Recevoir la newsletter

De la prévention à l'encadrement renforcé, le débat se poursuit

Article réservé aux abonnés

Tandis que le débat sur la justice des mineurs est, depuis le colloque de Villepinte (1), plus que jamais d'actualité, les prises de position, sur ce thème, se multiplient. Après les organisations syndicales et professionnelles, le magistrat Denis Salas s'interrogeait (dans notre nº 2046 du 21-11-97) sur l'avenir du modèle éducatif issu de l'ordonnance de 1945. Alors que les conclusions définitives de l'évaluation des UEER viennent d'être rendues, le Réseau interassociatif et Jean-Marie Petitclerc, chargé de mission au conseil général des Yvelines, réagissent à leur tour.

« La mobilisation politique et médiatique[...] qui se développe actuellement sur une éventuelle révision de l'ordonnance de 1945, ne doit pas faire oublier la responsabilité première de l'Etat et des collectivités locales en matière de prévention comme en matière de protection de l'enfance », entend surtout rappeler le Réseau inter-associatif, qui regroupe cinq organisations implantées dans le secteur de la protection de l'enfance (ANDESI, ANPF, CNAEMO, CNLAPS, FN3S)   (2). Sachant, souligne-t-il, que « l'intérêt du dispositif français, en la matière, est de concilier protection judiciaire et protection administrative ». Or, le système est actuellement déséquilibré. En effet, déplore le Réseau, « la récente réforme de l'ordonnance du 2 février 1945, en l'absence de tout renforcement du nombre des juges, a pour effet de détourner [les tribunaux] de l'assistance éducative aux enfants en danger et de déplacer leur action de l'amont préventif à l'aval répressif ». De même, poursuit-il, « l'intervention du juge des enfants ne doit pas être banalisée, ce qui veut dire que la protection administrative doit jouer pleinement son rôle, alors que moins de 10 % des mesures d'action éducative en milieu ouvert sont administratives » (c'est-à-dire proposées et gérées directement par l'ASE, avec l'accord des parents). Quant à la prévention spécialisée, « elle doit être reconnue, encouragée et développée ». Pour le Réseau, elle représente, en effet, « un mode d'intervention éducative et sociale adaptée au contexte social ». A condition d'être « reliée à une politique de la ville claire et cohérente, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui ».

Autre sujet d'inquiétude : les jeunes majeurs pour qui les mesures éducatives judiciaires, bien que prévues dans les textes au titre de la protection des jeunes de 18 à 21 ans, « s'avèrent actuellement insuffisantes en nombre » avec « un risque de désengagement de l'Etat très préoccupant » et la substitution, dans certains départements, des prises en charge, sous forme de prix de journée, par des allocations versées directement aux jeunes concernés. « Si cette tendance devait se généraliser, elle risquerait de priver des jeunes en réelle difficulté d'un travail d'accompagnement éducatif et social souvent indispensable », observe le Réseau interassociatif. Enfin, concernant les unités à encadrement éducatif renforcé  (UEER) (voir encadré), il estime que « la pertinence même de cette initiative expérimentale ne peut pleinement prendre sens dans le contexte général d'isolement institutionnel qui semble être encore celui de la plupart de ces structures ».

Le refus des centres fermés

De son côté, c'est un véritable appel que lance Jean-Marie Petitclerc, chargé de mission au conseil général des Yvelines et directeur d'un institut de formation aux métiers de la ville (3), dans la lettre ouverte qu'il vient d'adresser à la garde des Sceaux. « L'urgence du problème posé par l'amplification des phénomènes de délinquance, particulièrement dans les quartiers en difficulté, et l'inadéquation des réponses actuelles, nécessitent la mise en œuvre d'expérimentations innovantes », écrit-il. Ainsi, « certaines voix s'élèvent pour réclamer la réouverture de centres fermés d'éducation, mais, même si je comprends le besoin de réassurance que cache l'expression d'une telle demande, je ne pense pas, à la lumière des expériences passées, que cela puisse constituer une bonne piste de réponse. En effet, la gestion de la violence des mineurs, à l'intérieur d'un centre fermé, me paraît poser des obstacles insurmontables. » Pour cet éducateur spécialisé qui créa l'association « Les messagers » en 1992, à Chanteloup-les-Vignes, il faut plutôt « insister sur l'importance, pour le jeune pré-adolescent, de la pertinence de la première sanction relative au premier délit commis ». En effet, s'étonne-t-il, « voilà qu'au moment où la sanction serait la plus recevable, et où sa pertinence devrait être gage d'une non-récidive, on choisit le plus souvent de ne pas sanctionner, et on s'étonne de l'ampleur chez les adolescents du phénomène de récidive ! Une justice qui n'est pas crédible à l'égard des primo-délinquants perd toute crédibilité à l'égard des multirécidivistes ». Toutefois, précise-t-il aussitôt, « je ne souhaite pas ici le retour de méthodes répressives à l'égard des jeunes primo-délinquants, mais l'instauration de sanctions signifiantes, dans le domaine de la réparation lorsqu'il s'agit d'attaque aux biens, ou d'un éloignement temporaire, lorsqu'il s'agit de menaces sur les personnes ».

