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Quelles pistes pour demain ?

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Quelle action sociale ? La question revient comme une ritournelle. Mais entrevoir aujourd'hui des pistes claires devient plus que jamais nécessaire au moment où les chômeurs mettent à plat les limites flagrantes des systèmes d'aide et de solidarité.

Deuil de la société salariale de plein emploi et projets de loi successifs contre l'exclusion. L'heure est à la prise de conscience de l'ampleur des mutations. Et c'est aujourd'hui aux personnes privées d'emploi de porter sur le devant de la scène des questions qui taraudent l'action sociale depuis 20 ans. Depuis que les réponses issues des trente glorieuses sont devenues totalement inadaptées.

Tenter un bilan, mais aussi cerner « pistes et défis pour entrer dans le XXIe siècle », tel était l'objectif du dernier colloque organisé par le CIAS français (1). A la question : « Quelle action sociale territorialisée à la veille de l'an 2000 ? », les réponses empruntant trop fidèlement à une « pensée unique du social et de l'intervention sociale » ont trouvé contradicteurs. Difficile cependant pour les participants de se projeter au-delà des constats ou des solutions déjà entendues. Hormis les débats autour de la nécessité ou non de renforcer la territorialisation - mais celle-ci peut-elle faire office d'unique projet pour l'action sociale ? - les pistes permettant de guider à moyen et long terme les cadres et les pratiques restent encore à inventer.

53 millions de pauvres en Europe

Il y a 25 ans, l'action sociale consistait à aider des cas marginaux - oubliés de la croissance, inadaptés mentaux ou sociaux - à grimper dans un train qui, en gros, passait tous les matins. Aujourd'hui ? En fait, on ne sait plus très bien si le train est bondé, s'il passe encore, s'il va vraiment quelque part, si le but doit être de le prendre ou de s'aménager une vie sur le quai. Le constat n'est pas neuf, mais peut-être n'est-il pas inutile de rappeler, au moment où les exclus du travail s'organisent pour se faire entendre, que la France compte 3 millions de chômeurs, entre 6 et 10 millions de pauvres (selon les sources et les critères retenus), et une personne sur dix touchée par les minima sociaux. En Europe, on recense 18 millions de chômeurs et 53 millions de pauvres. Des drames humains froidement répertoriés sous les appellations de « nouvelle question sociale » ou d'exclusion, l'action sociale ayant pour mission de réduire la fracture sociale et d'intégrer. Et si ces concepts, posant la problématique en termes d'in/out, ne faisaient qu'en masquer une autre considérée par certains comme dépassée : celle des inégalités, s'interroge Henri Noguès, professeur d'économie à l'université de Nantes ? C'est bien d'ailleurs une autre répartition des richesses, et non seulement une intégration sociale, qu'exprime le mouvement des chômeurs. « Les deux questions sociales se cumulent et s'interpénètrent. Elles ne se remplacent pas... Impossible donc de régler l'une en oubliant de porter remède à l'autre », précise Henri Noguès, dénonçant « une pensée unique qui consiste à croire qu'il n'existe que la voie américaine de sortie de crise avec réduction du chômage au prix de l'inégalité croissante et de l'abandon de la cohésion sociale ». L'exclusion, mot dont les travailleurs sociaux se sont prestement emparés, est aussi « une catégorie construite, non neutre », rappelle Michel Chauvière, directeur de recherches sur les politiques sociales au CNRS.

