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Concilier le rôle de sas et la création d'activités

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Dans un contexte de pénurie d'emplois, quelle peut être la fonction de l'insertion par l'économique ? Outre la préservation du lien social, celle-ci peut avoir un rôle de transformation sociale, soutiennent ses défenseurs. A condition de clarifier le secteur.

Quel sens donner, aujourd'hui, à l'insertion par l'économique ? Alors que les chiffres du chômage et de l'exclusion oscillent entre 3 et 7 millions de personnes, les structures d'insertion par l'activité économique  (SIAE) sont-elles encore à même d'aider le public qu'elles reçoivent à retrouver un emploi ? Ou sont-elles condamnées à gérer l'exclusion ? Autant de questions récurrentes, mais qui se posent avec une nouvelle acuité au moment des derniers arbitrages autour du futur projet de loi contre les exclusions. Et dont un chapitre du volet emploi devrait être consacré à « la dynamisation de l'insertion par l'économique »   (1).

Rappeler le rôle « irremplaçable » de ce secteur, « au moins à moyen terme », pour permettre aux personnes rejetées du marché du travail d'accéder à un emploi  mais également insister sur la nécessaire réorganisation d'un champ mal défini. Tel était l'objet des journées d'étude de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale (FNARS)   (2). D'une part « personne n'est inemployable » et d'autre part « l'insertion est avant tout l'inscription de chaque personne dans un système d'échange et de réciprocité avec la société. Le travail sous différentes formes demeure le vecteur principal de l'insertion sociale et de l'autonomie », a ainsi réaffirmé Jean-Raymond Wattiez, président de la commission insertion par l'activité, l'emploi et la formation. Lequel a fortement souligné la volonté des « acteurs du monde de l'insertion » d'accompagner les publics vers l'emploi, mais aussi et surtout « de participer à la création de nouvelles activités génératrices d'emplois ».

Maintenir l'objectif du sas

Car il est évident aujourd'hui que les résultats des SIAE ne peuvent plus s'analyser uniquement en termes de retour à l'emploi. « La problématique du sas est nécessaire mais insuffisante », affirme Elisabeth Maurel, chercheur au Groupe d'étude et de formation sur le sanitaire et le social (Grefoss). En effet, selon l'enquête réalisée par le Crédoc pour le Commissariat général du Plan (3), les personnes en insertion retrouvant un emploi se situent autour de 30 %. Alors que 40 % connaissent des trajectoires plus précaires et qu'environ 25 à 30 % sont en situation d'exclusion. En outre parmi les publics accédant au marché du travail, 50 % se dirigent vers le secteur non marchand, 15 % vers l'artisanat et le commerce, et seulement 28 %vers des entreprises. Souvent de petites et moyennes entreprises occupant des secteurs traditionnels sur un marché local. « Il faut savoir de quoi on parle, lorsqu'on dit retour à l'emploi », précise Elisabeth Maurel. « Il ne s'agit pas de n'importe quel segment du marché. Ainsi, il faut maintenir l'objectif du sas comme réaliste et nécessaire en sachant qu'il ne touchera qu'une partie du public, et qu'il débouchera sur le marché précaire du travail. »

Sur le terrain, la situation varie en fonction des structures et des publics. Ainsi, à Lyon, Ménage service (4), né en 1994, est une entreprise d'insertion qui reçoit des femmes seules n'ayant jamais travaillé. L'association les forme aux tâches de femme de ménage et à s'adapter aux contraintes de la vie active. Ce « tutorat » se poursuit même lorsque la personne a trouvé un travail chez un particulier : « Elles commencent par des CDD de neuf mois », explique Joëlle Ecochard, qui a créé Ménage service. « L'objectif de départ était qu'elles quittent l'association pour être employées directement. Mais si elles se retrouvent seules, elles finiront par ne plus travailler. Elles sont très fragiles, et ont besoin d'un accompagnement permanent. Nous avons donc choisi de les faire passer en CDI. Cela ne nous empêche pas de recevoir de nouvelles personnes en insertion car nous trouvons des employeurs assez facilement. »

