Recevoir la newsletter

Hébergement des mineurs délinquants : les UEER sinon rien ?

Article réservé aux abonnés

C'est dans un contexte de mobilisation politique autour des violences urbaines qu'a été dévoilé le rapport de la mission d'inspection « sur les unités à encadrement éducatif renforcé (UEER) et leur apport à l'hébergement des mineurs délinquants » . Un document qui, s'il a le mérite de poser certaines questions, fait la part belle aux UEER tout en critiquant sévèrement la fonction hébergement au sein de la protection judiciaire de la jeunesse. Reste à savoir s'il fait réellement avancer le débat sur la justice des mineurs.

Crise de la fonction hébergement, désarroi des professionnels, difficultés d'adaptation, rigidités internes... Les six inspecteurs généraux (affaires sociales, intérieur et justice) qui ont remis leur rapport, il y a quelques jours, à leurs ministres respectifs, n'ont pas mâché leurs mots pour qualifier la situation dans laquelle se trouve, selon eux, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qu'il s'agisse du fonctionnement des foyers ou de l'organisation proprement dite de la direction. « Les UEER, porteuses de nouvelles approches éducatives, ont mis en lumière le désarroi des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse face à ces jeunes délinquants, sans repère ni perspective, réfractaires à tout message, imprévisibles et souvent violents, qui mettent régulièrement en difficulté les établissements où on les place », affirment-ils notamment.

Tollé syndical

Une analyse qui a aussitôt mis le feu aux poudres syndicales. « Les professionnels de la PJJ ne peuvent qu'exprimer leur colère devant un rapport rédigé sans connaissance de la réalité de leur travail », proteste le Syndicat national des personnels de l'éducation surveillée-PJJ-FSU. « Il est faux de dire que les foyers sont inaptes. Nombre d'entre eux prennent en charge des mineurs en grande difficulté, en alternative à l'incarcération, en urgence », poursuit-il, dénonçant « la conception simpliste de l'action éducative » à la base de la création des UEER et déplorant « l'incapacité de la direction à élaborer des orientations claires et à définir des modes de prise en charge » adaptés aux problématiques actuelles. Une réaction proche de celle de la CFDT Justice-branche PJJ pour qui la PJJ « a souffert pendant plusieurs années de suite d'une absence de politique ». Quant au rapport, estime-t-elle, « il ne révèle en rien la réalité du travail effectué par l'ensemble de la profession qui, au quotidien, avec des moyens très précaires, prend en charge des jeunes exclus de tout dispositif de droit commun ». Au Syndicat de la protection judiciaire-FEN-UNSA, on considère, en revanche, qu'il s'agit d'un « rapport sévère qu'il faut prendre au sérieux » et qui doit contribuer à « des réformes nécessaires ». Sachant que cela « ne saurait annuler les efforts déployés pour accompagner le très grand nombre de mineurs et jeunes majeurs confiés » à la PJJ. « S'il est exact que la prise en charge des mineurs délinquants pose de réelles difficultés, auxquelles la PJJ, comme d'ailleurs l'ensemble des intervenants (milieu scolaire, prévention, justice, santé, police), ne peut apporter de réponse miracle, il importe de privilégier une approche et une réflexion constructives associant l'ensemble des professionnels », affirment enfin, dans un communiqué commun, une dizaine d'organisations syndicales et professionnelles du secteur de la justice et du travail social. Face à ce tir de barrage, Elisabeth Guigou s'est empressée d'indiquer que si ce rapport est « sévère mais intéressant », il ne constitue qu'  « un moment dans la réflexion engagée » sur la PJJ. Il « montre qu'un suivi individuel intensifié est nécessaire pour les mineurs multirécidivistes avec un éducateur référent pour chaque jeune », a-t-elle précisé . Au demeurant, a ajouté la ministre de la Justice, il ne s'agit « certainement pas de stigmatiser les éducateurs. Rien ne se fera sans eux. » En outre, a-t-elle rappelé, une mission interministérielle est en cours sur la justice des mineurs, dont les conclusions sont attendues pour le 31 mars (1). Elle devrait notamment, à la demande de la ministre, approfondir l'analyse sur les modes d'hébergement PJJ, réfléchir à une meilleure articulation avec les conseils généraux et définir des outils statistiques et d'analyse comparative sur la délinquance des jeunes.

Pour sa part, la mission d'inspection était chargée d'effectuer « une étude comparée de l'hébergement [des mineurs délinquants en grande difficulté] dans les UEER et dans les foyers d'action éducative (FAE)  »   (2). Après le rapport d'évaluation, remis en octobre à Elisabeth Guigou (3), elle devait ainsi contribuer à la réflexion « sur le devenir des UEER » et présenter des propositions pour la prise en charge « des mineurs en situation de rupture ». Premier constat : en dépit de multiples difficultés, « l'expérience des UEER a représenté une réelle avancée », estiment les inspecteurs. Pourtant, rappellent-ils, les difficultés n'ont pas manqué lors de la création de ces structures nées en 1996 (4). Résultat : les UEER « ont été, dès l'origine, perçues par un grand nombre de professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse comme une réponse plus répressive qu'éducative, mettant en cause les fondements mêmes de leur mission et de leur métier, et dont la création ponctionnait de surcroît des moyens susceptibles d'être mieux utilisés ailleurs ». Une réaction « qui s'est rapidement muée en une véritable fronde ». Et ce, d'autant plus que le dispositif, « mis en place dans la précipitation », demeurait flou au niveau des principes et faisait l'objet « d'un suivi désordonné ». Le rapport relève ainsi que les processus de validation des projets « n'ont eu ni la cohérence ni la constance nécessaires ». Sans compter que ce nouveau système a été  « dans l'ensemble, mal accueilli par le monde judiciaire » et  « mal inséré dans le tissu social et administratif de droit commun ».

Néanmoins, considèrent les inspecteurs, le bilan de cette première expérimentation apparaît « quantitativement marginal mais qualitativement significatif ». Il est vrai qu'avec 17 UEER ouvertes sur 50 prévues, le nombre d'unités créées est resté « en deçà des objectifs initiaux ». De même, « la carte des implantations souffre d'un manque de cohérence ». Quant aux jeunes accueillis, si « leur profil correspond bien à la vocation affichée des UEER », leur nombre « apparaît dérisoire au regard des besoins supposés ». Fin octobre 1997, un total de 214 jeunes avait été pris en charge pour une durée moyenne de séjour d'environ 69 jours et un coût annuel par place (jugé « élevé » par les inspecteurs) de l'ordre de 305 000 F. « Malgré tout, estiment les inspecteurs, les UEER ont révélé des enseignements et des promesses ». En premier lieu, assurent-ils, « cette expérience a confirmé la pertinence des formules de prise en charge intensive et individualisée pour les jeunes les plus gravement déstructurés ». L'autre qualité du dispositif est d'avoir «  redonné la priorité au projet sur la structure ». Et s'il est un peu tôt pour tirer des enseignements définitifs, les premiers résultats ne sont pas négligeables, observent les auteurs du rapport, évoquant « l'effet incontestable et positif » du passage en UEER pour certains jeunes. Enfin, soulignent-ils, cette expérience « aura constitué un choc salutaire » pour l'ensemble de la PJJ.

L'hébergement « en crise »

Car, pour eux, les UEER sont « un révélateur des carences institutionnelles » de la PJJ et, plus généralement, de l'ensemble de la justice des mineurs. Ainsi, l'hébergement est « une fonction en crise » à la DPJJ, affirment les inspecteurs, soulignant la désaffection grandissante des éducateurs pour le travail en foyer. Avec deux conséquences majeures : les foyers « perdent peu à peu leurs éducateurs les plus expérimentés » alors que « l'ensemble des personnels d'hébergement paraissent touchés par une grave crise de confiance et de motivation ». Une situation qui, à en croire le rapport, « masque une crise de la pratique professionnelle » liée à l'importance croissante accordée à l'insertion des jeunes dans le milieu de vie ordinaire. Résultat : ceux-ci passent beaucoup de temps hors du foyer et leurs rapports avec les éducateurs « ont alors peu à peu perdu de leur intensité, de leur étroitesse, de leur complicité et, en fin de compte, de leur richesse d'échanges ». Pour les rapporteurs, certains foyers sont même devenus des lieux de « distribution de services et de repas, de repos et de loisirs ». Avec, à la clef, « une déperdition accélérée des savoir-faire élémentaires ». Il en résulterait ainsi une « inadaptation globale de l'hébergement traditionnel aux cas des mineurs les plus déstruc- turés », alors que celui-ci « reste un point de passage irremplaçable » pour un grand nombre de jeunes en danger. Certes, reconnaissent les inspecteurs, « la prise en charge des mineurs délinquants est une 6mission très difficile et relève parfois de l'impossible tant certains jeunes sont ancrés dans l'asocialité », mais c'est bien pour cette raison « qu'elle mérite la mise en œuvre de techniques appropriées et d'une organisation adaptée ».

Autant de critiques qui sont évidemment très mal reçues par les professionnels. Comment, en effet, leur reprocher de pousser les jeunes à utiliser les structures de droit commun alors que c'est justement ce type de pratiques qu'on leur a demandé de développer durant des années ? Par ailleurs, même si certains reconnaissent qu'il existe effectivement un malaise au sein de la PJJ autour du travail en foyer, les UEER ne leur semblent pas résoudre les problèmes spécifiques que posent la prise en charge des jeunes les plus difficiles. En outre, pourquoi les éducateurs seraient-ils tenus de réussir là où la famille, l'école, la police ou encore les services de santé se sont montrés impuissants ?C'est-à-dire à canaliser des adolescents de plus en plus durs, pris dans une délinquance d'exclusion où les règles de la vie en société n'ont plus de sens. Sans compter les effets dommageables des gels de postes et de budgets dont a souffert la DPJJ plusieurs années durant, rappellent les responsables syndicaux. Des objections qui, cependant, ne sont pas toujours contradictoires avec les conclusions des rapporteurs. En effet, concèdent ces derniers, « on ne peut exiger des seuls services de la PJJ qu'ils puissent combler toutes les carences éducatives voire affectives, créer un lien social là où il n'existe plus, prodiguer des soins qui n'ont jamais été dispensés, donner une formation, trouver un travail et empêcher les délinquants de récidiver ».

Reste que, pour eux, le malaise du secteur de l'hébergement n'en apparaît pas moins comme « emblématique des rigidités internes de la PJJ ». « Dès qu'une mesure suppose une intervention à grande échelle, la DPJJ paraît en difficulté pour aller au bout de ses intentions, faute de moyens suffisants, faute d'être capable de vaincre ses inerties internes et faute d'avoir hiérarchisé ses priorités », martèlent les inspecteurs. Selon eux, cette direction souffre, en particulier, de la disproportion entre l'étendue de ses missions et les moyens dont elle dispose, de la faiblesse traditionnelle de ses échelons intermédiaires et d'une « gestion trop spécifique des ressources humaines ». Dans leur collimateur : le diplôme délivré aux éducateurs PJJ, jugé trop « spécifique » et ne facilitant pas la mobilité professionnelle. Autre objet de leurs critiques : la culture collective de la PJJ « mélange d'hermétisme à l'autorité hiérarchique et de défense acharnée des intérêts catégoriels ». Mais « sans doute puise-t-elle ses racines dans cette ambivalence fondamentale d'un métier écartelé entre la noblesse de la mission et l'âpreté du quotidien professionnel », cherche à nuancer le rapport.

La justice des mineurs épinglée

Plus généralement, c'est l'ensemble des acteurs de la justice des mineurs qui se trouve épinglé. Avec, en tête, les juges pour enfants auxquels on reproche leur désintérêt pour la procédure pénale au profit de l'assistance éducative - ce que conteste d'ailleurs certaines organisations professionnelles - et « l'ambiguïté de leur position » sur la sanction. Ce qui contribuerait à « un manque de lisibilité des réponses judiciaires à l'acte de délinquance ». De même, les juges pour enfants auraient du mal à trouver le juste équilibre entre leur indépendance juridictionnelle et leur implication dans la mise en œuvre des politiques publiques. A cela s'ajouteraient les reproches classiques sur la justice des mineurs : délais de jugement trop longs, incohérence apparente des décisions et non-exécution de nombre d'entre elles. « On constate en définitive que c'est le problème de l'applicabilité même de l'ordonnance de 45 et de ses principes qui est posé », écrivent les rapporteurs, précisant, toutefois, qu'il y a lieu de préserver les principes de spécialisation des magistrats et de priorité éducative. De plus, ajoutent-ils, l'incarcération des mineurs est « à réformer totalement » tandis que les services de police et de gendarmerie, l'institution scolaire et le secteur de la santé mentale doivent, eux aussi, faire des efforts d'adaptation afin d'éviter « des modes d'intervention trop souvent cloisonnés et stéréotypés ».

Au final, les inspecteurs présentent une liste de 20 propositions qui s'articulent autour de trois axes prioritaires. Il s'agit, en premier lieu, d' « étendre, sous une forme renouvelée, la formule de l'encadrement éducatif renforcé ». Deuxième idée : « mieux adapter les dispositifs judiciaires et éducatifs aux formes aiguës de délinquance juvénile ». Et il est recommandé de « mobiliser l'ensemble des institutions et de coordonner leurs interventions ». Reste à savoir quel est l'intérêt d'un tel rapport à l'heure où certains plaident, à nouveau, en faveur d'une répression accrue à l'égard des mineurs délinquants. « C'est voir les choses par le petit bout de la lorgnette », répond le magistrat Denis Salas, déplorant que l'on ait tiré un jugement général et négatif sur la PJJ à partir de la seule expérience des UEER et d'une analyse sommaire du système d'hébergement. En outre, rappelle-t-il, la PJJ ne fait pas que de l'hébergement et a développé de nombreuses initiatives, ces dernières années, notamment autour de la médiation et de la réparation. En conclusion, pour le magistrat, « ce rapport ne constitue pas le bon moyen d'aborder la question de la justice des mineurs. Le problème est infiniment plus vaste. »

Jérôme Vachon

Notes

(1)  Voir ASH n° 2047 du 28-11-97.

(2)  La mission a étudié les 14 UEER en fonctionnement lors de son enquête et rencontré les équipes de 15 foyers d'hébergement des secteurs public et privé habilité. Elle s'est également rendue à la maison d'arrêt de Loos-les-Lille et elle a entendu l'ensemble des directeurs régionaux de la PJJ ainsi que les organisations syndicales représentatives.

(3)  Voir ASH n° 2048 du 5-12-97 et n° 2040 du 10-10-97.

(4)  Voir ASH n° 1969 du 5-04-96.

L'ÉVÉNEMENT

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur