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La vie en numérique

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Pour beaucoup de handicapés, privés de possibilité de communication, les nouvelles technologies représentent un formidable espoir. A condition de pouvoir se les offrir. Comment les utiliser ? Et, surtout, pour quoi faire ?

« L'ordinateur n'isole pas les personnes handicapées. Au contraire, lorsque l'on communique par des réseaux on se retrouve sur un pied d'égalité avec les autres. Il n'y a plus le problème du corps abîmé. On parle directement d'un intellect à un autre. Le handicap s'efface. Ça rend les contacts plus faciles et surtout moins chers. » Atteinte d'une myopathie qui l'oblige à vivre en fauteuil roulant, Florence Fruton est une professionnelle de l'informatique. Elle travaille, depuis six ans, en tant qu'analyste-programmeur, au conseil général des Yvelines.

Un sésame

Pourtant, pour elle, l'ordinateur représente bien plus qu'un simple outil de travail. Il est devenu la clef, le sésame, de l'ouverture au monde et le moyen d'une véritable intégration sociale. « En ce qui me concerne, on peut dire que l'informatique a révolutionné ma vie dans la mesure où c'est grâce à elle que j'ai du travail. Je suis scientifique de formation. Or, compte tenu de mon handicap, l'enseignement et la recherche étaient exclus. C'est la raison pour laquelle je me suis orientée vers l'informatique où il est possible de concentrer son poste de travail sur quelques centimètres carrés. » Agée de 32 ans et mariée, Florence Fruton ne possède, en effet, qu'une mobilité extrêmement réduite. Ecrire ou taper sur un clavier classique sont, pour elle, des activités très difficiles, voire impossibles. « Je ne dispose que d'une très faible amplitude manuelle, explique-t-elle , qui m'oblige à utiliser un clavier spécial à partir duquel je peux piloter les applications dont j'ai besoin. Il faut dire que j'ai la chance d'avoir un emploi en télétravail. Ce qui me permet de rester chez moi, même si je me rends de temps en temps au conseil général. »

Pour Florence Frutron, comme pour de nombreuses personnes handicapées moteurs ou sensoriels, l'ordinateur et les nouvelles technologies de la communication, au premier rang desquelles Internet, constituent, aujourd'hui, un formidable espoir de pouvoir briser, au moins partiellement, la solitude qui est, trop souvent, leur lot quotidien. Certes, la télévision, la radio, le téléphone ou encore le fax leur offrent déjà des liens avec le monde « ordinaire ». Avec l'avènement du tout-informatique et des réseaux numériques, certains ont désormais la perspective de pouvoir jouer un rôle actif,  éventuellement sur le plan professionnel. Les techniques modernes peuvent également apporter une aide réelle aux très grands invalides, ceux qui se trouvent dans l'incapacité physique de communiquer avec leurs proches. Ainsi, même les personnes atteintes d'un  « locked-in syndrom »  - une affection cérébrale qui provoque une paralysie totale mais laisse intacte les facultés intellectuelles - peuvent utiliser un ordinateur pour communiquer, travailler, jouer... C'est le cas, notamment, de Philippe Vigand qui souffre de cette affection depuis sept ans et a raconté sa douloureuse expérience dans Putain de silence   (1). Un ouvrage écrit, avec l'aide de sa femme, grâce à un ordinateur contrôlé par les mouvements de sa paupière.

L'informatique peut également être utilisée pour la rééducation et la formation des jeunes handicapés. Depuis une dizaine d'années, le centre Saint-Jean-de-Dieu, situé dans le XVe arrondissement de Paris (2), fait figure de pionnier dans ce domaine. 75 jeunes, âgés de 4 à 20 ans, y sont accueillis et scolarisés, en internat ou en hôpital de jour. Parmi eux, des infirmes moteurs cérébraux, des jeunes souffrant de maladies dégénératives ou encore des victimes de traumatismes crâniens ou de poliomyélite. Dans cet établissement, l'ordinateur est d'abord un instrument de rééducation. « Nous utilisons quelques logiciels spécialisés mais surtout des jeux grands publics. Ils sont plus attrayants et permettent de travailler la vision, la manipulation du curseur ou les problèmes d'orientation spatiale », explique Christine Sievez, ergothérapeute. A Saint-Jean-de-Dieu, l'ordinateur représente aussi un formidable outil pour la scolarité. Actuellement, la moitié des élèves ont un clavier à leur disposition. « Il y a dix ans, le tiers des jeunes étaient incapables de la moindre production écrite. Aujourd'hui, grâce à l'informatique, tous sont capables de rendre un devoir écrit, même si, pour certains, la manipulation de l'ordinateur s'avère parfois lente et pénible », poursuit l'ergothérapeute.

Des machines coûteuses

Cependant, constate-t-elle, le passage à l'informatique implique une véritable évolution des pratiques professionnelles. « Actuellement, indique-t-elle, je travaille la moitié de mon temps avec des ordinateurs. Mais nous n'avons pas été formés. Nous sommes donc obligés d'apprendre sur le tas. » Autre problème : le coût des machines, surtout lorsque l'on sait que les ordinateurs deviennent très rapidement obsolètes du fait de l'évolution foudroyante de la puissance des microprocesseurs. Actuellement, le prix d'un ordinateur bas de gamme oscille entre 6 000 F et 10 000 F. Un prix auquel il faut ajouter celui de l'imprimante et des éventuelles adaptations nécessaires. Ce qui explique que les ordinateurs de l'établissement ne soient pas tous de la dernière génération. C'est aussi la principale raison pour laquelle la majorité des jeunes scolarisés à Saint-Jean-de-Dieu ne sont pas équipés d'ordinateurs chez eux. Même si l'établissement parvient, dans certains cas, à obtenir un financement de la sécurité sociale ou des dons à cet effet. Un problème de coût auquel se heurtent d'ailleurs la plupart des handicapés qui souhaitent s'équiper. Enfin, Christine Sievez et ses collègues doivent également prendre en charge l'étude des problèmes d'interface avec la machine. Car si les matériels actuels permettent à la grande majorité des handicapés d'utiliser l'informatique, encore faut-il trouver l'aide technique adaptée à chaque cas. Une fonc- tion de conseil très importante qui est « malheureusement loin d'être suffisante en France et trop souvent abandonnée aux revendeurs qui n'y connaissent pas forcément grand-chose », déplore l'ergothérapeute.

Un marché restreint

Le conseil en équipement informatique pour les personnes handicapées : c'est justement le métier de Véronique Gaudeul, en charge du dossier au Comité national français de liaison pour la réadaptation des handicapés  (CNRH) (3). Celle-ci reçoit régulièrement, et gratuitement, des handicapés ou des professionnels qui souhaitent acquérir un ordinateur. Elle organise également des formations (payantes) pour aider ceux qui sont déjà équipés. Dans ce domaine, sa philosophie est simple. Avant de se lancer dans l'acquisition d'aides techniques souvent coûteuses, il faut essayer de tirer le maximum des produits standards. « Il faut utiliser d'abord le matériel grand public. En général, il est plus au point, moins cher et plus pérenne. En effet, lorsque l'on achète un clavier spécial, on n'est jamais sûr qu'il existera encore dans deux ou trois ans et que l'on pourra le faire réparer ou remplacer », souligne-t-elle. D'ailleurs, quelle que soit la bonne volonté des informaticiens, le développement des systèmes destinés aux personnes handicapées se heurte aux dures réalités de l'économie de marché. « Certaines aides techniques pourraient être développées mais ça n'intéresse pas les fabricants parce que le marché du handicap n'est pas suffisamment vaste. Ou alors il faut que ces produits aient été développés dans de grands pays, aux Etats-Unis par exemple. Autrement, les coûts de conception et de distribution pèsent trop lourdement sur les prix de vente », analyse Véronique Gaudeul. Exemple paradoxal : les systèmes de reconnaissance vocale qui sont de plus en plus utilisés par les handicapés. « Si c'est au point, c'est que ça n'a pas été développé pour des personnes déficientes. Celles-ci ont simplement récupéré cette nouvelle application à leur profit. » Ce dispositif, que l'on trouve aujourd'hui couramment dans le commerce, permet à une personne n'ayant pas l'usage de ses membres supérieurs de piloter un ordinateur et de dicter des textes. Et cela pour un prix abordable : moins de 2 000 F.

Autre enseignement : il existe toujours, techniquement, un moyen d'accéder à l'informatique, quel que soit son handicap. Ainsi, beaucoup de malvoyants et de non-voyants parviennent à utiliser un ordinateur. « Ils peuvent travailler sur une plage spéciale qui retranscrit en braille ce qui se trouve à l'écran. Ils peuvent également utiliser un éditeur vocal qui convertit le texte en mode sonore. L'un de mes collègues travaille de cette façon. Il a un écouteur dans l'oreille et connaît par cœur le clavier avec tous les raccourcis possibles », raconte la conseillère informatique. De même, pour les personnes privées de l'usage de leurs membres, il existe des claviers virtuels, c'est-à-dire affichés directement à l'écran. Ils sont entièrement paramétrables et peuvent être pilotés par de simples contacteurs fonctionnant au souffle, au bruit, par contraction musculaire ou encore par appui d'un membre. Reste que les systèmes les plus simples sont encore les plus efficaces. Pour beaucoup de handicapés, un « guide-doigt » ordinaire demeure la meilleure aide possible. Il s'agit d'un couvercle à trous qui s'adapte au clavier de l'ordinateur. Grâce à lui, les personnes maîtrisant mal leurs gestes évitent de frapper plusieurs touches à la fois. Prix : de 400 F à 1 000 F.

Quoi qu'il en soit, estime Véronique Gaudeul, « en matière d'accès à l'ordinateur, on parle beaucoup des aides techniques, ce qui est un peu rébarbatif, et peut-être pas suffisamment des applications, de ce que l'ordinateur permet. Pour une personne qui a perdu l'usage de la parole, il est extraordinaire de pouvoir écrire ou même téléphoner grâce à une synthèse vocale ». Autrement dit, au-delà de la technique, encore faut-il savoir ce que l'on veut faire avec la machine. Communiquer, lire, jouer, s'informer, apprendre... à chacun son utilisation. Certains, à l'image de Florence Frutron, en ont même fait un instrument d'insertion professionnelle. Néanmoins, préviennent aussitôt les spécialistes, dans le contexte économique actuel, il ne faut pas penser que les personnes handicapées trouveront toutes un emploi grâce à l'ordinateur.

L'avenir vers Internet ?

En réalité, c'est Internet qui semble être le champ le plus prometteur pour l'avenir. De nombreux sites existent déjà, souvent proposés par des associations. On y trouve des informations pratiques, des textes officiels, des ouvrages et des programmes à télécharger, des offres commerciales... Mais c'est surtout en matière d'expression directe que le réseau offre les potentialités les plus intéressantes, qu'il s'agisse des E-mails, des forums de discussions ou encore de la création de sites par les personnes handicapées elles-mêmes. Laurent Lejard, un Marseillais de 38 ans dont la mobilité est extrêmement réduite, a ainsi ouvert son propre site - « Le petit handinaute illustré »  - dédié à « toutes les questions politiquement incorrectes autour du handicap »   (4). On y trouve, notamment, un forum intitulé « Débilise-t-on les handicapés ? », une rubrique critique des sites Internet consacrés au handicap ou encore une page polémique mensuelle. Sujet du mois de février : « Peut-on vivre avec l'allocation aux adultes handicapés ? ». Et a fortiori s'acheter ce type de matériel.

Reste que les nouvelles technologies de la communication ne peuvent combler tous les besoins des handicapés. « Si l'ordinateur facilite les contacts sociaux, il ne comble pas les besoins affectifs. Ça n'est pas la même chose que de vivre avec quelqu'un. Ainsi, je crois qu'il est extrêmement difficile pour une personne handicapée de vivre entièrement seule, même en pratiquant le télétravail. On a quand même besoin de véritables contacts humains », reconnaît Florence Fruton.

Jérôme Vachon

Notes

(1)  Putain de silence - Philippe et Stéphane Vigand - Ed. Carrière - 98 F.

(2)  222, rue Lecourbe - 75015 Paris - Tél. 01 53 68 43 00.

(3)  CNRH : 236 bis, rue de Tolbiac - 75013 Paris - Tél. 01 53 80 66 66.

(4)  www.mygale.org/01/lolo13/

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