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Ces enfants que personne ne voulait adopter

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L'ORCA travaille en étroite collaboration avec les départements de l'Est de la France, afin de trouver des parents adoptifs à des enfants longtemps délaissés en raison de leur handicap, de leur passé, ou de leur âge.

Nous sommes au début des années 80. Le Conseil supérieur de l'adoption (CSA) est confronté à un problème pour le moins douloureux. Un nombre important d'enfants, pudiquement appelés « à particularités », ne sont jamais proposés à l'adoption, alors qu'ils sont juridiquement adoptables. Les signes particuliers de ces enfants ? Les uns sont trisomiques, les autres souffrent d'un autre handicap physique ou mental, ou sont trop âgés ou encore sont membres d'une fratrie. A l'époque, Pierre Verdier siège au CSA et est directeur de la DDASS de la Meuse (1)  : « Le plus surprenant, c'est que ce ne sont pas les familles candidates à l'adoption qui se détournaient d'eux, mais les services sociaux qui estimaient que ce n'était même pas la peine d'entreprendre des démarches. Ils étaient convaincus que personne ne voudrait de ces enfants. » De plus, la situation est très variable d'un département à l'autre. Des pupilles de l'Etat sont ici « estampillés inadoptables » par un médecin, alors que là le handicap n'est pas un frein en soi.

Alerté, le ministère des Affaires sociales charge Pierre Verdier de créer une structure qui s'intéresse exclusivement au sort de ces enfants. En 1981, naît l'Organisme régional de concertation sur l'adoption  (ORCA)   (2). Il s'étend alors sur trois régions, la Champagne-Ardenne, l'Alsace et la Lorraine, soit dix départements. Aujourd'hui, il n'intervient plus que dans cinq départements (voir encadré).

L'ORCA, ce sont en fait deux personnes : Sylvie Cimon, secrétaire, et Cornélia Burckhardt, psychologue. Tout est à faire, à commencer par sensibiliser les départements et leurs services d'adoption. « J'ai pris contact avec les différentes ASE, se souvient la psychologue. Il fallait se mettre autour d'une table, recenser les besoins existants et voir ce que l'on pouvait faire. Mais je me suis heurtée à quelques résistances : les services sociaux pensaient que j'étais là pour les contrôler. Certains départements ont collaboré plus facilement que d'autres, cela a finalement pris plusieurs années. » La psychologue se met également en contact avec des œuvres spécialisées dans les adoptions dites « difficiles », afin de rencontrer des parents.

Cornélia Burckhardt découvre le monde de l'adoption. Celle-ci se résume, dans son esprit, à la rencontre entre un couple désirant un enfant et un pupille de l'Etat à la recherche de parents. Au fil des mois pourtant, elle révise son jugement : l'adoption de ces enfants qui ont vécu une histoire particulière, souvent douloureuse, n'est pas tout à fait comme les autres. Il faut donc partir de leurs besoins, et cheminer lentement vers les familles adoptantes. Il s'agit de trouver une famille pour un enfant, et non un bébé pour un couple.

125 ADOPTIONS

Entre 1982 et 1996, 125 enfants ont été adoptés par l'intermédiaire de l'ORCA.

 48 étaient âgés de 8 à 14 ans (dont huit fratries de deux et une fratrie de trois) et présentaient, pour la plupart, des perturbations psychologiques ou du comportement, ou les deux à la fois, et des difficultés scolaires et intellectuelles.

 13 enfants de 3 mois à 6 ans étaient atteints d'un handicap physique important.

 41 étaient atteints de trisomie 21, âgés de 3 mois à un an et demi. Un seul était âgé de 6 ans.

 23 enfants, âgés de 1 à 7 ans, présentaient des troubles psychologiques du comportement ou physiques plus ou moins graves.

Un parcours complexe, par étapes

Ce parcours, l'ORCA le fait en liaison constante avec les services de l'aide sociale à l'enfance. Soit avec l'assistante sociale du service d'adoption lorsque celui-ci existe, soit avec une assistante sociale polyvalente qui sera toujours la référente de l'ORCA dans son département. « La première étape consiste, pour le département, à rechercher lui-même des candidats à l'adoption pour ces enfants, souligne Cornélia Burckhardt. Si cela n'aboutit pas, il m'adresse une lettre et notre mission commence. »

Ainsi, l'investissement de l'organisme régional peut être très variable d'un enfant à l'autre. Il peut se situer très en amont, dans la recherche d'une famille, ou bien après, au moment de l'accompagnement des adoptants et des adoptés. Quoi qu'il en soit, Cornélia Burckhardt insiste sur la complexité du parcours mis en œuvre et sur la nécessité de procéder par étapes, toutes aussi importantes les unes que les autres. La première d'entre elles :préparer l'enfant au projet de l'adoption. S'il est déjà âgé de quelques années, la psychologue va reconstruire avec lui son passé, son histoire, « afin de rassembler toutes les pièces du puzzle. Jusqu'à ce qu'il comprenne pourquoi on en est venu à penser que la meilleure solution pour lui, c'était l'adoption. » Cela se fait au rythme de l'enfant, en fonction de ce qu'il peut entendre, et s'étale donc sur plusieurs mois, voire une année. D'autant qu'il doit également entreprendre un travail de deuil par rapport à son milieu de vie du moment, lui qui oscille entre le désir d'avoir une famille comme les autres, et le refus de se séparer de sa famille d'accueil ou de son éducateur.

Pour les jeunes enfants atteints de trisomie, qui ne sont pas encore en âge de raconter leur histoire et de bien comprendre tous les enjeux de l'adoption, cette étape n'est pas occultée. Elle se joue au sein des familles d'accueil ou de l'institution qui les prend en charge. « Auparavant, le sort de ces petits était scellé, explique Cornélia Burckhardt. Dans les pouponnières, par exemple, les nounous avaient de l'affection pour eux, mais elles ne faisaient aucune projection. Maintenant que l'on sait que leur adoption est possible, les nourrices leur en parlent, ils sont sollicités, ils sentent que leur entourage a une attitude plus positive à leur égard. Ils deviennent plus toniques, plus éveillés. »

En fonction de l'histoire de l'enfant, se dessine un profil possible de famille. L'ORCA évite, par exemple, les répétitions qui pourraient replonger l'enfant dans un passé difficile : comme l'intégrer dans une fratrie identique à celle qu'il a connue. Si l'enfant a des difficultés scolaires lourdes, inutile de se tourner vers un couple qui semble attacher beaucoup d'importance à la réussite dans les études. Ou plus finement, un enfant sera rarement confié à une famille s'il doit occuper le statut de l'aîné, car celui-ci est porteur de très fortes projections de la part des parents, il est en quelque sorte « surinvesti ». « Mais il faut être extrêmement prudent, précise Cornélia Burckhardt. Des exceptions sont possibles : cela peut être très bénéfique, pour un enfant adopté alors qu'il est un peu âgé, de jouer un rôle protecteur vis-à-vis de ses frères et sœurs. Il n'y a pas de règle, il faut partir de la réalité psychique de chaque enfant. »

Un accompagnement de l'enfant et des parents

Lorsque l'ORCA trouve la famille - par le biais des œuvres spécialisées - qui correspond le mieux au garçon ou à la fillette, il la signale au département. Etant entendu que ces candidats peuvent résider dans la France entière. Après enquête, celui-ci donne, ou non, son feu vert. A ce stade, il devient impératif, pour l'ORCA, de mettre en place un accompagnement du couple, qui se poursuivra jusqu'à ce que l'adoption soit effective. Cornélia Burckhardt doit s'assurer que ce projet parental a été mûrement réfléchi. Sans juger pour autant la motivation des futurs parents, car, souligne-t-elle, « ce n'est pas moi qui donne l'agrément ». Bien sûr, la psychologue veille à ce que le désir d'adopter un enfant trisomique ou « à problèmes » ne soit pas d'ordre pathologique, mais elle ne se permet pas d'aller au-delà. Il faut bien reconnaître pourtant que la démarche de ces familles intrigue. Après tout, comme le dit Pierre Verdier, « tous les parents rêvent de mettre au monde le plus beau bébé du monde. Cela peut paraître étonnant de désirer un enfant handicapé. » Cornélia Burckhardt y voit un désir de réparation, mais, ajoute-t-elle, « pourquoi pas ? Nous sommes quasiment tous dans un processus de réparation, par rapport à notre propre famille, notre enfance. Les parents adoptants d'enfants trisomiques ou ayant une autre particularité ont souvent été concernés par le handicap, soit parce qu'ils ont un membre de leur famille atteint d'un handicap, soit parce qu'ils travaillent dans ce secteur. Ce sont aussi souvent des personnes qui ont un engagement religieux et qui souhaitent que celui-ci se traduise concrètement par un acte de générosité. » Là aussi, la mission de la psychologue consiste à faire comprendre à ces futurs parents que l'amour ne suffit pas :d'où, encore une fois, la nécessité de les rencontrer longuement et d'évoquer très concrètement les conséquences de cette adoption. « Ils doivent savoir ce qui les attend. Par exemple, un enfant déjà âgé, une fois adopté, va avoir une phase complètement régressive. Il va revivre sa naissance, son enfance, il va donc se comporter comme un bébé. Ensuite, il va rejeter violemment ses parents adoptifs, pour les tester jusqu'à ce qu'il soit convaincu que, eux, ne l'abandonneront pas. »

Lorsque enfant et parents sont prêts, vient le moment de la rencontre. La psychologue de l'ORCA est le plus souvent accompagnée d'un travailleur social qui a suivi le dossier de l'enfant. « Deux regards valent mieux qu'un, précise Michèle Gillant, assistante sociale, qui a travaillé pendant plus de dix ans avec l'organisme. D'où l'importance d'une bonne collaboration entre les travailleurs sociaux d'une part et l'ORCA d'autre part. » Le soutien de l'enfant et de ses parents se poursuit aussi longtemps qu'ils le désirent.

Après 15 ans de fonctionnement, Cornélia Burckhardt est convaincue de l'utilité de l'ORCA, qui n'a malheureusement pas été reproduit ailleurs. Bien sûr, l'adoption n'est pas forcément conseillée pour tous ces enfants et des échecs sont possibles. Notamment dans le cas d'adolescents. « Il est impossible de mettre en place une adoption à ce moment-là de leur vie car ils sont en train de bâtir leur autonomie par rapport à la famille, alors que l'adoption vise exactement le contraire. »

Mais encore aujourd'hui, sur 3 659 pupilles de l'Etat, 2 262 ne sont pas placés en vue d'adoption, notamment en raison de leur état de santé ou d'un handicap (pour 39 %), ou de leur âge (pour 12 %).

Anne Ulpat

CINQ DÉPARTEMENTS DE L'EST DE LA FRANCE

Les départements partenaires de l'Organisme régional de concertation sur l'adoption (ORCA) sont désormais au nombre de cinq (Meurthe-et- Moselle, Vosges, Moselle, Meuse et Ardennes), Cornélia Burckhardt préférant circonscrire son action auprès des plus motivés. Il s'agit en fait d'un partenariat entre le ministère des Affaires sociales et les cinq collectivités. Le premier participe à hauteur de 35 % - contre 50 % au moment du lancement de l'ORCA - et les départements interviennent proportionnellement au nombre d'habitants. Montant du budget de l'organisme régional en 1997 :400 000 F. Une ou deux fois par an, un comité technique, constitué d'un représentant de chaque département et de la psychologue de l'ORCA, se réunit afin de faire le point sur les actions menées et les améliorations qu'il est possible d'apporter. « Au tout début, explique Cornélia Burckhardt, la convention entre l'Etat et les conseils généraux stipulait que n'importe quel autre département pouvait rejoindre l'ORCA. Mais c'est évidemment impossible car ingérable. Il faudrait que chaque département crée sa propre structure, que celle-ci devienne un outil, quitte à ce que je donne un appui technique, une aide au démarrage.»

Notes

(1)  Pierre Verdier est l'auteur, avec Marieke Aucante, de Ces enfants dont personne ne veut - Ed. Dunod.

(2)  ORCA : 48, rue du Sergent-Blandan - C. O. 3945 - 54029 Nancy cedex - Tél. 03 83 27 47 74 - Fax : 03 83 28 04 65.

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