Par ailleurs, poursuit Jean-Marie Petitclerc, « méfions-nous, là aussi, du fantasme, qui habite l'esprit de quelques-uns, de la possible création d'une “super-institution” capable d'accueillir des jeunes “super-difficiles” avec des équipes de “super-éducateurs”. Je ne pense pas, pour ma part, qu'une telle institution puisse exister ailleurs que dans nos rêves. Je crois, par contre, que la violence de comportement de certains jeunes est le plus souvent liée à l'incohérence des attitudes des adultes qui les accompagnent. Aussi, l'urgent, face à ces jeunes, me paraît-il résider dans l'instauration d'un véritable partenariat entre familles, enseignants, éducateurs, policiers et magistrats. Il nous faut, tous ensemble, apprendre à retravailler de manière cohérente. »

« Voilà pourquoi, explique le chargé de mission, afin de sortir du trop grand cloisonnement dans le fonctionnement actuel des institutions œuvrant auprès de la jeunesse, je propose depuis cinq ans la mise en place d'un nouveau dispositif d'accompagnement éducatif des jeunes en difficulté, appelé “Maison de l'espoir”. » Ce système comporterait trois pôles. Le premier, relatif à l'accueil des jeunes, serait implanté au sein même des quartiers et permettrait « d'élaborer des réponses éducatives » en impliquant les parents et les différents partenaires institutionnels. Le deuxième pôle serait constitué d'internats, situés à distance des quartiers, et où pourraient être accueillis, « de manière transitoire mais pour des séjours pouvant aller de trois jours à neuf mois », des jeunes pour lesquels un éloignement est « jugé indispensable ». Afin que cette « mise à distance » ne soit pas vécue comme une rupture, ils pourraient être accompagnés par les éducateurs du pôle d'accueil. Enfin, en cas de besoin d'un placement de plus longue durée, le troisième pôle organiserait un réseau d'établissements dans l'ensemble des foyers des secteurs public et associatif habilités. « Certes, conclut Jean-Marie Petitclerc, la mise en place de ce nouveau dispositif n'a pas la prétention de pouvoir tout solutionner. Il veut seulement montrer que des chemins d'expérimentation restent ouverts. »

