Pluridisciplinarité, travail en réseau, multipartenariat, des mots qui reviennent souvent dans la bouche des travailleurs sociaux. Ils sont en revanche plus rares chez... les gestionnaires d'espaces verts. Pourtant, ceux-ci étaient nombreux, à l'occasion du colloque organisé à Nantes sur le thème « Espaces verts et projet social » (1), à mettre en avant la dimension sociale de leur profession. « C'est à travers le vandalisme et les dégradations que, concrètement, les problèmes se manifestent à nous », rappelle Roland Jancel, président de l'Association française des directeurs de jardins et d'espaces verts publics. « Mauvaise conception de l'espace ? Des équipements ? Pour partie, mais aborder le problème de ce côté reviendrait à s'intéresser aux effets et non pas aux causes. » Les services techniques des collectivités locales n'ont pas pour autant vocation à remplacer les travailleurs sociaux. Car, comme le souligne Roland Jancel, « la crise, le chômage, l'évolution des mœurs, la mixité des cultures, l'éclatement trop fréquent de la cellule familiale sont autant de facettes du problème, que notre formation ne nous a pas préparés à appréhender. Cela souligne bien la nécessité de s'intégrer au sein d'une équipe pluridisciplinaire. »
Si, pour l'instant, l'embellissement et le fleurissement de la ville restent la préoccupation de bon nombre de directeurs d'espaces verts et d'élus, certains insistent sur la nécessité d'aller au-devant des besoins et des désirs des habitants d'une cité ou d'un quartier. Et ce, afin que les espaces verts deviennent ou redeviennent de véritables lieux publics, réellement investis et fréquentés par la population. « On s'aperçoit bien souvent que le vandalisme de certains habitants relève plus du détournement d'usage que du manque de respect vis-à-vis d'un équipement public donné », souligne Nathalie Cadiou, ingénieur en environnement et anthropologue sociale à Paris. Ainsi, un fleurissement paysager là où les habitants auraient en premier lieu besoin d'espaces de détente et de loisirs, des plantations qui vont à « contresens » des cheminements empruntés par les résidents et qui sont plus perçus comme des nuisances que comme des éléments de valorisation du quartier, des pelouses interdites au public alors qu'elles constituent les seuls espaces verts de proximité... sont autant d'erreurs -commises de bonne foi - par les villes. Selon Nathalie Cadiou, « il faut d'abord réfléchir aux fonctions que doit remplir un espace vert à un endroit donné ». Veut-on créer des lieux de convivialité, des micro-espaces, des cheminements, de jolis décors, des zones ombragées, du relief, un coin de nature dans une cité saturée de béton ? Les habitants sont sans doute les mieux placés pour le savoir. « Il ne s'agit pas de faire de la concertation bête et méchante, mais de détecter, derrière des demandes très concrètes d'essences végétales particulières, ce que ce nouvel aménagement représente pour eux », ajoute-t-elle. Une forme de démocratie participative qui doit plutôt faire émerger les problèmes propres à un quartier. Exemple : si les habitants se focalisent sur le stationnement de leurs véhicules, la question de la sécurité peut difficilement être occultée. De plus, la nature et les jardins sont des sujets fédérateurs, comme le fait remarquer Nathalie Cadiou, sur lesquels il est sans doute plus facile de rassembler des locataires qui ont peu l'habitude de se parler par ailleurs.
Les espaces verts constituent également un bon moyen, pour les collectivités locales, de réinvestir des cités difficiles. Ainsi à Grenoble, le quartier de l'Abbaye Châtelet était le théâtre de rodéos nocturnes, de voitures incendiées et de dégradations des équipements publics. « Sept petits immeubles, de facture architecturale des plus dépouillée, étaient répartis sur un espace libre d'une grande pauvreté, où les parkings disputaient la place à quelques platanes flanqués de murets en béton », précise Daniel Boulens, directeur des espaces verts de la ville. En 1994, un plan global d'intervention sur les quartiers sociaux est lancé. Un chef de projet de développement social urbain consulte alors les locataires - les femmes essentiellement - sur les aménagements souhaités. Jusqu'à ce qu'une véritable association des habitants voie le jour. A l'issue de 30 à 40 réunions, les travaux peuvent commencer : 4 600 m2 d'espaces verts, 2 600 m2 de pelouses arrosées automatiquement, 100 arbres plantés, des arbustes, des rosiers, un éclairage refait à neuf, des jeux pour les enfants, des bancs... « Les problèmes sociaux malheureusement demeurent, admet Daniel Boulens, mais le cadre de vie de ces habitants ne s'apparente plus à un ghetto. Un mouvement associatif s'est créé et continue son action. De nombreux habitants ont enfin le sentiment, grâce à cette opération, d'être redevenus des citoyens écoutés. » D'autres initiatives, plus ou moins modestes, fleurissent dans différentes villes : à Saint-Herblain, en Loire-Atlantique, une responsable du bureau d'aide sociale, avec la collaboration d'un grainetier du quartier, a réuni les enfants afin que tous participent au fleurissement des pieds des immeubles. Une goutte d'eau, certes, qui a cependant contribué à la réhabilitation des cages d'escalier et qui pousse désormais certains habitants désœuvrés à s'investir dans l'embellissement du quartier.
Car, sans être le remède à tous les maux de la société, le travail de la terre constitue un bon outil d'insertion pour les personnes en difficulté, à la limite de la désocialisation. Créer et entretenir un jardin potager « permet de renouer avec le travail et la vie collective, de passer progressivement de la position d'assistés à la position de producteurs », explique-t-on à l'association les Jardins d'aujourd'hui (2).
Celle-ci aide les travailleurs sociaux, ou tout autre interlocuteur local, à bâtir et réaliser un projet de jardin, collectif ou individuel, afin de « développer les capacités d'autonomie des personnes en situation précaire, de réintégrer les exclus dans un tissu social valorisant, de créer et de consolider des réseaux de solidarité dans les quartiers », explique Eric Prédine, responsable de l'association. Le public visé ? « Les personnes qui ont perdu l'habitude de se retrouver dans un cadre social, de se contraindre à des horaires. Celles qui ne peuvent pas, sans une phase transitoire, reprendre un travail régulier. Celles qui n'ont plus de revenus décents pour vivre. »
Les Jardins d'aujourd'hui développent une fonction de conseil auprès des intervenants sociaux, en tentant de définir avec eux la formule la plus appropriée : il ne s'agit pas de proposer des jardins à tout prix, mais plutôt de savoir s'ils constituent la bonne réponse à une problématique locale particulière. Si tel est le cas, encore faut-il définir le type de parcelle adéquate : individuelle afin de favoriser le savoir-être et le savoir-faire et de mettre en œuvre des réseaux de solidarité entre voisins, ou collective dans une optique davantage fondée sur l'insertion de personnes exclues du monde du travail. « Les personnes qui nous appellent savent monter un projet, explique Eric Prédine. Mais nous pouvons les aider à chercher des partenaires - commune, conseil général, CCAS, centre social, centre médico-social - et à procéder à des montages parfois complexes. » Une fois lancé, le projet ne sera réellement efficace que s'il est porté par son initiateur. Celui-ci doit convaincre les partenaires institutionnels mais aussi les habitants : « Il va falloir apprendre à se faire confiance, à se rencontrer, souligne Eric Prédine. Et dans certaines communes, les services techniques et sociaux vont se parler pour la première fois. » En outre, tout le travail autour du jardin doit relever d'une équipe pédagogique : cet outil d'insertion demande des hommes et des compétences, soit un investissement financier et une vraie volonté politique.
