De quels moyens les patients hospitalisés disposent-ils pour faire respecter leurs droits ? Le moins que l'on puisse dire c'est, qu'en la matière, les textes ne manquent pas : chartes du patient hospitalisé, en 1974 et en 1995, loi hospitalière de 1991, ordonnances Juppé de 1996... Sur le papier, le patient est bien au cœur de la prise en charge. Libre choix de l'hôpital et du médecin, accès aux renseignements -confidentiels par ailleurs - contenus dans son dossier médical, livret d'accueil et charte du patient délivrés à son entrée à l'hôpital, représentation élargie au sein des conseils d'administration des établissements de santé...
Mais les textes auraient-ils une longueur d'avance sur les mentalités ? On serait tenté de le croire tant, dans les faits, le respect des droits des patients se heurte encore à bon nombre de difficultés. Elles peuvent être d'ordre technique, mais elles sont aussi culturelles. Cela se vérifie d'autant plus dans les services de psychiatrie où, « jusqu'à un passé récent, les violences, les mauvais traitements et les humiliations étaient monnaie courante », soulignait Jacques Houver, cadre socio-éducatif au centre hospitalier Le Vinatier à Bron (Rhône), lors des XIIe journées nationales du service social en psychiatrie (1).
Accepter que le malade passe du statut d'aliéné à celui de citoyen implique de vrais bouleversements au sein de l'hôpital. Car « si la place de l'usager évolue, celle des professionnels évolue aussi », remarque une assistante sociale en service de psychiatrie.
Les temps changent cependant. Des associations d'usagers voient le jour et viennent en aide aux patients de la psychiatrie. Leurs missions vont du soutien du malade lors de son entrée et de sa sortie de l'hôpital, aux visites pendant le temps de l'hospitalisation, jusqu'à la défense de ses droits. « Notre mouvement est encore récent donc fragile », explique Jean-Michel Cahn, président de la Fédération nationale des associations de patients et ex-patients en psychiatrie (Fnap-psy) (2). « Nous devons encore nous faire connaître et nous comptons beaucoup sur les assistantes sociales pour cela, car ce sont elles qui nous envoient nos futurs adhérents. Les psychiatres et les infirmières semblent beaucoup moins intéressés. »
En effet, en étant hors de la dimension du soin, l'assistante sociale inspire davantage confiance. Et ce, d'autant plus que son action consiste à faciliter l'accès aux droits du patient et sa réinsertion dans le tissu social. Ce sont même parfois les assistantes sociales qui créent elles-mêmes des associations d'usagers.
Ainsi, à l'hôpital Esquirol, à Saint-Maurice (Val-de-Marne), Sarah Saragoussi, responsable du service social, a été chargée par le directeur de l'établissement de réactiver « la commission des conditions de vie des patients » qui montrait quelques signes d'essoufflement. Celle-ci était composée à l'origine des membres de la direction, de deux médecins chefs de secteur, de représentants du personnel soignant et des usagers (Fnap-psy et Unafam). « L'idée était de considérer le patient comme un client ou un consommateur. La commission a débouché sur la création d'un salon de coiffure, d'une cafétéria et d'une réflexion sur les repas. Mais elle a très vite tourné en rond », explique la responsable. Aussi, pour relancer la dynamique, celle-ci rencontre-t-elle tous les chefs de service, qui ne cachent pas leurs résistances : « Ils acceptaient mal l'idée d'être jugés par les patients. De plus, certains membres du personnel pensaient que la direction allaient se servir des patients pour jouer contre eux. » Une association d'usagers, Esqui, a finalement vu le jour en 1995. Sarah Saragoussi assiste à toutes les réunions, mais elle n'est pas membre du conseil d'administration. Son rôle : informer les patients sur leurs droits, l'AAH, les mesures de tutelle, élaborer des fiches techniques, indiquer les lieux d'information, etc. « En fait, les membres de l'association expriment avant tout un besoin de respect et évoquent l'hospitalisation sous contrainte, la restriction des libertés, le tutoiement comme de véritables agressions. »