Mais au-delà des concepts, comment assure-t-on la survie ? C'est à cette question très concrète et angoissante que sont confrontés de plus en plus aujourd'hui les travailleurs sociaux. Dans quelle mesure le RMI et les minima sociaux, conçus à l'origine comme des solutions plus acceptables que le recours à l'assistance, sont-ils adaptés à la précarisation massive d'une partie grandissante de la population ? Devenant, de fait, des revenus permanents et dérisoires, les minima sociaux sont-ils encore des solutions acceptables ? Le fait de faire valoir un droit constituait notamment l'un des progrès du RMI. Il a aujourd'hui ses limites : le droit supposé qui permet de faire l'avance du revenu minimum ou du fonds d'aide aux jeunes  (FAJ) pendant la période de carence ainsi que les procédures d'urgence ne sont que trop rarement utilisés. Résultat, témoignait un groupe de travailleurs sociaux, « les personnes retombent, en attendant, dans un système d'assistance (aides financières ou en nature des CCAS) dont les minima sociaux étaient censés les préserver ». Un peu partout, dans certaines CAF, dans certains départements, la mise en place de guichets avancés, d'informations pour l'accès au droit, d'un imprimé unique pour les aides financières (Haute-Garonne), parfois d'allocations substitutives d'attente, tentent de répondre à l'urgence. Autres effets du nombre : « des critères qui deviennent draconiens pour le FAJ », explique une représentante du département des Yvelines, et une utilisation que l'on peut juger abusive des projets et autres contrats : « que fait-on d'autre que de filtrer les demandes quand on exige un projet aux personnes pour obtenir l'ASS ? », demande une assistante sociale du Nord. Ce sont enfin les dysfonctionnements (effets de seuil, définitions disparates) qui deviennent plus visibles et moins tolérables face à l'installation de la précarité. Plus ou moins tacitement, parfois ouvertement comme en Haute-Vienne, se développe par exemple une pratique de maintien dans le dispositif du RMI afin de prolonger le bénéfice du statut (santé, droits annexes), lors de courts contrats à durée déterminée ou de contrats emploi-solidarité et d'éviter la réinstruction du dossier. Enfin, dans certains cas, lorsque visiblement la société n'a rien à offrir, il n'est pas possible de demander un engagement dans le I du RMI. Lequel, avec l'accord de la personne, devient un RME, un revenu d'existence. Ce qui d'ailleurs détourne le dispositif de ses intentions initiales.

Le travail social est de plus en plus écartelé entre la gestion de l'urgence pour une population croissante et la nécessité de « se poser » pour redéfinir ses concepts et ses missions. Et sortir de la fameuse crise (terme quelque peu vidé de son sens à force d'être utilisé) qu'il connaît depuis des années. Faut-il d'ailleurs considérer celle-ci comme « salutaire » ainsi que l'invite le philosophe Saül Karsz ? « Ce qui est en crise c'est ce que l'on croyait que le travail social était. La différence avec il y a 20 ans c'est qu'aujourd'hui on ne peut plus éluder la question de l'efficacité et du sens du travail... c'est plutôt bien non ? » lâche-t-il ainsi, non sans une pointe d'humour.

Une proximité idéalisée

Quoi qu'il en soit, devant les incertitudes actuelles face à l'avenir, une chose est sûre, c'est le mouvement de localisation et de territorialisation des pratiques. Lesquelles sont vouées à être des axes majeurs de recomposition de l'intervention sociale. En effet, après la décentralisation, le retour au local impulsé depuis le début des années 80 « semble mettre fin définitivement au mouvement ascendant vers l'Etat qui avait vu la création de l'Etat providence », constate Henri Noguès. Malgré un tableau qui est loin d'être rose, l'action sociale de proximité, définie par les collectivités locales, semble être devenue le credo. Avec la liste bien connue maintenant des dysfonctionnements de la décentralisation (empilement des dispositifs, taille critique des petites communes...) que n'a pas manqué de rappeler Pierre Gauthier, directeur de l'action sociale. Et celui-ci de mettre en garde contre « la tentation d'appeler l'Etat à la rescousse pour sa fonction technique de synthèse et de mise en cohérence » et de souligner qu' « il n'y a pas de fatalité à ce que ce soit l'Etat qui assume ce rôle ». C'est d'ailleurs dans cette direction qu'invite à aller Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des maires de France, en définissant une action sociale qui serait « locale par définition ». Lequel, à partir du rapport Cohésion sociale et territoire du groupe de travail du Plan qu'il a présidé (2), propose une « rénovation avant tout culturelle » de l'action publique et suggère que l'Etat, garant de la cohésion sociale, vienne appuyer les initiatives des élus locaux en faisant « le pari de la confiance ». Attention néanmoins à ce que l'Etat, en tant que « porteur de sens social », ne soit pas « définitivement délégitimé » en se centrant sur une fonction d'accompagnement, avertit Michel Chauvière. Car, selon cette thèse, le local doit pouvoir devenir un lieu de refondation des valeurs. Mais que fait-on alors de l'Etat Nation ? A quel niveau de territoire fonde- t-on la citoyenneté et la cohésion sociale ?

