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Bracelet électronique : la prison virtuelle

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Avec l'adoption définitive de la proposition de loi sur le placement sous surveillance électronique (1), l'idée même d'emprisonnement, qui constitue depuis deux siècles la pierre angulaire du système répressif, risque d'être profondément bouleversée. Certes, le dispositif est encore loin d'être au point et la chancellerie paraît plus que réservée. Mais le principe est acquis. A plus ou moins longue échéance, certains condamnés pourront purger leur peine « à domicile », sous contrôle, donnant ainsi corps à cette prison hors les murs, annoncée par Michel Foucault, il y a 20 ans, dans Surveiller et punir   (2).

Le bracelet électronique plutôt que les barreaux. Cette vision moderne de la prison, revue à l'aune des nouvelles technologies, constitue- t-elle une avancée pour le détenu et la société, ou une régression ? Séduisant, d'une certaine façon, parce qu'il gomme la réalité de l'univers carcéral, en permettant à la personne de purger sa peine à domicile, le placement sous surveillance électronique n'en supprime pas pour autant l'emprisonnement. De réel, le voilà devenu virtuel, s'immisçant subrepticement dans la sphère privée et intime. De fait, si les murs n'existent plus, le bracelet miniaturisé n'est pas sans rappeler, avec quelques frissons, la chaîne du bagnard. Porté en permanence à la cheville ou au poignet, il contient un émetteur dont les signaux sont captés, dans un rayon de 50 mètres, par un récepteur connecté à un boîtier téléphonique. Celui-ci les retransmet vers un ordinateur central. Dès lors que le condamné quitte ce périmètre, en dehors des plages horaires autorisées, l'alerte est déclenchée. Le placement sous surveillance électronique, d'une durée maximale d'un an, pourra être accordé à toute personne devant purger une peine d'emprisonnement ferme inférieure ou égale à un an ou à laquelle il reste, au maximum, encore un an à passer en prison. Il peut également être prononcé à titre probatoire à la libération conditionnelle.

Pas d'application avant deux ans

Pour autant, dans les milieux judiciaires, on se défend de vouloir instruire un procès en sorcellerie contre le nouveau dispositif. Car il est évident qu'aucun condamné n'irait en prison s'il avait la possibilité d'y échapper. On connaît, en effet, les conditions de vie déplorables que subissent la majeure partie des personnes incarcérées dans les établissements pénitentiaires : violences, absence d'intimité... On sait, en outre, comment un séjour en prison peut endurcir un petit délinquant. Et comment, loin d'éviter la récidive, il peut, au contraire, faire basculer dans la marginalité ceux qui le subissent. En outre, on ne saurait nier l'intérêt d'éviter la rupture des liens familiaux ou professionnels que provoque la mise en détention. Par ailleurs, de façon très pragmatique, les défenseurs du bracelet électronique insistent sur la nécessité de désengorger les prisons et de réduire les coûts de prise en charge des détenus. Là aussi, l'objectif n'est guère contestable. Néanmoins, un certain nombre de questions subsistent.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la ministre de la Justice, Elisabeth Guigou a indiqué, le 11 décembre au Sénat, que ce texte ne pourra « raisonnablement trouver application sans être amendé et modifié », sachant que des expérimentations seront nécessaires avant toute généralisation (3). Selon elle, cette période ne saurait être inférieure à une durée de deux ans « à compter, d'une part, de l'adoption des modifications importantes et nécessaires[...] et, d'autre part,  de l'obtention des crédits en conséquence ». Car, précise-t-elle, « l'impact budgétaire pour le ministère de la Justice n'a pas été évalué à sa juste mesure ». Pour la garde des Sceaux, la loi sur le placement sous surveillance électronique pose, il est vrai, de réels problèmes, notamment sur le plan juridique. Par exemple, elle implique, dans son application, qu'un domicile privé devienne, sinon une annexe de l'administration pénitentiaire, du moins un lieu sous surveillance de la puissance publique. Or, s'il ne s'agit pas du domicile personnel du condamné, cela nécessite d'obtenir, au préalable, l'accord du maître des lieux. Autrement, une telle mesure « serait une atteinte au droit de propriété ainsi qu'au droit à l'intimité de la vie privée, qui sont constitutionnellement protégés ». De même, pour statuer sur un éventuel retrait de la mesure (en cas de non-respect des obligations de présence), le juge d'application des peines doit le faire en audience de cabinet, en présence du condamné et, le cas échéant, de son conseil. « Or, ce magistrat n'a pas pour autant de moyen juridique de le faire comparaître de force devant lui », déplore Elisabeth Guigou. Ainsi, si l'on ne peut retrouver le condamné avant la fin de sa peine, il ne pourra plus être réincarcéré à ce titre.

;Une mesure inégalitaire

Mais au-delà de ces obstacles plutôt techniques, pour la ministre comme pour les organisations syndicales et certains chercheurs, le bracelet électronique soulève surtout des questions de fond. Ainsi, toutes les critiques s'accordent sur le fait que la mise en œuvre du dispositif risque fort d'être profondément inégalitaire. En effet, seuls les condamnés disposant d'un domicile et d'un téléphone et justifiant d'un minimum de stabilité sociale devraient pouvoir y accéder. Des critères qui excluent, de fait, un grand nombre de condamnés désinsérés, sans domicile fixe et souvent réduits aux foyers de réinsertion ou aux chambres d'hôtel au jour le jour. Conséquence : « Il est à craindre que cette facilité d'exécution de la peine ne soit vécue comme étant uniquement réservée à une population pénale privilégiée », estime Elisabeth Guigou. Lors du débat à l'Assemblée nationale, au printemps dernier, Julien Dray, député  (PS) de l'Essonne, n'avait d'ailleurs pas hésité à dire qu'il s'agissait d'une mesure destinée à la délinquance « en col blanc ».

Le risque de voir ce système ne bénéficier qu'à une catégorie relativement favorisée de condamnés - ce qui existe d'ailleurs pour d'autres mesures pénales - est d'autant plus grand qu'il s'agit d'une modalité d'exécution de la peine. A ce titre, l'opportunité de recourir au placement sous surveillance électronique est laissée au juge d'application des peines. On peut ainsi s'interroger sur les critères qu'il retiendra. A l'inverse, et c'est une garantie importante, on ne pourra pas imposer cette mesure à un condamné contre sa volonté. Mais de quel choix s'agit-il entre la prison et la liberté, même conditionnée par le port du bracelet ? « Ce dispositif implique un choix qui n'en est pas un, car il consiste à proposer à un individu entre le pire  (l'incarcération) et l'illusion d'une vraie fausse liberté maintenue », dénonce ainsi la Fédération Justice CFDT (4).

Reste que la principale critique formulée, par la majorité des organisations syndicales et des observateurs du système pénal, porte sur l'utilité d'un tel dispositif. Ainsi, le risque n'est pas exclu que la seule existence du bracelet électronique favorise le prononcé de peines d'emprisonnement ferme alors, qu'auparavant, le juge aurait sanctionné de façon plus clémente (par exemple par des peines avec sursis simple ou de mise à l'épreuve). Ce qui renvoie à la théorie classique selon laquelle chaque fois que l'on introduit une nouvelle mesure alternative à la prison, celle-ci vient développer le contrôle social au lieu d'éviter l'enfermement. « Beaucoup de travaux d'évaluation aux USA ont montré que ce procédé ne diminue pas le recours à l'incarcération. Parce que les magistrats n'y voient pas une alternative à la prison mais une mesure supplémentaire qui se surajoute à celles existantes. Le placement sous surveillance électronique ne fait qu'augmenter les dispositifs de contrôle social », déplore ainsi Frédéric Ocqueteau, sociologue et juriste. De même, pour la CFDT Justice, ce système « constitue simplement un élément supplémentaire d'un arsenal répressif déjà inflationniste en matière d'incarcération galopante ».

Appliquer les mesures existantes

En outre, on peut légitimement se demander ce qu'apporte de plus le bracelet électronique par rapport à d'autres types de mesures. « En réalité, le champ couvert par le bracelet est déjà couvert par les alternatives à l'incarcération et la liberté conditionnelle. Et si celles-ci fonctionnaient normalement, il n'y aurait pas besoin de cette nouvelle forme de peine. Le problème, c'est que l'on ne dispose pas d'assez de moyens pour les développer en nombre suffisant », souligne Alexis Grandhaie, secrétaire général de l'Union générale des syndicats pénitentiaires-CGT (5). Pour lui, comme pour d'autres, il faut donc appliquer les peines substitutives qui existent déjà comme le sursis, le TIG, la semi-liberté, avant de créer un nouveau système, certes plus sécurisant, parce que la personne est en permanence sous surveillance, mais dont l'efficacité n'est pas réellement prouvée et qui pose de délicats problèmes juridiques. Un point de vue partagé par la CFDT Justice. Laquelle rappelle, en outre, qu'elle a toujours revendiqué l'instauration d'un numerus clausus comme réponse au problème de la surpopulation carcérale.

Du côté du Syndicat de la magistrature (6), on est à peu près sur la même longueur d'onde. « Quand on constate, par exemple, que la libération conditionnelle est en chute libre, ne faut-il pas mieux mettre l'accent sur les mesures d'individualisation plutôt que de recourir à un système cher, qui va poser des problèmes de mise en place et où l'accompagnement socio-éducatif est très limité ? » s'insurge, notamment, sa vice-présidente, Catherine Vannier. Bien sûr,  le juge d'application des peines pourra soumettre la personne concernée à des mesures d'accompagnement en vue de favoriser sa réinsertion. Mais cet accompagnement socio-éducatif du porteur du bracelet ne sera pas systématique. Ce que dénoncent bon nombre d'organisations, regrettant que le dispositif soit conçu uniquement comme un système de gestion du stock de places de prison. D'autant que la loi n'indique précisément pas quels agents de l'administration pénitentiaire (surveillants ou personnel socio-éducatif) seront chargés du contrôle à distance des condamnés, laissant le soin à un décret ultérieur de préciser le corps compétent. Et sachant que la préférence pourrait aller au personnel socio-éducatif (en particulier au travers des comités de probation). Dans ce cas de figure, de quels moyens disposerait-il ? Et cette surveillance électronique serait-elle conforme à sa mission ?

Et les mineurs ?

Mais c'est surtout au sein de la PJJ que le système du bracelet électronique est le plus contesté. « Même si les auteurs de ce texte semblent avoir de bonnes intentions, c'est une erreur », estime Michel Guerlavais, secrétaire général du Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse-FEN (7), considérant que, pour les mineurs, l'emprisonnement, avec ou sans bracelet, doit rester l'exception. Pour lui, la priorité doit être donnée au développement de l'action éducative. « D'ailleurs, quand on connaît les troubles du caractère dont souffrent beaucoup de mineurs délinquants, on se rend compte à quel point ils auront du mal à respecter les contraintes qu'impose cette mesure. »

Pour Françoise Laroche, secrétaire générale du Syndicat national de l'éducation surveillée-PJJ-FSU (8), ce système n'est simplement pas compatible avec le fonctionnement de la PJJ. « Je ne vois pas comment les établissements PJJ pourraient accueillir des jeunes délinquants porteurs du bracelet. Les éducateurs ne sont ni des surveillants ni des contrôleurs judiciaires. Sans parler du caractère stigmatisant de ce système pour des adolescents », explique-t-elle. D'ailleurs, s'enflamme-t-elle, « si on pense qu'un mineur doit aller en prison, il faut assumer cette décision en faisant en sorte que les conditions de détention soient acceptables. Avec ce système, on va demander aux jeunes d'être leurs propres surveillants. » Sans compter que le texte voté par les parlementaires n'indique absolument pas dans quelle mesure les parents du mineur condamné seraient amenés à donner leur autorisation au placement de leur enfant sous surveillance électronique. Il faudra pourtant préciser ce point. Surtout dans la mesure où le domicile parental servirait de lieu d'assignation. Cette question a d'ailleurs été soulevée par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, dans un avis rendu le 5 décembre, à la demande du ministère de la Justice.

Au final, « n'est-ce pas plutôt une mesure de sûreté qu'une alternative à la prison », se demande Frédéric Ocqueteau, soulignant les contraintes qu'impose cette assignation à résidence où la surveil-lance n'est jamais relâchée. Enfin, pour lui, il n'est pas démontré que le coût généré par ce dispositif sera inférieur à celui de l'emprisonnement. Surtout si la surveillance est assurée par les personnels de l'administration pénitentiaire. Selon les estimations présentées par la ministre de la Justice, à l'heure actuelle, environ 2 300 condamnés, répartis sur 137 établissements pénitentiaires, pourraient bénéficier de ce système  (sur près de 55 000 personnes incarcérées en France). La durée moyenne de la mesure serait de l'ordre de quatre mois et le coût moyen de la journée de surveillance compris entre 200 et 250 F (contre 500 F en prison).

Isabelle Sarazin et Jérôme Vachon

Notes

(1)  Voir ce numéro.

(2)  Voir ASH n° 1952 du 8-12-95.

(3)  Ses propos étaient rapportés par Daniel Vaillant, lors du vote définitif de la proposition de loi présentée par le sénateur (UDF) de l'Isère, Guy Cabanel.

(4)  CFDT Justice : 47/49, av. Simon-Bolivar - 75019 Paris - Tél. 01 42 38 64 10.

(5)  UGSP-CGT : 263, rue de Paris - Case 542 - 93515 Montreuil cedex - Tél. 01 48 18 82 32.

(6)  Syndicat de la magistrature : 6, passage Salarnier - BP 155 - 75523 Paris cedex 11 - Tél. 01 48 05 47 88.

(7)  SPJJ-FEN : 48, rue La Bruyère - 75440 Paris cedex 09 - Tél. 01 40 16 78 13.

(8)  SNPES-PJJ-FSU : 54, rue de l'Arbre-Sec - 75001 Paris - Tél. 01 42 60 15 84.

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