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Le devoir de parole

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Après d'autres professionnels (1), c'est Annie Mousson, assistante de service social dans le Sud-Ouest (2), qui réagit à l'article - « La charrette de Vitrolles »   (3)  - dans lequel nous évoquions le « silence assourdissant des travailleurs sociaux » . L'occasion, pour elle, de lancer un véritable appel à témoignages.

« Depuis le temps que je maugrée seule dans mon coin, je me décide à vous écrire à propos de ce fameux “silence assourdissant des travailleurs sociaux” auquel vous faites, vous aussi, référence. Je n'aurai pas la prétention d'expliquer un phénomène qui, de mon point de vue, prend des proportions inquiétantes mais [...] certaines hypothèses me sont venues à l'esprit : la politique, impossible dans les années 80 de critiquer le pouvoir en place sous peine de se faire accuser de se tromper d'ennemi, de faire le jeu de l'extrême droite  les intérêts personnels de nos dirigeants empêchaient toute interpellation à un plus haut niveau - l'attrait du pouvoir et l'ambition politique existent aussi dans le domaine social  le sentiment d'illégitimité récurrent chez les travailleurs sociaux. Ce sont toujours, peut-être moins aujourd'hui, les chercheurs qui parlent et écrivent à notre place. Pourquoi laissons-nous toute la place aux sociologues, par exemple ? Ils nous apprennent bien souvent ce que nous savons déjà pour le voir quotidiennement sur le terrain.

« Ayant quitté le terrain durant deux ans pour effectuer une formation de formatrice/ conseil, je suis allée m'installer dans le Sud-Ouest. J'ai découvert, à grande échelle, un phénomène qui existe naturellement en région parisienne : la routine. Des gens, en poste depuis plus de 20 ans, bien installés, propriétaires de leur maison, qui travaillent comme s'ils allaient au bureau. Ils ne lisent pas ? C'est parce qu'ils sont débordés. [...] La réflexion est une perte de temps, parler un danger. Danger de quoi ? De perdre sa place après “20 ans de maison” ? La peur semble contagieuse, mais je crois surtout qu'elle a bon dos.

« Si j'ai des contacts de qualité avec des collègues de la France entière (ASE, PJJ, placement familial...), je décèle un manque de courage, voire de la lâcheté ailleurs. On ouvre un boulevard à des autocrates à la limite de l'incompétence, leur permettant de gouverner par une terreur en grande partie fantasmée.

« Quid des usagers dans tout cela ? Car les réactions commencent lorsque les professionnels sont attaqués et parfois tués. Mais les gens dont nous avons la charge ont été laminés bien avant que nous bronchions. Je ne veux pas me battre pour de mauvaises raisons : nous avons, par cet “assourdissant silence”, participé à la montée du ressentiment, à notre propre déqualification aux yeux de ceux que nous étions censés aider et laissé le champ libre à l'exclusion.

« Le vrai travail consisterait à être lucides et à se questionner : notre engagement n'est-il pas politique au sens large ? Le vrai travail bannirait l'attitude de victimes que trop d'entre nous ont adoptée. Nous sommes en première ligne, nous sommes citoyens, nous devons nous faire entendre. Nous devons être présents sur d'autres fronts et témoigner au même titre que les psychologues, psychiatres, sociologues... N'est-il pas symptomatique de constater qu'aucun travailleur social n'était présent lors de la dernière « Marche du siècle » consacrée à la pédophilie ? [...]

« J'ai envie de vous dire que se battre seule est impossible, j'en fais l'expérience à ma petite échelle. Mais je ne céderai pas. Même si ma parole n'est pas la bienvenue, elle persistera. Si les organisations professionnelles et syndicales sont si tièdes, pourquoi ne pas créer ? Vous savez où me trouver, je suis prête. »

Notes

(1)  Voir ASH n° 2049 du 12-12-97 et n° 2047 du 28-11-97.

(2)  Annie Mousson : 7, rue Charlemagne - 32150 Cazaubon - Tél. 05 62 09 50 46.

(3)  Voir ASH n° 2044 du 7-11-97.

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