« Depuis quelques mois, si ce n'est quelques années, il ne se passe pas une semaine sans qu'un professionnel hautement qualifié ou une personnalité reconnue se targue de repenser, redéfinir ou réinterroger le travail social ou plus largement encore l'action sociale en produisant articles, ouvrages ou en intervenant dans différents colloques ou sessions de formation. Nombreux sont ceux qui se précipitent sur ces productions espérant y trouver des réponses à leurs interrogations, et plus encore des pistes pour construire leurs actions.
« Or on constate le plus souvent que, sous ces titres très prometteurs et sous un habillage faussement modernisé, on retrouve les thèses et les références idéologiques classiques du travail social. Il en est pour preuve l'article de Jacqueline Godard, paru dans les ASH du 5 décembre 1997 intitulé “Redéfinir le travail social, repenser la formation des assistants de service social”.
« En effet, tout en affirmant des ambitions fortes pour le service social, et en proposant une analyse souvent pertinente des évolutions de l'action sociale, celle-ci exprime des points de vue que l'on peut qualifier de “ traditionalistes ” contredisant parfois son premier niveau de réflexion.
« Ainsi, dans la première partie de son article, l'auteur souligne-t-elle “l'inadaptation du travail social aux nouvelles conditions des populations en difficulté”, et en même temps semble refuser que ce public puisse avoir une quelconque légitimité à influer sur les services qui lui sont proposés. Il est en effet assez renversant de lire : “Le'suivi'est mis à mal et la méthodologie de l'acte social, qui s'inscrit dans la durée, est malmenée par la résistance de l'usager qui développe de nouveaux comportements et sollicite des réponses immédiates”.
« Il s'agit là d'une question essentielle qui est celle de l'inadéquation entre les attentes/besoins de certains publics et les réponses du service social, question centrale dans les réflexions des services départementaux des conseils généraux. Mais il est tout à fait frappant de voir que l'auteur fait peser la responsabilité de cette inadéquation sur les usagers du service social qui, une fois de plus, ne sauraient pas ce qui est bon pour eux. Eh oui, les temps ont changé et même les pauvres ont des exigences...
« Cet exemple illustre bien la difficulté que rencontrent de nombreux travailleurs sociaux, d'une part à considérer les usagers comme des adultes responsables et plus encore comme des citoyens susceptibles d'être associés à la définition des politiques publiques d'action sociale, et d'autre part à participer à la mise en place d'un véritable service social public départemental dans le cadre des compétences qui ont été confiées aux conseils généraux par la décentralisation. C'est bien sur ces points-là que doit s'engager la véritable “révolution culturelle” de la profession.
« Les conditions d'élaboration et de mise en œuvre des politiques sociales ont évolué ces dernières années, du fait de la décentralisation bien sûr, mais aussi du fait de l'évolution et de la diversification des publics ainsi que de la crise du financement de l'action sociale. La question est de savoir si les services sociaux et les centres de formation sauront faire le deuil de leur position passée (du temps magnifié, et souvent rêvé, de l'avant-décentralisation) et saisir la chance qui est la leur de tenir une position centrale dans l'action sociale de demain.
« En effet, dans les réorganisations départementales actuelles, on peut souvent observer qu'une nouvelle place est donnée à la polyvalence, mais une polyvalence rénovée, c'est-à-dire confiée à une équipe et non à une seule assistante sociale par secteur. On a pu constater que les fonctions d'accueil, de diagnostics individuel et collectif, de travail en réseaux sont devenues essentielles pour les départements qui s'engagent dans des démarches de territorialisation.
« Ces observations vont donc à l'encontre de ce qu'affirme Jacqueline Godard : “le métier de'généraliste en milieu ouvert' est remis en cause” et “la polyvalence n'existe plus sur le terrain”. S'il est vrai que le cadre d'exercice et les méthodologies d'intervention du travail social ne sont plus les mêmes que dans les années 75, on ne peut pas dire que les restructurations des services sociaux départementaux s'éloignent des fondements des textes sur la polyvalence.
« L'action sociale de demain devra être souple, adaptable et partenariale et c'est pour répondre à ces exigences que la formation des assistants de service social devra évoluer. Il ne s'agit plus aujourd'hui de concevoir un modèle figé et définitif de la profession mais de former des professionnels capables d'assurer des fonctions d'accompagnement social (individuel et collectif) plus respectueuses de la place de l'usager-citoyen et de participer à l'élaboration des politiques sociales en développant leurs capacités d'expertise, de diagnostic et de développement de projet. Ce nouveau profil des professionnels, beaucoup plus ambitieux que l'ancien et donc plus valorisant, devrait pouvoir mobiliser l'ensemble de la profession. Cependant, il exige une réforme fondamentale du système de formation.
« Pour aller dans le sens de ces évolutions, on ne peut que se réjouir de l'élévation du niveau scolaire des étudiants en service social, par contre on peut s'interroger sur la légitimité des seuls formateurs des écoles de service social à “repenser la formation des assistants de service social...” »
Sylvie Teychenné Assistante de service social - DEA de sciences politiques Consultante et formatrice 5, allée Astrida - 92160 Antony -Tél. 01 42 37 57 14.