Aujourd'hui, la responsable du service social tire un bilan positif de cette expérience, à condition toutefois d'en entretenir la flamme. « C'est fructueux pour tout le monde, y compris pour les assistantes sociales, qui comprennent mieux désormais quelle est la nature des demandes émanant des patients. Désormais, chacun doit prendre l'habitude de rendre des comptes. C'est une révolution. »
Assistante sociale elle aussi, Martine Sola est à l'origine d'une autre forme d'association, qui ne remporte pas forcément l'adhésion de ses collègues. S'inspirant des pratiques anglo-saxonnes sur « les tiers médiateurs », elle a créé Advocacy France (3). Objectif : ne pas s'exprimer à la place du malade, mais lui servir de porte-voix. Avec toute la difficulté que cela représente : comment parler au nom de quelqu'un sans lui confisquer la parole ? « Notre association, composée d'usagers, de professionnels et de bénévoles, est née très vite, trop vite peut-être, admet Martine Sola. Nous n'avons pas encore fait le tour de toutes les questions d'ordre déontologique qui risquent de se poser à nous. Cela dit, en France, la notion de médiateur n'est pas encore entrée dans les mœurs. » Depuis environ un an qu'elle existe, Advocacy France a reçu neuf demandes de patients : l'un souhaitait la levée d'une mesure d'hospitalisation d'office, l'autre craignait d'être placé sous tutelle, un troisième cherchait une famille d'accueil et pensait que l'équipe professionnelle ne faisait pas ce qu'il fallait. « Nous l'avons rassuré, car nous ne sommes pas là pour dire qui fait bien son travail et qui commet des erreurs. C'est pour cela que nous devons convaincre tout le monde de jouer le jeu avec nous. Nous souhaitons montrer que la médiation est bénéfique aussi bien pour les professionnels que pour les usagers. »
Si la Fnap-psy exprime quelques réticences vis-à-vis d'Advocacy France - par crainte d'un émiettement des associations et d'une dispersion des énergies notamment -, Jacques Houver, lui, fait appel à ses souvenirs : « Dans les années 70, des associations existaient déjà, réunissant professionnels et usagers. Nous, assistants sociaux, croyions bien faire, mais nous avons fini par nous retirer, car ce n'était pas juste : les assistants sociaux n'ont pas la même position que les patients. Tout le débat est là :l'assistante sociale doit-elle soutenir une association, ou faire acte de militantisme ? » Une autre question se pose : comment faire en sorte que les associations familiales - qui représentent le plus souvent les usagers dans les conseils d'administration - acceptent de faire une plus grande place aux patients ?
Mais il existe une autre façon pour les professionnels de placer l'usager au cœur de sa prise en charge : le réseau. Certes, la problématique n'est pas nouvelle, mais elle est plus que jamais d'actualité : « Le réseau est inscrit de manière explicite dans les textes sur la politique de santé mentale, rappelle Jacques Houver. Mais beaucoup de collègues en restent encore trop à un niveau individuel. Aujourd'hui, des services hospitaliers vont fermer, il va donc bien falloir développer cette forme de travail. »
Une mode, le réseau ? « Ce n'est pas un hasard, car c'est une façon de travailler mieux sans dépenser beaucoup plus », explique le professeur Michel Reynaud, du CHU de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Même son de cloche du côté du docteur Catherine Epelbaum, pédopsychiatre au centre hospitalier de Gentilly (Val-de-Marne) qui intervient auprès des adolescents : l'augmentation de la file active et le type de demandes qui s'exprime désormais en psychiatrie obligent les professionnels à être plus efficaces. « Les pathologies rencontrées reposent sur des problèmes à la fois familiaux, éducatifs, sanitaires, somatiques... Si l'on ne travaille pas avec un réseau de partenaires, on va entendre une demande fractionnée. » Exemple : « Lorsqu'un adolescent va voir l'assistante sociale du collège et exprime une souffrance psychique qui, en fait, relève d'un problème de maltraitance ou d'abus sexuel, le réseau seul permet de faire évoluer la demande de l'adolescent. L'assistante sociale appelle le psychiatre du CMP pour lui parler de ce cas, elle se sent alors épaulée et peut entendre la demande à un autre niveau. » Pour le Dr Epelbaum, le réseau fait quasiment partie intégrante de la thérapie : les adolescents en difficulté, explique-t-elle, évoluent dans une société de l'avoir et non plus de l'être. En outre, la loi paternelle, la règle donc, les limites, sont mises à mal. Or, pour ces jeunes en mal de repères, les parents jouent un effet miroir. « Il n'y a plus de différence générationnelle au sein de la famille, chacun se répond en miroir et la famille explose. Le réseau est justement là pour que l'adolescent puisse s'appuyer sur plusieurs identifications : l'assistante sociale va travailler sur son orientation scolaire, l'orthophoniste peut l'aider à élaborer un CV, le psychothérapeute pourra le rencontrer à des moments bien précis. » Le réseau, enfin, c'est aussi un moyen pour les professionnels d'épancher leurs angoisses et d'évoquer des situations souvent terribles.
Encore faut-il parvenir à créer des liens entre les différents intervenants de l'hôpital, puis avec les professionnels extérieurs, les libéraux notamment. Ce que le professeur Reynaud résume à sa façon : « Le réseau n'est pas une institution hiérarchique et autoritaire, c'est de la volonté, du militantisme... Il faut un coordinateur qui ait l'habileté de devenir l'âme du réseau sans pour autant en être le chef. Ensuite, il faut recenser les compétences, préciser les missions des uns et des autres, les horaires des réunions, les numéros de téléphone de chacun. » C'est la partie la plus difficile, admet-il, car il s'agit de réunir des professionnels aux logiques et aux intérêts différents. Mais une fois le réseau lancé, les avantages sont légion : « On se connaîtra, on se réunira, on deviendra plus compétents, on fera circuler l'information. Les patients seront mieux suivis et mieux adressés et le circuit des soins sera plus cohérent. »
Anne Ulpat
Pour gagner en efficacité, les réseaux de soins se développent autour d'une pathologie (sida, hépatite C) ou d'un type de patients (adolescents). Ainsi, dans le Haut-Rhin, Rémi Badoc, assistant social au centre hospitalier de Rouffach, a créé l'association Sépia, en 1992, afin de venir en aide aux jeunes suicidants. Il est maintenant détaché de l'hôpital et travaille à plein temps dans cette association, avec deux autres assistants sociaux, deux psychologues, deux infirmières et deux secrétaires. Sépia (suicide, écoute, prévention, intervention auprès des adolescents) fonctionne en étroite collaboration avec l'Education nationale, la PJJ, le conseil général et le centre hospitalier. Si un adolescent exprime une demande auprès des assistants sociaux des collèges mais refuse de se faire hospitaliser, il peut être reçu par les professionnels de Sépia.
« Nous repérons mieux les ados, souligne Rémi Badoc, ce qui est le problème principal avec les suicidants. Nous intervenons également auprès des endeuillés, de façon à réduire l'impact du suicide. Enfin, les professionnels osent maintenant parler du suicide, alors que cette question est longtemps restée taboue en France. »
(1) Organisées du 24 au 26 novembre 1997 par le Groupe d'études et de recherches sur le service social en psychiatrie - Centre hospitalier Esquirol : 57, rue du Maréchal-Leclerc - 94413 Saint-Maurice cedex - Tél. 01 43 96 65 73.
(2) Fnap-psy : 6, rue Saulnier - 75009 Paris - Tél. 01 42 46 51 19.
(3) Advocacy France : 53, rue des Peupliers - 75009 Paris - Tél. 01 45 89 34 39 - Voir ASH n° 2000 du 6-12-96.