Déception et détermination, tels étaient les sentiments des associations de chômeurs après l'annonce, le 9 janvier, des décisions gouvernementales par Lionel Jospin. Et même la décision de mettre à la disposition immédiate des préfets une enveloppe de 320 millions de francs sur le milliard de francs débloqué pour l'urgence sociale n'aura pas réussi à calmer les esprits (1). C'est ainsi qu'ils ont été des milliers à défiler, le 13 janvier, à Paris et en province, réclamant en particulier une revalorisation immédiate de 1 500 F des minima sociaux et une allocation pour les jeunes de moins de 25 ans. Et que, face à la fermeté du gouvernement, ils restent déterminés à poursuivre leur mouvement, appelant notamment à une manifestation nationale, samedi 17 janvier. Pas question, en effet, pour Lionel Jospin, de céder aux pressions de la rue et d'infléchir les choix du gouvernement. La politique de celui-ci « procède d'une action volontariste pour l'emploi » a-t-il insisté, citant entre autres la création des emplois-jeunes et la réduction de la durée du travail, lors de la présentation, le 13 janvier, de ses vœux à la presse. « Changer cette politique parce qu'un certain nombre de services sociaux ont été occupés, ce serait condamner tout espoir de réussite et de création d'emplois. » Un ton résolu repris le même jour par Martine Aubry, au cours de la séance des questions à l'Assemblée nationale. Justifiant les expulsions des chômeurs occupant les lieux publics, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité a souhaité que « les services au public » puissent « fonctionner correctement », « à partir du moment où les cris ont été entendus, où les réponses ont été apportées ».
Dans le secteur de l'action sociale, outre l'Uniopss (2), certains n'ont pourtant pas manqué de réaffirmer leur solidarité à l'égard des chômeurs (3). Ainsi, à la Fédération nationale des associations d'accueil et de réadaptation sociale (4), on estime qu' « il est temps que les sans-emploi, les sans-logis qui s'organisent et s'expriment, les associations de solidarité ou d'aide, soient écoutés et reconnus comme des interlocuteurs à part entière du dialogue social ». « Aucune personne n'est inemployable », rappelle en outre l'organisation qui demande le développement des aides pour le retour à l'emploi des plus démunis. De son côté, la Coordination des organismes d'aide aux chômeurs par l'emploi (Coorace) (5) souhaite, « pour éviter qu'une fois encore le débat ne s'enlise », une concertation entre toutes les organisations concernées « afin de faire en sorte qu'un large mouvement syndical et associatif pèse sur les négociations en cours ». Concernant les chômeurs de longue durée, précise-t-elle, les objectifs prioritaires sont le retour à l'emploi de tous, l'ouverture de droits sociaux attachés à une remise en situation de travail et le soutien à l'initiative des chômeurs. Mais ce mouvement est aussi l'occasion pour la Fédéra- tion nationale des accidentés du travail et des handicapés (6) de dénoncer à nouveau « l'incohérence des minima sociaux » et d'appeler à « un large débat sur leur rôle ».
Acteurs également, en première ligne face à la montée de la précarisation, les représentants des CCAS. « Cela fait longtemps que ceux-ci dénoncent le drame des plus démunis véritablement contraints de lutter pour leur survie », constate Charles Lejeune, secrétaire général de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale de France et d'outre-mer (Unccasf) (7). « Les mesures prises en mai dernier par l'Unedic ont amené les CCAS à être confrontés à un accroissement des demandes d'aide sociale des publics concernés », déplore-t-il, réclamant « une remise à plat et une amélioration, pour plus d'efficacité des minima sociaux ». Et celui-ci de regretter notamment la création « d' un échelon de plus », au travers des cellules d'urgence, alors que « l'aide d'urgence, c'est ce que pratiquent majoritairement les CCAS ». Le dispositif en sera-t-il plus efficace pour autant ? Dans quelle mesure ces cellules départementales ne vont-elles pas entraîner « des dépenses d'organisation coûteuses que le recours aux CCAS aurait en grande partie évitées », s'interroge Charles Lejeune, rappelant que son organisation réclame depuis des années, la création d'un « nouveau droit des pauvres ». Un avis partagé par Rina Dupriet, présidente de l'Association nationale des cadres communaux de l'action sociale (Anccas) (8) : « Avec les cellules d'urgence, on va encore accroître la complexité des dispositifs au lieu d'utiliser réellement les CCAS comme un guichet unique », s'inquiète-t-elle, insistant sur la nécessité, pour le moins, que ces derniers soient réellement associés à ces nouveaux échelons.
« Notre place est aux côtés des chômeurs et précaires dans leur combat pour leur inscription dans une citoyenneté pleine et entière dont le droit à l'organisation et à la reconnaissance est le premier élément », affirme, par ailleurs, le Collectif de travailleurs sociaux de Montpellier (CUTS) (9). Plaidant pour l'instauration d'un « revenu d'existence décente » pour tous, dès 18 ans, il invite les travailleurs sociaux à s'associer au mouvement des chômeurs. Un appel qui fait écho à la « pétition de soutien aux chômeurs et précaires en lutte », lancée, à Paris, par le collectif « Solidarité active usagers-travailleurs sociaux » (10). « Nous, travailleurs sociaux, n'acceptons plus d'être les instruments d'une gestion misérabiliste de la précarité. Nous refusons d'être les acteurs d'une mise sous tutelle insidieuse des exclus et des précaires », déclarent notamment ses membres. Pour eux les dispositifs d'insertion « reproduisent et légitiment surtout la précarité » et « contribuent à la stigmatisation et à la relégation de masse ».
(1) Voir ce numéro.
(2) Voir ce numéro.
(3) Voir ASH n° 2053 du 9-01-98.
(4) FNARS : 76, rue du Faubourg-Saint-Denis - 75010 Paris - Tél. 01 45 23 39 09.
(5) Coorace : 17, rue Froment - 75011 Paris - Tél. 01 49 23 70 50.
(6) FNATH : 20, rue Tarentaize - BP 520 - 42007 Saint-Etienne cedex 1 - Tél. 04 77 49 42 42.
(7) Unccasf : 6, rue Faidherbe - 59200 Tourcoing -Tél. 03 20 28 07 50.
(8) Anccas : 5, bd Diderot - 75012 Paris - Tél. 01 44 67 18 19.
(9) CUTS : 17, rue des Alouettes - 34900 Juvignac - Tél. 04 67 10 01 33.