.
(4) Voir ASH n° 2060 du 27-02-98.
(5) Quant à la réforme du régime d'indemnisation du chômage, Martine Aubry vient d'écrire à l'Unedic pour lui suggérer d'examiner la situation des jeunes et des adultes qui ne sont plus pris en charge en raison d'un nombre insuffisant d'heures de travail. Voir dans ce numéro « Le social en textes ».
(6) En 1988, l'UNAF était favorable à l'ouverture du RMI aux jeunes de moins de 25 ans. Aujourd'hui, elle est revenue sur cette position.