ASH : L'indemnisation du chômage vous paraît-elle un facteur de désincitation au travail ? J.F. : Je crois qu'il faut distinguer deux types d'indemnisation. Lorsqu'elle relève de l'assurance, et qu'elle est donc proportionnelle aux revenus antérieurs quelles que soient les ressources du ménage, on n'a jamais établi l'existence d'un lien certain avec une désincitation au travail. En revanche, il y a un vrai problème pour les régimes d'assistance sous plafond de ressources. Car la reprise d'un emploi fait diminuer d'autant le niveau de la prestation. C'est ainsi, par exemple, que pour les titulaires de l'allocation de solidarité spécifique [ASS] ou du RMI, le gain procuré par le travail peut, lorsque l'emploi repris est très peu rémunéré, être extrêmement faible. ASH : Faut-il alors réviser ces mécanismes d'intéressement dans le cadre de la future loi contre l'exclusion ? J.F. : Si ces mécanismes d'intéressement sont aujourd'hui nécessaires, c'est uniquement à cause du développement d'emplois faiblement rémunérés, type temps partiel. Mais ils sont d'une telle complexité que personne ne s'y retrouve. En outre, ils engendrent de nombreux effets pervers parce que les droits dont bénéficient les chômeurs sont devenus complètement hétérogènes et fortement inégaux. Aussi, faut-il simplifier considérablement ces mécanismes en rendant cohérents, d'une part le mode de calcul de l'indemnisation et d'autre part les délais de révision des dossiers et les régimes qu'on applique. Lesquels sont, dans le cadre de l'ASS ou du RMI, complètement différents. ASH : L'option, qui a émergé aux Etats-Unis, du « workfare » (2) visant à imposer certains types d'activités en contrepartie d'une garantie de revenu vous paraît-elle pertinente ? J.F. : C'est un problème difficile, car il y a, en fait, deux conceptions différentes du « workfare ». Ou bien, comme dans certains pays scandinaves, on considère que les personnes au chômage sont dans une situation d'exclusion telle qu'elles n'ont aucune chance d'accéder directement à un travail. Et l'on conçoit un programme progressif de retour à l'emploi qui inclut des formes d'activités jugées positives pour leur resocialisation. Et là c'est une prestation positive qui, si elle est bien conçue, peut constituer une aide dans une étape transitoire de retour vers l'emploi. En ce sens, si elle n'est pas conçue comme une menace de radiation, elle mérite d'être examinée. Ou alors, ce qui me paraît extrêmement dangereux, c'est le « workfare » au sens anglo-saxon. Car il s'agit, d'une certaine façon, d'imposer des corvées publiques aux titulaires de revenus d'assistance. En fait, on les oblige à travailler, sans contrat de travail, pour payer leur dette à la société. Conçu dans une visée répressive, le « workfare » constitue alors une véritable régression. ASH : Et la tendance en France ? J.F. : Cette question avait été évoquée, il y a quelque temps, par l'ancien directeur général de l'ANPE, mais elle avait soulevé un véritable tollé. A ma connaissance, il n'y a actuellement aucun projet en ce sens. On ne peut d'ailleurs parler de « workfare », lorsqu'on propose, comme en France, à des gens en situation de chômage ou d'assistance des emplois aidés ou des formations. Propos recueillis par I.S.
(1) Auteur d'une étude sur « l'indemnisation du chômage en Europe », remise le 19 février au conseil d'analyse économique, et réalisée en vue de la préparation du rapport sur la protection sociale en Europe de la Commission européenne. IRES : 16, bd du Mont-d'Est - 93192 Noisy-Le-Grand cedex - Tél. 01 48 15 18 90.
(2) Sur le revenu minimum d'existence, voir ASH n° 2054 du 16-01-98.