Sur les 9 500 000 jeunes de 18 à 28 ans que compte la France, 617 500 - soit 6,5 % - ne sont pas satisfaits de leur logement. C'est ce que révèle une enquête réalisée par l'institut Harris au début de l'année 1997 à la demande de la fédération Relais (1). Parmi ces mécontents, près de 3 % se déclarent « pas du tout satisfaits » car leur habitation est trop petite et de qualité insuffisante. 3,2 %considèrent son coût trop élevé, et 0,4 % évoquent ces trois motifs à la fois. Il serait pourtant trompeur de s'arrêter à ces premiers chiffres, prévient Michel Mouillart, enseignant à l'université de Nanterre et l'un des rapporteurs de l'enquête. « Une analyse plus détaillée qui préfère examiner les conditions objectives de logement des jeunes suggère, qu'en fait, ceux qui rencontrent des conditions de logement pas du tout satisfaisantes sont un peu plus nombreux. » Ainsi, 2,8 % connaissent des conditions objectivement insupportables - absence de confort, logement exigu, coût trop élevé 2 % occupent un lieu de résidence acceptable du point de vue de sa taille et de son confort, mais dont le coût est bien trop important et 3,2 % habitent dans des logements qui nécessiteraient des aménagements, notamment au niveau de l'installation d'eau, de la cuisine et des toilettes. « Au total, ce sont donc quelque 750 000 jeunes - 8 % - pour lesquels une action logement devrait être engagée, souligne Michel Mouillart. Cette action relève même de l'urgence pour 35 % d'entre eux et demanderait la mise rapide sur le marché de plus de 100 000 logements supplémentaires. »
Certes, les plus optimistes retiendront que 92 % des jeunes sont logés dans de bonnes conditions. Difficile de s'arrêter là cependant, surtout si l'on considère que pour les jeunes comme pour l'ensemble de la population, le logement est plus qu'un toit. « Un lieu d'habitation peu décent, mal situé, dans un quartier dégradé, constitue un frein à l'expansion personnelle, un handicap pour ceux qui veulent créer une famille, un obstacle à une bonne insertion professionnelle », insiste Michel Mouillart. A cela s'ajoute le montant des loyers qui pousse certains jeunes locataires à rogner sur leurs dépenses de santé ou même de nourriture.
Reste à connaître le point de vue des 18-28 ans, notamment de ceux qui connaissent des difficultés économiques, sociales ou familiales. Quels sont les obstacles qu'ils rencontrent pour se loger, et quelles actions proposent-ils pour les surmonter ou les atténuer ? A la demande de la fédération Relais, l'association Connecter (1) est allée à la rencontre de jeunes relevant de dispositifs tels que les CCAS, les PAIO ou les missions locales pour l'emploi dans quatre régions : le Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes, la Lorraine et l'Ile-de-France. Cette étude qualitative donne également la parole aux intervenants sociaux et aux bailleurs, ce qui permet de comparer les préoccupations des uns et des autres, qui ne sont d'ailleurs pas forcément éloignées.
48 % des jeunes de 18 à 28 ans disposent d'un logement indépendant.45 % vivent chez leurs parents, 3 % en cité universitaire, 3 % dans leur famille ou chez des amis.1 % ne se prononce pas.
22 % des jeunes ont trouvé leur logement par des amis, 21 % par la famille, 16 % par les petites annonces, 16 % par une agence immobilière, 15 % par un organisme HLM et 7 % par la mairie.
52 % ne savent pas où trouver l'information concernant leur problème de logement.
49,2 % des jeunes qui ne vivent plus chez leurs parents perçoiventune allocation logement (APL, ALS et éventuellement ALF) et 22 % des aides familiales plus ou moins régulières. 13,8 % reçoivent ces deux types d'aides. A noter que les aides publiques améliorent sensiblement les conditions de logement des locataires du parc HLM. En revanche, dans le parc privé, elles permettent d'entrer et de rester dans le logement, mais ne peuvent pas contribuer à améliorer son confort et sa qualité. Source : Enquête Louis Harris réalisée auprès d'un échantillon représentatif de 1 000 personnes de 18-28 ans, à la demande de la fédération Relais - Début 1997.
Lorsqu'on demande à ces jeunes et à ces travailleurs sociaux de lister les problèmes liés au logement aujourd'hui, la question des coûts arrive en tête. Tous soulignent le montant trop élevé de la caution, du loyer et des charges sans oublier l'installation proprement dite qui génère des frais supplémentaires. De plus, les jeunes ne trouvent pas facilement de garant : soit la famille n'en a pas les moyens, soit les enfants ne désirent pas se tourner vers elle, le logement étant un symbole fort d'autonomie. Les bailleurs, quant à eux, ne nient pas le problème. « Ils rétorquent qu'ils ont besoin de garanties, souligne Jean Marquet, directeur de Connecter. Ils n'ont rien contre les actions sociales menées en direction des jeunes mais ils considèrent qu'ils ne sont pas là pour ça. »
Deuxième préoccupation des personnes consultées : l'inadéquation entre l'offre et la demande. Les logements sont insuffisants dans le parc public -et sont davantage conçus pour accueillir des familles que des personnes seules - et trop chers dans le parc privé. Quant aux logements collectifs tels que les foyers de jeunes travailleurs (FJT) ou les résidences sociales, ils sont considérés comme une solution imposée : les jeunes n'ont donc qu'une hâte, en partir. Se pose également le problème de la localisation des appartements : « Les 18-28 ans se sentent relégués dans leur banlieue. Ils aspirent à aller en centre-ville, mais ils n'en ont pas les moyens, explique Jean Marquet. En fait, ils souhaiteraient une revalorisation de leur quartier, car au moins, là, ils disposent déjà d'un réseau de relations sociales. »
Autre problème : l'accès et le maintien dans le logement. Tous soulignent la stigmatisation dont ils sont l'objet. Les bailleurs hésitent à louer à un jeune dont la famille est déjà repérée par les dispositifs sociaux, ou bien à une personne envoyée par une mission locale pour l'emploi ou un FJT. Sans parler des préjugés raciaux, ou de la méfiance qu'inspirent les jeunes en général. Bailleurs, intervenants sociaux et futurs locataires soulignent également le manque d'informations, ou l'absence de lisibilité. « On ne s'y retrouve pas, on nous renvoie d'un service à un autre » sont des témoignages qui reviennent souvent, y compris de la part des bailleurs qui disent ne pas savoir où s'adresser lorsqu'ils souhaitent engager des actions de réhabilitation.
Dernier centre de préoccupation : la loi et le fonctionnement des institutions. Si le logement est un droit, encore faut-il qu'il soit appliqué. Et que les services publics soient mieux organisés : toutes les démarches sont en effet jugées longues et fastidieuses.
Parmi les propositions communes aux jeunes et aux travailleurs sociaux, le rétablissement de la confiance entre les jeunes et les bailleurs est jugé primordial. Comment ? Les personnes interrogées évoquent un système de parrainage par une association ou un travailleur social -lorsqu'un jeune entre dans un logement - ou bien une période d'essai comme cela se pratique lors d'une embauche. Mais elles insistent également sur la nécessité de faire respecter la loi, afin d'éviter certains abus, comme la location de logements à la limite de l'insalubrité. Certains parlent même d'inspecteurs du logement, comme il y a des inspecteurs du travail.
Autres pistes de réflexion : diversifier l'offre en imposant un quota de petits appartements lors de constructions d'immeubles, adapter l'APL afin qu'elle soit calculée en temps réel et soit au plus près de la réalité, solvabiliser les jeunes - ce qui ne peut passer par le seul biais des salaires, certains demandant le RMI jeunes - et enfin créer un fonds de garantie abondé par les jeunes, les associations, les bailleurs, les collectivités locales afin d'apporter une aide mutualisée, davantage basée sur la responsabilité que sur l'assistanat.
Dans un tel contexte, l'aide au logement passe-t-elle par des dispositifs spécifiques ou doit-elle relever du droit commun ? Les intervenants sociaux et les jeunes font la même réponse : oui aux dispositifs spécifiques lorsqu'il y a urgence, pour les situations de « vraies galères », non s'il s'agit d'enfermer tous les jeunes dans des ghettos sous le seul prétexte qu'ils ont entre 18 et 28 ans. Dans l'enquête qualitative de Connecter, les intervenants sociaux sont les premiers à mettre en avant les contradictions inhérentes à leur mission : ils souhaitent faire du jeune un acteur, établir un accompagnement social qui ne soit pas de l'assistanat et surtout décloisonner les pratiques. Or, dans les faits, les jeunes et les travailleurs sociaux apparaissent prisonniers de dispositifs qui se superposent les uns aux autres. « Chaque professionnel essaie de faire entrer le jeune dans son dispositif, parce que c'est ce qu'on lui demande de faire. Chacun a intérêt à défendre son pré carré. Du coup, on entre dans une logique de guichets et d'assistanat, que les jeunes savent parfaitement utiliser. Alors que tous savent que ce n'est pas comme cela que l'on résoudra le problème de fond », souligne Jean Marquet.
Attention, prévient Monique Sassier, responsable du service des études et des actions politiques de l'UNAF, de ne pas enfermer des jeunes dans des dispositifs dont le plus dur sera de les faire sortir. « Ceux-ci, en se surajoutant les uns aux autres, permettent finalement de s'adapter à l'illisibilité des dispositifs publics, alors qu'il faudrait s'efforcer de rendre la politique du logement plus lisible », explique-t-elle. Ainsi, la problématique du logement appelle-t-elle un choix plus politique que strictement technique. Monique Sassier rappelle en effet que « le temps de la jeunesse est un temps d'expérimentation dans tous les domaines, familial, amoureux, professionnel. Laissons aux jeunes le temps de vivre cette période-là : les réponses spécifiques sont assez confortables et créent une fausse sécurité. Or, les jeunes sont un espace de mobilité et d'aventure. » C'est ce que souligne également Claude Chaudières, conseiller technique de l'Uniopss en matière de logement. Selon lui, les jeunes - qui par définition sont dans des situations très mobiles et évolutives -devraient pouvoir passer d'un foyer à un logement et faire des va-et-vient entre différentes formules : une façon d'adapter le logement aux jeunes et non pas l'inverse. « Aujourd'hui, les financements restent cloisonnés, ajoute Patrick Kamoun, conseiller technique à l'Unfohlm. Des jeunes sont en CHRS alors qu'ils n'ont rien à y faire. Cela coûterait moins cher de leur payer un logement en HLM, mais les fonds HLM et les fonds CHRS ne sont pas les mêmes... Le problème, c'est que l'on ne fait jamais le calcul de l'économie globale du social. »
Et lorsque les jeunes demandent des dispositifs spécifiques, c'est une façon de nous dire qu'ils n'ont pas leur place parmi nous, estime Monique Sassier. « C'est ainsi qu'il faut le comprendre, me semble-t-il, plutôt que d'apporter une mauvaise réponse à une vraie question. Nous devons apprendre à réinvestir dans notre jeunesse, comme nous avons décidé d'investir dans la vieillesse en apportant des conditions de vie agréables à nos retraités. Il faudrait redresser l'image que les adultes ont des jeunes et arrêter de croire - en multipliant les dispositifs spécifiques - qu'une société avec zéro problème est possible. »
Anne Ulpat
(1) Fédération Relais - Association Connecter : 21, rue de Provence - 75009 Paris - Tél. 01 44 79 94 95 - Fax : 01 44 79 94 96. Ce sondage a été présenté lors du forum national consacré au logement des jeunes et à l'exclusion, le 5 novembre 1997, à Paris.