UEER :les propositions

Les conclusions définitives de l'évaluation des unités à encadrement éducatif renforcé (UEER) viennent d'être remises à Elisabeth Guigou. Ce document dont les ASH avaient révélé les « premiers éléments de synthèse » a été complété, dans sa version finale, par une série de préconisations (4). Les UEER constituent « un dispositif intéressant mais insuffisamment élaboré », constataient les auteurs de l'étude (5) dans la première version de leur texte, soulignant, en particulier, la « précipitation » qui avait présidé au lancement de ces structures, nées sous la « pression d'une commande politique ». D'où l'intégration, dans leur rapport définitif, de plusieurs propositions destinées à en améliorer le fonctionnement. A court terme, il s'agit, d'abord, de renforcer « la capacité de diagnostic en amont du placement en UEER ». Ce qui pourrait se traduire par la création d'une « nouvelle mesure de type IOE [investigation et orientation éducative] accélérée » (huit jours) afin d'aider les magistrats à évaluer les chances de succès d'un placement en UEER. Autres recommandations : développer la pluridisciplinarité au sein des équipes et « diversifier et démultiplier », sur un même territoire, l'offre de prise en charge des cas difficiles. Autant d'éléments qui  « devraient, à présent, faire l'objet d'un large débat de fond » au sein des différentes institutions, publiques et privées, concernées. Un chantier à moyen et long termesPlus généralement, pour les enquêteurs, un « réaménagement à moyen et long termes » du système d'accompagnement des jeunes en grande difficulté apparaît indispensable. Considérant que ce dossier relève d'une évaluation interministérielle, ils soulignent « la nécessité de renforcer les moyens du secteur public ainsi que ceux accordés au secteur associatif ». En outre, mettant l'accent sur le caractère de plus en plus précoce de la délinquance des mineurs, ils évoquent la création éventuelle de « lieux de vie » adaptés aux jeunes de 11 à 14 ans.  « La césure juridique brutale à l'échéance des 18 ans et des 16 ans n'est pas sans poser problème pour le type de prise en charge actuelle en UEER », constatent-ils également, conseillant d'étendre à certains jeunes majeurs « la possibilité de bénéficier de réponses spécifiques ». Quant aux interrogations sur les rôles respectifs de la PJJ et de l'administration pénitentiaire, elles pourraient déboucher sur « la mise en œuvre conjointe d'un mode de contention adapté aux mineurs et assorti d'une offre éducative et psychologique de qualité », affirment les chercheurs qui prônent, à cet effet, un rapprochement « des cultures professionnelles des deux organisations ». Enfin, s'inquiètent-ils, l'émergence de « deux modèles » de justice des mineurs ne comporte-t-elle pas un risque ? L'une étant « assurée par les juges des enfants et l'autre portée par les juges du pénal » alors que ceux-ci « semblent parfois fonctionner sur la base de présupposés différents ». Reste que les insuffisances des UEER et, plus généralement, du système de prise en charge des jeunes délinquants, ne sauraient faire oublier « l'efficience limitée de plusieurs [autres] dispositifs publics », rappellent les chercheurs. En effet, poursuivent-ils, « même si la première vague d'expérimentation des UEER n'a pas été sans rencontrer de multiples difficultés, leur mise en œuvre fait ressortir la nécessité de pousser plus avant la recherche de réponses adaptées et diversifiées aux défis que pose à notre société le nombre grandissant de mineurs et de jeunes majeurs en grande difficulté ». Ainsi, pour eux, ces structures « et leur population constituent un analyseur privilégié, non seulement des défis posés par la prise en charge des mineurs délinquants ou en grande difficulté, mais aussi des lacunes de notre système éducatif “global” ou “spécialisé” ». D'où la nécessité d' « alerter les pouvoirs publics » sur certaines « carences institutionnelles ou fonctionnelles » des dispositifs publics intervenant en direction des jeunes. Soutenir les famillesPour les chercheurs, il s'agit, d'abord, de développer de nouvelles réponses « qui apporteraient un soutien éducatif à certaines cellules familiales de plus en plus défaillantes ». Ils proposent, par exemple, « un repositionnement » de certaines mesures d'assistance éducative en milieu ouvert, « manifestement inadaptées à la prise en charge » d'adolescents en grande difficulté. Il s'agirait de les axer davantage sur le « renforcement de la fonction parentale » et sur la famille. Par ailleurs, observent-ils, il y a urgence à pallier « certaines carences actuelles du système de santé mentale à destination des adolescents mal ou insuffisamment structurés affectivement » et à mobiliser l'éducation nationale et les divers dispositifs de formation professionnelle, autour de ces jeunes qui, pour la plupart, se trouvent en échec scolaire. De même, il est indispensable « d'inscrire les placements dans des parcours d'insertion mieux construits et plus diversifiés au niveau territorial ». Ce qui suppose, notamment, « de faire évoluer les cultures professionnelles de certains acteurs de la protection judiciaire de la jeunesse ». Lesquels « fonctionnent trop en “circuit fermé” », affirment les chercheurs. Enfin, « pour dépasser la segmentation actuelle des politiques actuelles en direction de la jeunesse », ceux-ci plaident en faveur du renforcement d'une approche interministérielle. Au final, pour les auteurs du rapport, « quelles que soient la dénomination et la forme que pourraient prendre de nouvelles mesures d'assistance éducative, force est de constater que la plupart de celles qui sont actuellement en place, sont mal adaptées pour ce type de mineurs et de situations familiales et qu'il importe, une fois levées les oppositions de principe, de dépassionner les débats et de pousser plus avant l'expérimentation de nouveaux types de prise en charge à destination de ces jeunes en grande difficulté ». Jérome Vachon

Notes

(1)  Voir ASH n° 2045 du 14-11-97.

(2)  Réseau interassociatif - Secrétariat : SIOE - 47, rue des Deux-Communes - 86180 Buxerolles - Poitiers - Tél. 05 49 38 38 00.

(3)  Jean-Marie Petitclerc - Association Le Valdocco : 18, rue du Nivernais - 95100 Argenteuil - Tél. 01 39 82 61 09.

(4)  Voir ASH n° 2040 du 10-10-97.

(5)  Guy Cauquil, Chantal Deckmyn et François Sentis pour le cabinet Cirese : 6, boulevard de Magenta - 75010 Paris - Tél. 01 42 08 67 00.

L'ÉVÉNEMENT

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur