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Le bébé, de l'abandon à l'adoption

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Le bébé de l'adoption n'est pas un voyageur sans bagages : il a déjà passé neuf mois avec sa mère de naissance et doit, pour être en mesure d'adopter sa nouvelle famille, commencer par faire le deuil de ses parents d'origine. Comment l'y aide-t-on ? Des spécialistes se sont récemment penchés sur le berceau des enfants abandonnés à la naissance (750 en France en 1996).

Etudiée de près par les ethnologues, la mobilité enfantine revêt des sens différents selon les cultures. Ainsi, alors que dans certaines sociétés le prêt et le don d'enfants sont envisagés de manière très positive, ce n'est pas le cas dans la majorité des pays développés. Considéré comme caractéristique d'un dysfonctionnement familial, l'abandon s'inscrit dans la marginalité et la stigmatisation. Et bien qu'il constitue évidemment un préalable à l'adoption - pratique en revanche valorisée - on s'est peu intéressé, jusqu'à ces dernières années, au vécu des femmes décidées à se séparer de leur enfant à la naissance. Comment les accompagner dans cette démarche, avec le double souci du respect de leur choix et de la prise en considération des besoins de leurs bébés ? Ce questionnement était récemment au cœur d'un colloque organisé par l'association La Cause des bébés et Le Journal des psychologues   (1).

Une femme qui accouche ne se retrouve pas toujours mère du jour au lendemain. « Chez certaines, la maternité est parfois lente à s'installer et celles que nous sentons peu sûres dans leur option maternelle nous inquiètent déjà. On imagine, a fortiori, combien peut être déstabilisant pour les équipes le fait d'être confrontées à des femmes qui émettent, d'emblée, le désir d'abandonner leur bébé », fait observer Francine Dauphin, sage-femme à la maternité de l'Institut mutualiste Montsouris, à Paris. C'est ainsi qu'on peut entendre, se renouvelant à chaque histoire, les mêmes réflexions de professionnels ébranlés : « Comment peut-elle faire cela ? », « Elle va sûrement le reprendre, il est tellement mignon ! », « Mon pauvre bébé, tu n'as vraiment pas de chance... ». Autant de commentaires, s'insurge, dans le public, une travailleuse sociale de l'aide sociale à l'enfance, qui contribuent à provoquer des rétractations de femmes, pourtant venues accoucher avec un projet d'adoption : on aboutit ainsi à des délaissements progressifs et des placements familiaux à vie, c'est-à-dire, en fait, à des abandons déguisés d'enfants inadoptables. Un travail important reste donc à faire en direction des maternités, à l'instar de celui que mène le CHU de Nantes.

Ecouter et accompagner les femmes en difficulté

C'est en 1990, explique Sylvie Babin, assistante sociale de la maternité nantaise, qu'a été créée une consultation pour femmes enceintes en difficulté (2). Unique en son genre, cette structure, ouverte 24 heures sur 24, a été élaborée, conjointement, par les instances sanitaires et sociales du département et le personnel de l'hôpital. « Les années précédentes, explique Sylvie Babin, le département de Loire-Atlantique avait dû faire face à plusieurs situations d'infanticides ou d'expositions d'enfants. De son côté, la maternité du CHU accueillait une dizaine de femmes par an, en situation d'urgence médicale, psychologique et sociale. Ces femmes, qui n'avaient bénéficié d'aucun suivi médical, arrivaient « à complète », souvent même le travail d'expulsion commencé. Elles étaient systématiquement anonymes, accouchaient rapidement et repartaient, aussi vite qu'elles étaient venues, rejoindre leur domicile où parfois les attendaient enfants et mari au courant de rien. » Les responsables de la consultation nantaise constateront néanmoins, assez vite, que la structure mise en place ne répond pas - et ne pourra jamais répondre - à l'objectif d'éviter des infanticides. En effet, commente Sylvie Babin, les femmes qui commettent des infanticides sont dans un état de déni de grossesse grave : la grossesse n'a pas d'exis tence pour elles, et donc l'enfant encore moins. D'autres femmes, en revanche, après une période de déni initial, prennent conscience de leur grossesse vers le quatrième ou le cinquième mois : c'est à ce moment-là qu'elles viennent nous consulter, explique Sophie Marinopoulos, psychologue clinicienne de la maternité (3). « A cette période du suivi, elles ne parlent pas du tout d'abandon, mais de leur ventre. Elles ne quitteront que progressivement l'état d'être enceinte à celui d'attendre un enfant, puis à celui d'attendre un enfant dont elles veulent se séparer pour telle ou telle raison. » C'est à les accompagner dans ce travail de mentalisation que s'emploie l'équipe pluridisciplinaire du CHU, qui a établi, pour ce faire, un protocole allant de la première consultation de la mère à l'accueil de l'enfant en néo-natalogie.

Maîtres d'œuvre de leur projet de séparation d'avec l'enfant, les femmes sont informées de leurs droits et des conséquences de leur choix. La méconnaissance du cadre légal de l'abandon est malheureusement toujours d'actualité, soulignent les intervenantes nantaises :consciente ou non, on est souvent en face d'une désinformation qui conduit les femmes à choisir la procédure dite de l'accouchement sous X, alors que l'anonymat n'est qu'une possibilité, mais nullement la condition nécessaire de l'abandon. L'admission à la maternité, la déclaration du bébé à l'état civil et la signature du procès-verbal de remise de son enfant en vue d'adoption, sont en effet trois étapes distinctes, qu'il convient de ne pas confondre ni fondre en une seule, insiste Sylvie Babin.

Laisser une trace

Ainsi informées, les femmes suivies à la consultation de Nantes - 10 à 12 par an, pour 250 accouchements par mois - utilisent assez régulièrement l'anonymat pour l'accouchement et la déclaration, mais laissent souvent leur identité dans le procès-verbal de remise à l'adoption  or ce document est un élément essentiel puisqu'il constitue le dossier que l'enfant pourra, s'il le souhaite, consulter avec ses parents adoptifs tant qu'il est mineur, puis seul à sa majorité. Sylvia et Thomas, deux étudiants qui se sentent incapables d'assumer un enfant, ont fait ce choix : à son admission à la maternité, Sylvia a conservé l'anonymat, mais ensemble, avec Thomas, ils ont décidé de laisser leur identité dans le procès-verbal, considérant que leur enfant avait le droit de savoir qui sont ses parents biologiques. Néanmoins, quand couple il y a et que le père, au courant de la grossesse en cours, est opposé au projet d'abandon, Sylvie Babin note une grande passivité de sa part :jusqu'à présent, dans ce cas de figure, aucun des pères des enfants dont la mère a été suivie à Nantes n'a concrétisé son opposition en reconnaissant son bébé. Tout se passe, analyse Sylvie Babin, « comme si le refus de la mère d'assumer cet enfant les empêchait, du même coup, d'être père ».

Cet enfant qui n'a pas de place dans l'histoire de cet homme et de cette femme, ensemble ou séparément, est accueilli à la naissance dans le service de néo-natalogie, alors que la mère est hospitalisée en gynécologie. Si elle le désire, elle peut aller voir son bébé et s'en occuper, tant qu'elle n'a pas signé le procès-verbal de remise en vue de son admission en qualité de pupille de l'Etat. Mais une fois la naissance passée, les mères le gardent peu avec elles en salle d'accouchement. Il est alors fait appel à une « référente » volontaire, puéricultrice ou aide-puéricultrice, qui s'occupe de lui tout au long de son séjour. C'est elle qui le prénomme si sa mère de naissance ne le souhaite pas. C'est elle aussi qui récolte les petites anecdotes de ses premiers jours et le prend en photos pour permettre la confection de son album. Celui-ci, accompagné d'une enveloppe cachetée intitulée : « Ton histoire », sera ensuite remis à la famille adoptive. Materné par la puéricultrice, le bébé est informé des décisions le concernant par l'assistante sociale, cependant que la psychologue lui explique l'origine de son abandon. Si le bébé ne comprend pas le langage au sens strict du terme, « il est compétent pour l'assimiler dans sa dimension émotionnelle, déclare Sophie Marinopoulos. Eviter le non-dit, c'est éviter une faille dans le processus de symbolisation, faille qui pourrait s'exprimer par des symptômes ». Ces symptômes, fera d'ailleurs observer Caroline Eliacheff, psychanalyste et pédopsychiatre qui travaille notamment avec les tout-petits de la pouponnière d'Antony (Hauts-de-Seine), ne seront pas les mêmes selon que leur mère de naissance aura ou pas regardé son bébé et lui aura ou pas parlé. L'absence de ce premier contact avec sa mère ou ses parents d'origine a vraiment quelque chose d'indélébile pour un enfant, souligne-t-elle.

Le travail du deuil

De cette importance de la parole très tôt dite à l'enfant - une véritable « urgence du dire », selon l'expression de Catherine Dolto-Tolitch, haptothérapeute - Myriam Szejer témoigne aussi avec force. C'est pourquoi, souligne la psychanalyste de la maternité Antoine-Béclère, à Clamart (Hauts-de-Seine), « lorsque les parents de naissance ne peuvent pas remplir la fonction de pourvoyeurs de paroles structurantes, d'autres doivent s'en charger ». C'est ce rôle de messager que Myriam Szejer s'est assigné, pour que l'enfant puisse prendre sa place dans cette histoire très particulière, qui le précède et le traverse. Et si secret il y a, on le pointe à l'enfant en lui expliquant que celui-ci a été voulu par sa mère, car « demander à un enfant de se structurer sur du non-dit, c'est lui demander de rayer une partie de lui-même ».

Donner un maximum d'informations aux enfants

Quand on leur restitue leur histoire et les projets qu'on a pour eux, on constate alors que les bébés abandonnés, avides de ces paroles, renoncent à leurs symptômes. Parce que plus tard, les adultes adoptés demanderont avec la même avidité à consulter leur dossier, Geneviève Delaisi, psychanalyste dans le service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, insiste également sur l'importance de laisser un maximum d'informations, aux enfants, sur leurs débuts dans l'existence. Ils auront en effet souvent une envie très forte de connaître les circonstances qui ont conduit leur mère - et peut-être leur père - à les laisser à d'autres parents. Plus que le « qui » d'ailleurs, c'est le « pourquoi » m'a-t-on abandonné qui est essentiel, parce qu'on ne peut pas faire son deuil de « rien »  : celui-ci ne pourra avoir lieu que sur une élaboration à partir de traces réelles, mais précisément, encore faut-il qu'il y en ait.

Dans le respect de son histoire, le bébé de l'une pourra alors devenir le bébé de l'autre. Car si personne ne songe à nier qu'abandon et adoption ont partie liée, il reste à savoir englober ces histoires de filiation d'un même regard, sans chercher à gommer les parents de naissance comme s'ils n'avaient jamais existé. Si la cause des bébés devient la pierre angulaire de la réflexion, on pourra peut-être alors, comme y invite Geneviève Delaisi, repenser les notions de multiparentalité ou de parentalités additionnelles.

Caroline Helfter

Notes

(1)   « Le bébé face à l'abandon, le bébé face à l'adoption », les 24 et 25 janvier à Montrouge - La Cause des bébés : 23, rue Gutenberg- 92120 Montrouge. Les actes de ce colloque seront édités à l'automne par les éditions Odile Jacob.

(2)  Centre de planification - Hôpital mère-enfant : 7, quai Moncousu - 44093 Nantes cedex 1 - Tél. 02 40 08 30 32.

(3)  Auteur de l'ouvrage De l'une à l'autre. De la grossesse à l'abandon - Ed. Hommes et Perspectives - 1997 -145 F. Voir ASH n° 2047 du 28-11-97.

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