Dès son arrivée au gouvernement, Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, en charge de la consommation, avait annoncé son intention de présenter en 1998 un projet de loi« visant à adapter le traitement du surendettement à l'évolution sociale ». Lequel s'inscrira dans le cadre du dispositif de lutte contre l'exclusion préparé par Martine Aubry. C'est dans cette optique que la secrétaire d'Etat a demandé au groupe de travail permanent du Conseil national de la consommation (CNC) relatif au surendettement de proposer des mesures destinées à améliorer la prévention, le traitement et le suivi des situations de surendettement (1). Un projet d'avis a ainsi été rendu par le CNC, le 4 décembre, traitant principalement des aménagements qui pourraient être apportés à la loi Néiertz du 31 décembre 1989, modifiée en 1995 (2). Des propositions qui, avec celles récentes du Sénat (3) et de l'UFC-Que choisir (4), serviront de base à l'élaboration du futur projet de loi.
Point central et discuté : l'effacement des dettes. A l'instar des sénateurs, le CNC n'envisage d'y recourir que pour les personnes se trouvant dans « des situations financières extrêmes ». Pour lui, l'abandon de créances ne doit donc être prononcé qu'en dernier ressort et doit être assorti de nombreuses conditions. Une proposition que retient Marylise Lebranchu dans un entretien à Libération du 9 décembre, où elle s'explique sur la réforme qu'elle compte mettre en œuvre et en précise le calendrier (voir encadré). En revanche, elle rejette l'expression de « faillite civile », qu'elle juge « infamante », lui préférant « le terme de remise de dettes ».
Il faut dire qu'il y a urgence à remanier le dispositif tant celui-ci paraît aujourd'hui saturé. Le constat est d'ailleurs unanime. Qu'il s'agisse des sénateurs, de l'UFC-Que choisir ou du CNC, tous s'accordent pour dénoncer l'engorgement des commissions de surendettement, ou encore reconnaître l'évolution du profil des surendettés. Depuis la loi du 31 décembre 1989, en effet, les commissions de surendettement sont de plus en plus fréquemment saisies de dossiers faisant apparaître un surendettement passif (lié à la baisse brutale des revenus du ménage qui ne peut plus faire face aux dépenses courantes) qui se combine parfois avec un surendettement actif(recours à différentes formes de crédit). Or, si la loi du 31 décembre 1989 a apporté une réponse « satisfaisante » aux problèmes du surendettement actif,« l'expérience démontre qu'elle ne s'avère pas adaptée au traitement du surendettement passif », souligne le conseil. Qui voit dans « la situation économique et sociale que connaissent nombre de nos concitoyens (chômage, temps partiel subi, faiblesse des minima sociaux...) », l'une des causes de l'explosion des situations de surendettement.
Considérant que la situation ne peut rester en l'état « et sans atténuer en rien leur demande au pouvoir politique d'une recherche de solution globale », les deux collèges constituant le conseil (consommateurs et professionnels) avancent une série de propositions « assises sur les principes de solidarité ». Lesquelles visent d'une part à améliorer le dispositif existant et, d'autre part, à apporter une réponse aux cas de surendettement les plus difficiles « pour lesquels les commissions ne sont pas en mesure d'élaborer un plan ou des mesures recommandées viables ».
Principale suggestion, la mise en place d'une procédure d'urgence, de type référé,permettant de suspendre les poursuites engagées contre un débiteur ayant déposé un dossier auprès de la commission. Celle-ci s'appliquerait également aux ventes immobilières sur saisies.
Par ailleurs, concernant la vérification des créances, le conseil rappelle que « seules les créances liquides, certaines et exigibles » peuvent intégrer le plan de remboursement et que l'admission d'une créance par la commission devra se faire sur la base de justifications. Il propose d'ailleurs, en cas de litige sur cette admission, que la saisine soit de droit à la demande du débiteur, comme elle l'est de la commission, et qu'elle ait lieu en début de procédure. Pour leur part, les représentants des professionnels au sein du CNC ont suggéré l'inscription systématique du débiteur au fichier national des incidents de remboursement de crédit aux particuliers (FICP) dès le dépôt du dossier auprès de la commission. Mais les consommateurs n'y étant pas favorables, ce point sera discuté lors des réunions préparatoires à la rédaction du projet de loi, a indiqué Marylise Lebranchu qui, de son côté, estime que si lavérification des créances doit être facilitée, elle ne doit cependant pas être faite systématiquement mais doit avoir lieu chaque fois que le débiteur le souhaite.
En outre, lorsque les créances sont couvertes par une ou plusieurs cautions solidaires, le conseil demande qu'une vérification systématique de la solvabilité de chacune des cautions soit effectuée au moment de leur engagement, qu'une information écrite leur soit obligatoirement faite sur les conséquences de leur engagement et qu'elles soient informées dès le premier incident de paiement.
Il considère, en outre, que les recours aux cautions individuelles doivent être l'exception, la recherche de cautions professionnelles devant être systématisée.
S'agissant plus particulièrement de l'aide personnalisée au logement (APL), les deux collèges préconisent que la suppression du versement des APL ne soit pas automatique, comme c'est le cas actuellement en cas de retard dans les règlements d'un loyer ou d'échéance d'un prêt immobilier. Aussi, suggèrent-ils que les allocations soient directement versées au créancier concerné.
Enfin, en vue d'améliorer l'organisation et le fonctionnement des commissions de surendettement, ils ont estimé souhaitable de leur confier des pouvoirs plus étendus et d'étoffer leur composition -le nombre de ses membres pourrait être porté de 5 à 9 - pour tenir compte de l'évolution et de la nature des situations de surendettement (5). Une proposition également formulée par l'UFC-Que choisir, et que Marylise Lebranchu considère comme « une bonne chose ».
Quelles sont les conditions pour la réussite d'un plan de remboursement ? Selon le CNC, qui propose une série de mesures, il est nécessaire que soit organisée la possibilité pour le débiteur ou son représentant d'être entendu par la commission, afin d'être associé à la conception du plan. Consommateurs et professionnels se sont également mis d'accord pour considérer que la part des ressources consacrée aux remboursements ne soit pas supérieure à la quotité saisissable sur salaire, hors prestations sociales. Dans cette optique, ils préconisent donc de laisser à la commission la possibilité demoduler le « reste à vivre », afin de permettre au débiteur d'avoir les moyens de subsister sans générer de nouvelles dettes de la vie courante. En cas d'échec du plan conventionnel, le délai accordé pour lerééchelonnement du paiement de la dettepourrait être porté de 5 ans actuellement à 7 ans, avec la possibilité d'un plan plus long pour le remboursement de dettes immobilières. Et lorsque la mise en place d'un plan conventionnel n'est pas jugé « possible, réaliste et efficace » par la commission de surendettement, celle-ci pourrait proposer au juge un moratoire (gel des dettes), d'une durée maximum de 3 ans, portant sur l'ensemble des dettes du débiteur. Au terme de ce moratoire, la commission réexaminerait le dossier pour déterminer la possibilité de l'établissement d'un plan ou, à défaut, l'effacement des dettes prononcé par le juge. Etant précisé que le recours à l'abandon de créances pour les personnes se trouvant dans des situations financières extrêmes doit revêtir « un caractère exceptionnel », affirme le CNC, et répondre à des conditions strictes. D'abord, le débiteur ne doit pas avoir refusé précédemment un plan amiable et les conditions de liquidation des biens doivent être précisément encadrées. Ainsi, estime-t-il, « le caractère économique des biens saisissables doit être pris en compte afin que soit évitée la vente de biens (véhicule ou résidence principale par exemple) dont la valeur vénale est dérisoire ou aggraverait l'exclusion du débiteur ».
En outre, pour le conseil, les dettes fiscales(impôt sur le revenu, impôts locaux), actuellement exclues de la possibilité de rééchelonnement, doivent être mises sur un pied d'égalité avec les autres créances. Un point dont la secrétaire d'Etat souhaite débattre avec les collectivités territoriales. Interrogée plus généralement sur cette procédure de remise de dettes, elle a précisé que le moratoire pourra durer de 6 mois à 3 ans. A son issue, « la commission devra se réunir. Elle regardera s'il n'y a toujours pas de solution. Et décidera en fonction de la personne. Si le surendetté présente de sérieux handicaps, s'il n'a que très peu de chances de s'en sortir, alors les dettes pourront être effacées. C'est à ces conditions seulement que l'on fera un trait sur les arriérés. »
Enfin, au-delà du traitement même des dossiers des débiteurs surendettés, le groupe de travail propose un dispositif d'accompagnement. Lequel passe notamment parl'instauration, au niveau départemental, d'une structure d'aide, de conseil et de suivi chargée d'accueillir les personnes connaissant ou pressentant des problèmes financiers et d'informer les personnes en difficulté sur leurs droits. Les associations de consommateurs ou caritatives pouvant participer à son fonctionnement. Un dispositif est également prévu pour éviter l'exclusion bancaire, les deux collèges s'accordant sur le fait « qu'être surendetté ne doit pas entraîner une clôture automatique du compte ». C'est notamment pourquoi, ils suggèrent la création de prêts sociaux à la consommation, à taux très réduits, réservés aux populations financièrement fragiles qui, déjà engagés dans un plan de remboursement, doivent faire face au remplacement d'un équipement de première nécessité. Quant à la dernière proposition du CNC, il s'agit de mettre en place un observatoire permanent sur le fonctionnement des commissions de surendettement.•
Valérie Balland
Projet « satellite » au dispositif de lutte contre l'exclusion préparé par Martine Aubry, l'avant-projet de loi « visant à adapter le traitement du surendettement à l'évolution sociale » va être rédigé d'ici le premier trimestre 1998, a indiqué Marylise Lebranchu dans l'interview à Libération du 9 décembre. Il sera ensuite soumis« à toutes les parties ».« Il y aura une discussion avec tous les partenaires dont les collectivités territoriales, le Budget, les Affaires sociales... », le texte devant être prêt au deuxième trimestre 1998. La secrétaire d'Etat souhaite, en outre, « qu'il y ait un minimum de décrets », la loi devant pouvoir être mise en œuvre « le plus tôt possible ».
(1) Voir ASH n° 2038 du 26-09-97.
(2) Voir ASH n° 1953 du 15-12-95, n° 1954 du 22-12-95 et n° 1955 du 29-12-95.
(3) Voir ASH n° 2045 du 14-11-97.
(4) Voir ASH n° 2048 du 5-12-97.
(5) Aux 5 membres actuels (préfet, trésorier-payeur général, représentant de la Banque de France, un représentant des consommateurs et un représentant des créanciers) viendraient s'ajouter le directeur départemental des impôts, un nouveau représentant des consommateurs, un des créanciers et un représentant du ministère des Affaires sociales.