Si des espaces verts bien conçus et des jardins adaptés à une situation locale donnée créent ou renforcent les liens sociaux - y compris dans les campagnes où l'on ne se parle pas forcément plus qu'en milieu urbain, tient à préciser Eric Prédine -, qu'en est-il de l'insertion économique ? Peut-on parier sur ce secteur pour développer de nouveaux emplois ? Réponse unanime des professionnels : prudence. Pourtant, l'association Terres d'avenirs (3), à Argenteuil, dans le Val-d'Oise, a créé 14 emplois en trois ans. A partir de projets simples, ce qui fait dire à son directeur, Marc Loubaud, qu'il « travaille au ras des pâquerettes ». Pas de faux espoir donné aux personnes sans emploi, pas de triomphalisme, mais une succession d'actions qui, ajoutées les unes aux autres, finissent par porter leurs fruits. Née en 1994, Terre d'avenirs réunit la ville d'Argenteuil, l'office HLM, le conseil en architecture, urbanisme et environnement (CAUE), la chambre des métiers, mais aussi le principal du collège, les parents d'élèves, les amicales de locataires, etc. « Nous avons créé cette association pour répondre à un appel à projets de la direction interministérielle à la ville sur le thème :'Paysages et intégration urbaine ", explique Marc Loubaud. Nous souhaitions travailler sur la cité du Prunet et sur de vastes zones agricoles laissées à l'abandon. » Premier axe de travail, géré par le CAUE : des gardiens d'immeubles ont été formés à la gestion des espaces verts autour des lycées et initient les enfants à leur nouveau savoir. De plus, dès qu'une classe aborde un sujet lié à l'environnement et à la nature, les pères de famille sont invités à venir s'exprimer devant les élèves : « Ce sont des personnes le plus souvent immigrées, issues d'un milieu rural, tout à fait légitimes pour parler des cycles de la nature, souligne Marc Loubaud. Cette initiative a pour but de replacer les pères dans une situation d'apprendre quelque chose à leurs enfants, et de changer le regard que ceux-ci portent sur eux. »
Deuxième axe développé par l'association : l'amélioration du cadre de vie, dans la cité du Prunet. Un contrat emploi-solidarité vert a été créé afin de débroussailler un bois de 8 200 m2 laissé en friches et jouxtant les habitations. Résultats : les enfants réinvestissent ce lieu et y construisent des cabanes. D'autres espaces naturels abandonnés seront ainsi progressivement rendus à la vie - sous forme de terrains de sport et de jardins familiaux - et ce, grâce à la création de huit emplois-ville. Enfin, une zone agricole de 100 hectares, à l'abandon elle aussi, doit faire l'objet d'un réaménagement, encore au stade de projet pour l'instant. « Le but est de développer des emplois liés à l'environnement en milieu urbain, ce qui demande des compétences assez pointues, indique Marc Loubaud. En sachant que c'est une solution parmi d'autres, qui ne va pas tout régler... et qui ne marche pas partout, notamment dans des ZUP qui regroupent des milliers d'habitants. »
Christian Douvre, membre de l'Association des ingénieurs des villes de France, apporte lui aussi son bémol : si l'environnement a été très vite considéré comme un eldorado de l'emploi, si de nombreux dispositifs d'insertion ont été créés à partir de ce secteur, ceux-ci ne débouchent que rarement sur des emplois pérennisés. L'environnement est certes à la mode, mais attention, préviennent les professionnels : « Il repose sur de vrais métiers, et les embauches restent très faibles. »
Anne Ulpat
(1) Les 20 et 21 novembre 1997 - Cité des Congrès : 5, rue de Valmy - 44000 Nantes - Tél. 02 51 88 20 00 - Fax 02 51 88 20 20.
(2) Les Jardins d'aujourd'hui - Tél. et fax 05 57 46 04 37.
(3) Terres d'avenirs : 17 rue du Perreux - 95100 Argenteuil - Tél. 01 30 76 01 80 - Fax 01 30 76 00 60.