En outre, quelle pertinence y a-t-il en effet à définir toujours au plus petit niveau certaines politiques et leur financement alors que le marché, l'économie joue sur des terrains de plus en plus larges, s'interroge Henri Noguès ? La question mérite au moins d'être posée, souligne-t-il, pour ne pas tomber dans une idéologie de la gestion locale, dans la fausse évidence de la proximité « qui consiste à croire que le retour au local, c'est forcément bien ».

Cette gestion au plus près pose de plus, de manière très concrète, la question de l'égalité d'accès aux services sociaux et donc de la cohésion sociale. Par exemple, les disparités « flagrantes » entre les départements dans l'accueil des personnes âgées qu'ont tenu à évoquer certains travailleurs sociaux, lors de ce colloque. « Qu'en est-il du contrôle des services dans les départements et les communes quand l'IGAS n'a pas mission d'y aller ? L'Etat est-il garant de l'égalité ? » s'interroge finalement Daniel Loirat, directeur départemental des affaires sanitaires et sociales de l'Essonne.

Influences européennes

Faut-il alors espérer que l'Europe contribuera à la mise en concordance et en synergie des territoires ? Une Europe de l'action sociale qui serait porteuse de projets, de nouveaux credo ? Jusqu'à présent à vrai dire, celle-ci apparaît davantage comme un espace plutôt virtuel et opaque, constitué de sigles et de programmes peu dotés (Helios pour les handicapés), voire laissés en jachère comme le programme Pauvreté (55 millions d'écus depuis 1989) abandonné depuis 1994. Seul le Fonds social européen, avec une réelle existence budgétaire, sort du lot. Mais la confidentialité et la lourdeur des procédures demeurent. Le principe de subsidiarité jouant à plein, le domaine de l'action sociale n'est, en fait, pas une compétence reconnue de l'Europe. Indifférence d'ailleurs que les travailleurs sociaux lui rendent bien, tant est faible, apparemment, son influence sur leur vie professionnelle. Plus pour très longtemps... peut-être. Non pas que, subitement, l'Union européenne se soit entichée du social. Mais, explique Pierrre Gauthier, « les politiques communautaires en matière de concurrence vont avoir des incidences directes sur les marchés entre les collectivités locales et leurs sous-traitants. Cela signifie l'arrivée du secteur marchand dans le social : dans les domaines de la formation, de l'hébergement des personnes âgées, de l'aide à domicile, pour l'instant, dans d'autres bientôt. » Persuadé d'ailleurs que le système associatif allemand d'action sociale va éclater sous la pression du marché, Dirk Jarre (CIAS allemand) souligne ainsi l'enjeu de « l'émergence d'un droit social européen qui corresponde à la globalisation économique, qui la corrige et en empêche les effets néfastes ». Et nul doute, qu'avec ou sans programmes européens, l'un des plus puissants moteurs de transformation de l'action sociale dans les prochaines années sera probablement le marché.

Valérie Larmignat

Notes

(1)  Les 6 et 7 novembre 1997 à Paris - Comité français de service social et d'action sociale : 5,  rue Las-Cases - 75007 Paris - Tél. 01 47 05 37 37.

(2)  Voir ASH n° 2040 du 10-10-97.

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