Bernard Chevreux, de son côté, est chargé de l'insertion professionnelle à Entraide ouvrière, à Tours (5). Celle-ci regroupe 40 personnes pour une durée de quatre mois en centre d'adaptation à la vie active (CAVA), 70 en contrat emploi-solidarité  (CES) et 40 autres en stages d'insertion professionnelle. Du côté des résultats, le constat est nettement plus nuancé : « Les personnes en formation sont parmi les plus défavorisées. Elles arrivent chez nous lorsqu'il n'y a plus d'autres solutions. Au bout de quatre ou six mois, lorsqu'elles bâtissent un projet et entrent dans un stage de préqualification, c'est déjà beaucoup. » Le centre d'adaptation, quant à lui, essaie de se rapprocher le plus possible du monde du travail. Après une période de production (ramassage et découpage de palettes, restauration...), si la personne semble apte à retrouver un emploi, elle est orientée vers un référent de l'ANPE qui collabore avec le CAVA depuis 1983. Résultats ? Sur 155 personnes reçues au centre en 1997,18 ont retrouvé un emploi à durée déterminée. Les autres sont, la plupart du temps, orientées vers des stages. « Pour les CES, nous réalisons des stages de remise à niveau, même si ce n'est pas cela qui va leur permettre de trouver un travail,  poursuit Bernard Chevreux. Nous avons diversifié nos formations, qui vont jusqu'aux permis de voiture ou de poids-lourds, qui nous semblent plus valorisants qu'une simple remise à niveau. » Le chargé d'insertion est très clair : l'objectif n'est pas de retrouver un travail « normal », ce qui serait utopique. Si la personne parvient à travailler deux mois, ou bien si elle dresse un bilan en matière de logement, de santé et de formation, c'est déjà un résultat.

On le voit bien : la question du sas, du passage par la structure d'insertion, est inséparable de celle des statuts des publics accueillis. Tout le monde est d'accord pour préférer les contrats de travail de droit commun aux statuts particuliers. Il n'empêche : des professionnels font remarquer que certaines personnes ne retrouveront jamais d'emploi et évoquent même la notion de « handicapés sociaux ». Si celle-ci pouvait être inscrite dans la loi,  suggèrent-ils, la puissance publique serait obligée de prendre ses responsabilités et de définir la place qu'elle leur accorde. Avec le risque, répondent leurs adversaires, de stigmatiser un peu plus les personnes en difficulté et de les enfermer dans des « trappes à chômage ».

Clarifier les statuts

Clarifier les statuts est, en tout cas, une nécessité : certaines personnes bénéficient de contrats de droit commun, d'autres multiplient les emplois aidés sans autre perspective, d'autres, enfin, n'ont tout simplement pas de statut alors qu'elles travaillent - dans un CAVA par exemple. Ces dernières relèvent de l'aide sociale à l'hébergement, « qui n'est pas un statut mais instaure une relation tutélaire », rappelle Elisabeth Maurel. Faut-il définir de nouveaux statuts ? « Nous sommes au milieu de la réflexion », estime Yves Garret, président de la FNARS de Franche-Comté. « Et nous ne pouvons pas nous permettre de rater l'échéance de la loi contre les exclusions, actuellement en préparation. La question doit être clairement abordée. Pourquoi ne pas créer un statut spécial qui soit adapté aux besoins des personnes, et qui ouvre un droit à être en activité, ce qui est un peu différent du droit au travail ? »

Elisabeth Maurel juge primordiale cette réflexion sur les statuts : selon elle, les structures d'insertion par l'économique jouent un double rôle. Celui de résistance à la destruction - de la personne, de sa qualification, de ses liens sociaux, etc. - et celui de transformation sociale. « Le monde de l'insertion par l'économique remplit une fonction critique à l'égard de l'entreprise d'aujourd'hui, en expérimentant une économie davantage centrée sur la création d'emplois que sur la création de richesses. Il a également une mission exploratoire dans la recherche de nouveaux produits, de manières innovantes de satisfaire les besoins, de créer des biens collectifs. Enfin, l'insertion par l'économique contribue à la mise en place de nouvelles qualifications et à la transformation de petits boulots en vrais métiers. » Or, poursuit le chercheur, cette fonction de transformation sociale n'est opérante qu'à condition de concevoir des statuts valorisés : « On ne peut pas créer de nouvelles activités, faire en sorte qu'elles soient reconnues socialement et disposer de statuts non intégrateurs. Il faut donc y réfléchir, notamment pour les personnes reçues en CAVA. »

Car aujourd'hui, encore plus qu'hier, les associations sont pratiquement condamnées à générer elles-mêmes de nouvelles activités. Danièle Demoustier, économiste à l'Institut d'économie politique de Paris, rappelle que la création d'emplois n'a jamais relevé uniquement et spontanément du marché : « Nous sommes en train de passer, schématiquement, d'une société industrielle à une société de services. Or les emplois ne se déversent pas directement de l'une à l'autre. Il s'est produit quelque chose d'approchant au XIXe siècle, lors du passage de l'ère agricole à l'ère industrielle : ce fut lent et douloureux. Mais l'Etat et les associations ouvrières ont joué un rôle fondamental. C'est elles qui ont reconstitué du lien au travail. Aujourd'hui, de nouveau, l'Etat et les associations doivent intervenir. » Et l'économiste d'indiquer que l'Etat opère déjà dans la création d'activités, en encourageant, par exemple, les nouvelles technologies. « Dans leur histoire, les entreprises associatives ont également montré qu'elles étaient capables de créer des activités solvables. Les coopératives n'ont-elles pas ouvert la voie à la grande distribution ? » Pour Danièle Demoustier, les structures d'insertion par l'économique concourent au bien-être général en recevant des personnes qui sans elles seraient sans doute écrasées. Certes, les financeurs demandent bien souvent des résultats en termes de retour à l'emploi uniquement. Mais les professionnels, et Danièle Demoustier avec eux, leur opposent la notion d'utilité sociale. « Celle-ci permet de régler les rapports entre les associations et les pouvoirs publics. Reconnaître que les structures d'insertion participent pleinement au bien-être collectif, c'est une façon de les renforcer et de justifier l'aide des pouvoirs publics. »

Anne Ulpat

LOI CONTRE LES EXCLUSIONS : LES PROPOSITIONS DE LA FNARS

 La FNARS souhaite que les centres d'adaptation à la vie active et les ateliers de production en CHRS aient une base législative améliorée et que les personnes qui y travaillent jouissent d'un statut relevant du code du travail.

 Les structures d'insertion par l'activité économique  (SIAE) doivent pouvoir disposer d'un agrément ou d'une habilitation leur permettant d'exercer une ou plusieurs fonctions (production et vente de biens et de services, mise à disposition de personnels, accompagnement social, formation), et bénéficier à ce titre de fonds publics. Les personnes travaillant dans ces SIAE, doivent, elles aussi, relever du code du travail, même si certains ajustements sont nécessaires.

 La FNARS souhaite que les capacités des SIAE soient doublées, pour parvenir, d'ici à trois ans, à 500 000 personnes remises au travail chaque année. Pour ce faire, elle propose la mise en place d'un programme pluriannuel avec des mesures d'exonération fiscale ou de charges sociales, des contrats aidés et des aides directes. Parallèlement, l'Etat doit impulser des « programmes d'actions innovantes » dans deux domaines : la création d'activités répondant à des besoins émergents ou non satisfaits et la création de passerelles avec les employeurs privés et publics du territoire ou se trouvent les SIAE.

 Afin de nouer des relations fortes avec les entrepreneurs publics et privés, des « schémas de coopération locale » doivent être créés dans chaque bassin d'emploi, dans le cadre du comité départemental de l'insertion par l'activité économique.

Notes

(1)  Et dont la préparation suscite certaines inquiétudes au sein des associations - Voir ASH n° 2059 du 20-02-98.

(2)   « Le pari de l'emploi pour tous »  - Organisées les 29 et 30 janvier 1998 à Toulouse - FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 45 23 39 09.

(3)  Dans le cadre du dispositif d'évaluation des politiques publiques - Voir ASH n° 2025 du 30-05-97.

(4)  Concept que la FNARS essaime à travers la France - Voir ASH n° 2020 du 25-04-97.

(5)  Entraide ouvrière : 62, rue George-Sand - 37000 Tours - Tél. 02 47 31 87 00.

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