C'est le 12 mars, trois jours avant la fin de la trêve hivernale sur les expulsions (1), que la fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés a rendu son rapport sur L'état du mal logement en France (2). Publié depuis trois ans à la même période, ses réflexions interviennent, cette année, une semaine après la présentation en conseil des ministres du programme de prévention et de lutte contre les exclusions qui comporte un important volet logement (3). Un programme dont « les orientations vont dans le bon sens », note la fondation, satisfaite par ailleurs d'avoir été largement associée à son élaboration. Elle y retrouve en effet des mesures qui confirment les « avancées significatives » de la loi de finances 1998 et qui répondent à ses souhaits : la transparence de l'accès au parc social, la reconnaissance de la fonction médiatrice des associations entre propriétaires et locataires, la prévention des expulsions et la mise en place d'une taxe sur la vacance de logements.
Des mesures d'autant plus attendues que le constat, dressé par ce rapport, confirme les tendances à l'aggravation de la situation du logement relevées par le rapport 1996 (4). Ainsi les chiffres de 1996 restent d'actualité et avec 200 000 sans-abri et 1,5 million de mal-logés, « la cause est entendue et personne ne remet en question l'importance du problème », notent les rapporteurs. Mais l'élargissement du parc locatif social, l'augmentation des aides personnalisées au logement et l'effort d'accueil des associations ne sont pas parvenus à pallier la dégradation de la situation économique des ménages. Car, avec 15,1 % de la population active gagnant moins de 4 800 F par mois en 1997, le travail ne protège plus de la pauvreté, rappellent-ils. Or les conditions d'accès au logement se sont encore durcies et notamment l'accès aux HLM : la hausse des loyers a été de 72 % depuis 1984 alors que parallèlement les prix ont augmenté de 28 %. En outre, la tendance se confirme d'une diffusion des problèmes de logement « dans des couches de la population jusque-là protégées et leur accentuation pour ceux qui s'enfoncent dans l'exclusion ». Sur fond de précarité sociale accrue se dessinent donc conjointement « une banalisation » du mal logement et une aggravation de la situation pour des personnes qui constituent peu à peu « un noyau dur ». Les mal-logés ressemblent de moins en moins « à l'image d'Epinal du clochard ou du squatter ». Ils sont moins jeunes, plus souvent en couple et travaillent plus fréquemment qu'auparavant. Pour les publics plus « traditionnellement » exposés (jeunes, immigrés, familles monoparentales), les situations d'exclusion face au logement deviennent plus durables.
La fondation refuse néanmoins, confirmant ses orientations précédentes, de s'enfermer dans ces catégories et insiste à nouveau sur la notion de parcours pour comprendre « les basculements » et « les enchaînements » qui conduisent aux problèmes de logement. La rapidité de « la chute » contrastant avec l'exclusion durable qui en résulte et la difficulté « à remonter la pente ». Pour la fondation, les situations des personnes sont chaotiques et très variables (rue, centre d'hébergement, aide de la famille...), et les dispositifs d'aide incapables de suivre. D'où la nécessité « de traiter des situations plus que des publics ». En outre, le mal logement recouvre des réalités bien différentes : depuis l'absence totale de toit ou l'insalubrité, jusqu'à « la cohabitation ou la recohabitation forcée avec la famille » pour les jeunes. Il faudrait alors pouvoir, notent les auteurs, répondre à « la diversité des attentes » même si celles-ci restent modestes : « avoir un toit, une clé, pouvoir fermer sa porte et se sentir à l'abri des zonards », « un tout petit chez-moi intime et propre » et reconstruire « un projet d'habiter », notamment avec les personnes qui ont perdu l'espoir de retrouver un jour un logement « normal ». Au-delà des nombreuses initiatives en matière d'urgence (logements relais, passerelles) dont le rapport relève « la nécessité dans un parcours d'insertion » mais aussi les limites (« trajectoires circulaires, séjours temporaires qui s'éternisent » ), l'objectif doit être de se centrer, souligne cette année encore la fondation, sur des « solutions durables » et l'accès définitif à un logement ordinaire.
(1) A compter de cette date, les expulsions peuvent reprendre dès lors qu'une décision de justice les autorisant est intervenue (sur le déroulement de la procédure d'expulsion pour impayés de loyers, voir ASH n° 1967 du 22-03-96).
(2) Disponible à la fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés : 53, boulevard Vincent-Auriol - 75013 Paris - Tél. 01 53 82 80 30 - 92 F (frais de port inclus).
(3) Voir ASH n° 2061du 6-03-98.
(4) Voir ASH n° 2014 du 14-03-97.